Le mouvement indépendantiste est-il dépendant du PQ?

Les sondages des deux dernières années ont dessiné une tendance claire qui porte nombre de commentateurs à parler d’une déconfiture électorale péquiste comme d’une quasi certitude. C’est aller beaucoup trop vite aux conclusions. Certes, nous savons ce que sont les intentions de vote des Québécois à ce jour et ce qu’elles ont été au cours des récents mois, mais les sondeurs ne prédisent pas ce qu’elles seront après quelques semaines de campagne électorale, exercice propice par excellence au renversement de tendances.

Le PQ part troisième, stationné à ce qui semble être un assez solide plancher d’appui de 18% à 20%, derrière un PLQ portant les stigmates de quinze années de pouvoir quasi ininterrompues, et une CAQ scrutée à la loupe, réceptacle d’espoirs démesurés, cible de toutes les attaques et amplement capable de se mettre les pieds dans les plats. Dans un tel contexte, les péquistes ont le droit de croire en leurs chances de progresser.

Les électeurs connaissent mal Jean-François Lisée, qui joue depuis à peine deux ans le rôle très ingrat de chef de l’opposition. Ils vont découvrir un homme combatif et talentueux, un bon débatteur en pleine maîtrise des dossiers. L’image de M. Lisée est, en ce moment, à ce point amochée que le chef péquiste ne peut que surprendre agréablement. Il en va de même pour son parti qui, par ailleurs, demeure une force militante unique en son genre, qui supplante largement celles de la CAQ et du PLQ.

Aussi, ni François Legault, ni Philippe Couillard ne sont en capacité d’incarner la nouveauté, alors que cette campagne se déroule jusqu’ici sous le signe de l’aspiration au changement. C’est plutôt le chef du PQ qui, outre Manon Massé, sera d’une certaine façon le nouveau visage de la campagne.

On pourrait ajouter d’autres éléments de nature à donner espoir aux péquistes, tout comme, bien sûr, on pourrait exposer la liste des obstacles qui se dressent devant eux, au sommet desquels se trouve la mauvaise relation qu’entretient leur parti avec son option fondatrice. Si la garantie d’un retour en force du PQ n’existe pas, et encore moins celle d’une victoire, il s’agit de se rappeler que la défaite cuisante n’est pas assurée non plus. Attendons au moins le débat des chefs avant de se lancer dans des pronostics plus définitifs.

D’un point de vue indépendantiste, maintenant, que signifient les perspectives péquistes? Il fut un temps où les succès du mouvement indépendantiste se mesuraient à l’aulne de ceux du Parti québécois. Si ce réflexe persiste largement aujourd’hui, il est pourtant périmé. Sur la question de l’indépendance, le PQ est retranché dans l’attentisme complet depuis la fin 1995, hormis pour le bref épisode de la transition Landry-Boisclair. De ce fait inaudible et sans initiative depuis plus de vingt ans, le souverainisme officiel a rompu tout lien avec ce qui est désormais une génération entière — la jeune génération, cela va de soi –, qui pense aujourd’hui bien souvent, comme les plus vieux d’autrefois, que l’indépendance est un geste de repli sur soi, alors que le Canada et l’anglais signifieraient la modernité et l’ouverture sur le monde. Apparemment insensibles à ce lamentable gâchis, les ténors du PQ en remettent, et promettent explicitement et solennellement, s’ils prennent le pouvoir, un mandat entier de mise en veilleuse de toute proposition indépendantiste concrète. Cela signifie essentiellement quatre autres années de silence. Pour quiconque pense que, afin de mettre un terme à cette longue et dévastatrice dépression du souverainisme, l’indépendance doit urgemment être promue et défendue avec un minimum de sérieux et de ferveur, une telle éventualité est absolument inacceptable. — Il y a bien Québec solidaire, officiellement souverainiste, qui s’adresse aux jeunes; toutefois, on le note encore dans la présente campagne, le discours et la grille d’analyse indépendantistes sont très peu perceptibles chez QS –.

Vaut-il mieux des forces indépendantistes qui se reconstruisent dans l’opposition, même après une autre défaite du PQ, ou le prolongement par le « bon gouvernement » d’une politique attentiste qui n’a, jusqu’ici, jamais mené qu’à davantage d’attentisme et à l’effondrement de l’option qui se profile désormais? On peut répondre à cette question par un (immense) acte de foi et se dire que les péquistes, une fois empêtrés dans le difficile exercice du pouvoir provincial sans démarche d’indépendance, obtiendront un résultat différent de celui qu’ils ont toujours obtenu dans de telles circonstances et réussiront, peut-être aidés par des événements inconnus à ce jour, à placer l’option en bonne posture pour l’après 2022. On ne sait jamais. Tout est possible, y compris l’improbable.

Reste que, en tout état de cause, une victoire péquiste perpétuerait les conditions qui ont mené à la situation dans laquelle se trouve en ce moment le mouvement indépendantiste.

Quant à une remontée du PQ qui n’irait pas jusqu’à la victoire, elle se ferait vraisemblablement au profit des libéraux et au détriment de la CAQ, un parti dirigé par un ancien péquiste, entouré d’anciens péquistes qui pensent, comme l’élite du PQ, que l’indépendance est un beau projet qu’il vaut mieux mettre sur la glace pour l’instant; un parti qui, en outre, promet bien davantage que le PLQ dans le dossier de la langue et de l’identité. On peut difficilement parler là d’un gain potentiel pour ceux qui souhaitent aujourd’hui « sauver les meubles » par le nationalisme provincial, nombreux chez les supporteurs péquistes, sauf peut-être, dans une modeste mesure, advenant un gouvernement minoritaire caquiste ou libéral.

En bref, il est loin d’être clair qu’appuyer le Parti québécois en 2018, c’est aider l’indépendance, ou aider le Québec à cheminer vers son indépendance, davantage que de ne pas l’appuyer. En fait, l’analyse la plus froide tend plutôt à démontrer le contraire, n’en déplaise à ceux qui, se réclamant d’un souverainisme de raison et de bon sens, cautionnent le choix du PQ de mettre l’option en veilleuse pour encore plusieurs années.

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