Le Réseau en soutien aux Catalans

En décembre 2009, les citoyens de la Catalogne purent s’exprimer, lors de consultations symboliques, sur la pertinence – ou non – de rompre les liens politiques avec l’Espagne. Les résultats démontrèrent qu’une importante proportion des Catalans est en faveur de l’indépendance, comme on pouvait et devait s’y attendre.

En décembre 2009, j’étais présent en Catalogne, au nom du Réseau de Résistance du Québécois, pour épauler nos frères et nos sœurs qui combattaient la tyrannie et l’impérialisme, en organisant entre autres ces consultations. J’agissais en tant qu’observateur international.  À ce titre, j’ai sillonné le territoire catalan pour observer comment se déroulaient ces consultations.  Les Catalans étaient beaux à voir.  Leur enthousiasme était contagieux.  Leur fougue et leur détermination suscitaient le respect le plus profond.  J’ai particulièrement été ému par ces citoyens d’un certain âge qui, la larme à l’œil, ressentaient un immense bonheur à l’idée de pouvoir enfin se prononcer – même si cela n’était que symbolique – sur le destin de leur pays.

C’était la première fois que je me rendais en Catalogne, mais ce ne devait pas être la dernière.  J’y suis également allé en avril et en septembre 2010, toujours à la demande de militants indépendantistes.  La lutte catalane à laquelle j’ai assisté m’a fortement stimulé et a alimenté mes réflexions sur notre propre situation, ici, au Québec.

La crise que traverse la Catalogne depuis que l’on sait que le Tribunal constitutionnel d’Espagne a décidé de charcuter les passages de l’Estatut concernant l’identité catalane, démontrant ainsi que l’Espagne se refuse à laisser vivre sur « son » territoire un peuple distinct, me rappelle les événements de 1987-1990 que nous avons vécus au Québec.  À cette époque, le gouvernement canadien du conservateur-progressiste Brian Mulroney tentait de réconcilier  dans « l’honneur et l’enthousiasme » les Québécois et les Canadiens.  En 1982, le Canada avait rapatrié sa constitution qui se trouvait toujours à Londres, Capitale impériale du passé.  On profita de l’occasion pour la modifier et pour y adjoindre une charte des droits et libertés.  Au final, le Québec y perdait une partie de son autonomie. 

Le gouvernement du Québec dirigé alors par le leader historique du souverainisme québécois, René Lévesque, refusa de signer la nouvelle constitution canadienne.  Celle-ci fut quand même imposée aux Québécois qui venaient de subir leur premier échec référendaire en 1980 ; le Québec était politiquement faible et le Canada en profitait pour s’imposer encore davantage à lui.  Depuis, aucun gouvernement québécois n’a signé la fameuse constitution du Canada.  C’est donc dire que ce dernier pays fonctionne toujours selon un document que rejettent les Québécois.  Situation illégitime s’il en est une.

Conscient de l’affront qui avait été fait aux Québécois en 1982, Mulroney voulait éviter le pire et réintégrer le Québec dans la « famille » canadienne en faisant signer la constitution par les représentants politiques du Québec.  Pour ce faire, il accepta les cinq grandes modifications constitutionnelles qu’exigeait le gouvernement du Québec désormais dirigé par le libéral Robert Bourassa pour signer ladite constitution.   Le Québec exigeait ceci : de récupérer son droit de veto ; que trois des neuf juges de la Cour suprême du Canada proviennent du Québec ; que le pouvoir de dépenser du palier fédéral soit limité ; que le Québec obtienne des pouvoirs accrus en immigration ; et, finalement, que le Québec soit reconnu comme société distincte. Cet accord prit le nom de l’endroit où il fut négocié en 1987, c’est-à-dire le lac Meech.

Pour être officiellement adopté, cet accord devait toutefois être également signé par tous les gouvernements provinciaux.  Les autorités se donnèrent trois ans pour le faire.  Trois ans de trop puisque ce délai fut amplement suffisant pour que l’opposition anti-Québec se forme au Canada.  Ce qui dérangeait plus particulièrement les Canadiens par rapport à cet accord, c’était que le Québec était reconnu comme société distincte.  On refusait de reconnaître qu’un peuple distinct eut pu officiellement exister au sein de la fédération canadienne.  En 1990, l’Accord du Lac Meech fut officiellement rejeté.  À l’Assemblée nationale du Québec, le premier ministre Robert Bourassa, le chef d’un parti fédéraliste soit dit en passant, déclara :

Le Canada anglais doit comprendre d’une façon très claire que, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, le Québec est aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin et son développement.

L’échec de l’Accord du Lac Meech fut consommé le 23 juin 1990, le jour de la Fête nationale des Québécois.  Une manifestation monstre eut lieu dans les rues de Montréal.  Les Québécois ne digéraient tout simplement pas que le Canada refuse de les reconnaître pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire en tant que membres d’un peuple distinct et fort.  Les taux d’appuis au projet indépendantiste atteignirent des sommets jusque-là inégalés ;  70% des Québécois se disaient alors favorables à l’indépendance du Québec. 

Constatant la crise politique intense qui sévissait au Québec, les fédéralistes firent tout en leur pouvoir pour la résorber.  Ils organisèrent un référendum pancanadien portant sur le nouvel accord de Charlottetown qui n’était rien d’autre qu’une version édulcorée de Meech et qui ne comprenait plus rien concernant l’identité québécoise.  Les Canadiens rejetèrent l’accord de Charlottetown parce qu’ils considéraient que le Québec en obtenait quand même trop ;  et les Québécois le rejetèrent tout aussi massivement parce qu’ils considéraient que le Québec n’en obtenait pas suffisamment.  La crise était totale et la table était mise pour un nouveau référendum sur l’indépendance du Québec.

Ce référendum sur l’indépendance eut lieu le 30 octobre 1995, soit cinq ans après l’échec de l’Accord du Lac Meech; les fédéralistes étaient donc parvenus à gagner du temps.  Les taux d’appuis à l’indépendance du Québec s’étaient effondrés depuis l’échec de Meech, se situant désormais tout juste sous la barre des 40%.  Cela ne freina en rien l’ardeur de Jacques Parizeau, le nouveau premier ministre du Québec et chef du Parti Québécois.  Homme honnête et intègre, Parizeau n’avait toutefois pas prévu que le Canada serait prêt à tout pour conserver le Québec sous son joug.  Il n’avait pas songé un seul instant que le Canada tricherait de toutes sortes de façons lors du référendum :  usage éhonté de l’argent public afin de servir l’unité canadienne et d’acheter les consciences, naturalisations en vitesse de milliers d’immigrants qui obtenaient illico le droit de vote et votes illégaux enregistrés de bien des manières en faveur du camp du Canada.  N’ayons pas peur des mots, le référendum de 1995 a été volé par les forces canadiennes.  Si ce n’avait été des magouilles canadiennes, les souverainistes auraient obtenu beaucoup plus que les 49,4% des votes exprimés en faveur du Oui lors de ce référendum manipulé, et le Québec serait un pays depuis 1995.

Tout ça pour dire que les Québécois sont drôlement bien placés pour comprendre la nature de la crise politique qui frappe la Catalogne depuis le charcutage de l’Estatut par le Tribunal constitutionnel d’Espagne.  Nous comprenons toute l’injustice qu’il y a à se faire imposer des décisions politiques par un système politique qui est contrôlé par des gens qui ont toujours combattu nos peuples.  Se faire dire par Madrid que le peuple catalan n’existe pas et voir cette capitale interdire toute obligation d’apprendre la langue catalane, c’est scandaleux et choquant. Et il en va de même lorsque le Canada pilonne le caractère distinct du Québec, Canada qui utilise ses institutions comme la Cour suprême pour ce faire, notamment en charcutant la loi 101 qui régit la situation de la langue française au Québec.  Au Québec, nous comprenons la colère qui habite les Catalans, vous pouvez en être assurés.  

Alors que j’agissais à titre d’observateur international, ce sont toutes ces similitudes entre nos deux luttes qui me venaient constamment à l’esprit. J’observais vos militants et je pensais aux nôtres.  J’analysais le travail effectué par vos partis indépendantistes, et je pensais aux nôtres.  Je scrutais les agissements de ceux qui se prétendent vos maîtres et qui sévissent de Madrid, et je pensais à nos faux-maîtres d’Ottawa.  J’évaluais la vitalité de la langue catalane, et je réfléchissais au futur du français au Québec.  Un océan avait beau séparer nos deux peuples, nos sorts demeuraient quand même ô combien similaires.

Nous sommes donc, nous au Québec, très bien placés pour savoir ce qu’implique le chemin que vous avez décidé d’emprunter afin de mettre un terme à l’injustice que signifie la soumission politique.  Pour défendre votre peuple et votre langue, vous voulez réaliser votre indépendance.  Démarche légitime s’il en est une.  Mais elle est ô combien complexe, ardue et jonchée d’obstacles.  Pour l’instant, Madrid vous refuse le droit démocratique d’organiser un référendum portant sur votre indépendance, certaines formations préconisent donc la déclaration unilatérale d’indépendance. Mais référendum ou pas, la mission que vous vous donnez est herculéenne, nous le savons que trop bien, ici, au Québec.  Et ce, parce que les régimes politiques qui contrôlent et soumettent les peuples sont partout les mêmes :  antidémocratiques dans leur for intérieur et désireux de tout faire pour maintenir en place les chaînes des peuples qu’ils asservissent.  Demeurez donc très vigilants.  Que les coups fourrés qu’on nous a réservés au Québec alors que nous voulions réaliser notre indépendance vous servent de matière à réflexion!

Mais l’expérience que j’ai vécue en Catalogne me permet malgré tout d’être optimiste en ce qui concerne le futur de ce peuple en lutte.  Alors que j’agissais à titre d’observateur international, j’ai vu des centaines et des milliers de Catalans qui étaient bien décidés à mettre résolument l’épaule à la roue pour en finir avec les liens les unissant à l’Espagne.  L’esprit de sacrifice et la vigueur et le courage des militants catalans dont j’ai été témoins me permettent de croire que la Catalogne libre pourrait bel et bien voir le jour.

Je vous le souhaite très sincèrement.  Mais je nous le souhaite également à nous, du Québec.  Et pas seulement parce que nous aimons voir les autres peuples se libérer.  Mais aussi parce qu’en brisant les chaînes de l’asservissement, la Catalogne donnerait un magnifique exemple au monde qu’il est possible de vaincre de grands pays de l’Occident. Cet exemple nous servirait au Québec dans la lutte qui nous oppose au Canada. Il servirait également les Basques, les Écossais, les Bretons, les Galiciens, les Wallons et les Flamands, les Sardes, qui eux aussi aspirent à vivre mieux, à vivre libres. Alors, allez-y les Catalans, faites votre indépendance.  Vous deviendrez ainsi un exemple à suivre pour la suite du monde.

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