L’autoritarisme au Québec, un mythe ?

Tous ceux qui ont suivi minimalement les dernières manifestations de Montréal via les sites de journalisme alternatif, comme CUTV et 99% Média, ou les centaines de vidéos qui en sont dérivées, ne peuvent qu’être abasourdis de voir à quel point les policiers font vraiment ce qu’ils veulent. Évidemment, l’on me rétorquera que les manifestants ont la vilaine manie de les provoquer à l’excès et de trop souvent confondre le travail d’exécutants qu’ont les policiers à celui des législateurs et des juristes, ce qui rend leurs positions souvent peu crédibles. Cela est vrai certes, mais depuis peu de temps je suis beaucoup moins enclin à accepter ce genre d’arguments, car avec le nouveau règlement municipal P-6 (espèce de loi 78 en plus tordue), les policiers ne sont plus que de simples exécutants, mais maintenant aussi de petits juristes en herbe, car ce règlement leur donne un pouvoir d’interprétation tout à fait aberrant sur ce qu’est une manifestation illégale ou non. Si nous considérons que ce règlement impose, en plus des organisateurs, la responsabilité de la légalité de la manifestation à chaque individu présent sur place, avec le risque inhérent de l’arrestation, pas besoin d’être complotiste pour comprendre que ce nouveau règlement donne le droit de vie ou de mort à toutes les manifestations sur le sol montréalais. Il est donc sans nul doute devenu impossible de manifester en sécurité si la manifestation conteste potentiellement quelque chose que les policiers n’aiment pas, donc à peu près toute forme de dénonciation de l’ordre établi. Il ne leur suffit pour ce faire que d’envoyer leur pote Sylvain dit ”le collabo” masqué ou bien faire semblant que la manif ne suit plus son itinéraire. Et hop ! Tous au cachot ! Avec une prime de départ de 637$ en moins pour bonne conduite (ceux qui ont résisté auront un ticket bien plus salé !). Ce règlement et toutes ses implications antisociales ont été magistralement bien critiqués par François Limoge, qui en démontre l’incontestable caractère arbitraire. Un règlement qui ne respecte pas le moins du monde le droit d’expression et qui serait condamné sans réserve s’il avait lieu dans un des pays dit de « l’axe du mal », et probablement digne d’un « bombardement humanitaire » quelconque. 

Ah qu’il est bon et tellement plus gratifiant de prétendre que c’est pire chez le voisin et de condamner sans réserve les prisonniers politiques cubains qui n’existent pas, l’antidémocratisme de feu Hugo Chavez (élu président 4 fois de manière indiscutable), la soi-disant persécution des juifs en Iran ou le bien entendu fondamental antiracisme canadien comme le fait ironiquement Lysiane la farceuse Gagnon et les autres matamores de la presse grand public. Mais vous savez, il faut savoir diaboliser pour pouvoir stigmatiser ceux que l’on souhaite faire taire. Et quoi de mieux que d’utiliser les mêmes techniques qu’utilise l’école primaire contre l’intimidation pour arriver à nos fins ? Le grotesque cas de Jennifer Pawluck, jeune militante anarchiste de 20 ans, ridiculement accusée d’intimidation envers l’un des représentants du pouvoir exécutif (lourdement armé et protégé de par son métier) Ian Lafrenière, est fort de sens. Il est vrai qu’elle a fait l’usage d’une image d’un graffiti pas très gentil à son endroit, mais avouons que celui-ci est de très faible dangerosité si l’on se fie à l’expérience qu’ont les dirigeants péquistes face aux innombrables dessins sadiques que fabriquent les angryphones continuellement contre eux. Il est pour toute personne critique très évident que ce règlement causera d’énormes troubles si la police s’enfle la tête moindrement avec son pouvoir. Et il est facilement prévisible à court terme de voir se multiplier les histoires absurdes comme l’interdiction, via P-6, du rassemblement de sensibilisation des automobilistes à la sécurité routière devant l’école Saint-Pierre-Claver, à cause de la non-divulgation de l’itinéraire autour de l’école.

De la même manière, Mathieu Bock-Côté nous faisait savoir, avec sa suffisance habituelle, qu’il n’y a aucun rapport entre la méchante colonisation algérienne et vietnamienne d’un vilain pays comme la France et  celle d’un empire aussi gentil que la Grande-Bretagne. Un pays aussi démocratique que le Canada ne peut donc en rien aller à l’encontre des droits de l’homme, à l’instar du « big brother » du sud qui respecte tous les droits humains dans les camps de vacances de Guantanamo (sic), même si l’article 18 de la déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 2 de sa propre charte des droits et libertés s’en trouve violés par un règlement municipal. Les esprits éclairés sauront comprendre que ces chartes de droits n’ont jamais servi qu’à protéger le droit de propriété des nantis et indirectement leur mainmise sur la société, donc il n’est nul besoin de pleurer quand on voit en action la collusion des pouvoirs (entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire), car de celui-ci découle l’ensemble de l’autoritarisme de l’État canadien et donc québécois. 

Autoritarisme ici !? Bien voyons donc ! Pas dans le pluss beau pays du monde ! Malheureusement oui, et cela est d’abord dû au vice systémique que comporte le parlementarisme britannique, où l’on mêle volontairement les rôles d’exécutif et de législatif dans la fonction ministérielle (les lois bâillons de Charest 43, 115 et 78 en sont des conséquences concrètes), sans compter la nomination des juges, dont ceux de la cour suprême, par les partis au pouvoir. Cette situation pourrait bien expliquer pourquoi notre bienveillante cour suprême est celle-là même qui, avant sa complète autonomie en 1949, était la plus souvent cassée par la haute cour de l’empire britannique (à 50% des cas) pour partialité politique. À titre d’exemple, l’Afrique du Sud ségrégationniste ne l’était qu’à environ 25%[1] . La grande classe quoi ! Cette cour, qualifiée d’activiste judiciaire, nous démontrera probablement, lorsque les futurs jugements sur P-6 seront rendus, que ce règlement n’est en rien anticonstitutionnel, que les vaches sont bien gardées et patati patata …   

Évidemment, notre situation en terme d’arbitraire et de violence n’est pas encore comparable à ce que vivaient et vivent toujours les pays des révolutions arabes, comme celle du Bahreïn (grand ami du Canada) toujours en révolte et où l’on tire sur la foule et assassine les leaders révolutionnaires. Mais ne soyez pas naïfs, il n’y pas de différence de nature pour ce qui est du pouvoir oligarchique, notre différence tient simplement dans le fait que les rebelles du printemps québécois avaient beaucoup trop à perdre pour se lancer dans une réelle insurrection, car autrement les autorités ne se seraient pas gênées pour faire feu. De plus, les organes politico-policiers sont beaucoup trop intelligents pour frapper directement sur les contestataires et préfèrent de loin les persécutions indirectes, ce qui facilite de beaucoup la propagande médiatique sur les risques que courent nos belles institutions démocratiques face à ces hordes de barbares cagoulés. 

Ceci est donc définitif, le Québec n’est pas une république de bananes, mais une nation régentée par une monarchie de bananes où avec un fin mélange de pain, de jeux, de démagogie, d’abêtissement de masse et de persécution discrète on récolte de bien meilleurs résultats que dans toutes les dictatures du golfe persique que nos dirigeants aiment tant. Simplement, pour que puisse continuer à exister l’opposition au pouvoir, il va falloir apprendre à vivre avec son temps et cesser la tactique de la martyrologie. Alors, sans bêtement tomber dans les actions violentes de manière irréfléchie, les manifestations pacifiques à slogans grégaires devraient être dépassées, afin de créer de nouveaux fronts d’opposition à ce système injuste. Sans pour autant s’abandonner non plus à ce système parlementaire de démocratie pour rire, il faut prendre en main le problème et agir là où le pouvoir peut être pris, comme l’ont fait ceux d’en face. Quand il y a arbitraire, il faut savoir donner aux droits leur substance sans rien attendre de ceux qui les ont vidés de leur contenu. Comme dirait le Che, « il appartient à tous les révolutionnaires de faire avancer la révolution ». Et comme tout reste à faire, bien disons nous à bientôt !  

 

 

 


[1] Murray Greenwood, Lord Watson, Institutionnal self-interest, and the decentralisation of Canadian federalism in the 1890’s, [1774] 9 U. B. C. Law Review, 244, à la p. 266.        

 

 

 

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