La nouvelle charte des valeurs consacre la victoire du multiculturalisme de Trudeau père

Parmi les arguments massues servis à ceux qui, comme moi, s’opposent à la nouvelle charte de valeurs, sort du lot celui qui veut que nous soyons des multiculturalistes canadiens finis. Rappelons la genèse du multiculturalisme canadien.

En l’adoptant en 1971, le gouvernement de Trudeau père avait deux objectifs.

a) Mettre fin au projet d’un Québec libre et indépendant; jumelé au bilinguisme adopté en 1969, le multiculturalisme visait à réduire la culture « canadienne française » à une parmi d’autres, comme celles des Ukrainiens du Manitoba ou des Italiens à Toronto ou à Montréal. L’impact voulu au Québec était d’ériger un mur entre une partie de la population et la majorité. Partitionniste avant l’heure, Trudeau n’a-t-il pas invité les Italiens de Montréal de se séparer du Québec si le Québec persistait dans son projet?

b) Assimiler les grandes communautés immigrantes que le Canada peinait à assimiler à la majorité anglaise, notamment en raison du « English standoffishness », qu’on décrirait comme la froideur et distance historiques des Anglais à l’égard de l’étranger, du genre « It’s fine if they are here, but not too close please ». Ce serait un creuset à l’américaine (melting pot) faisant des immigrants de bons Canadiens anglais, tout en gardant une apparente couche multiculturelle canadienne (des costumes).

Le gouvernement du Parti Québécois, dont le projet de pays était prégnant, répond aux deux volets de cette politique canadienne avec la Charte de la langue française (Loi 101), une loi avec une portée que seul pouvait concevoir et mettre en œuvre un mouvement qui voyait l’avènement, dans un avenir rapproché, d’un Québec doté de tous les pouvoirs d’un pays normal. Cette loi visait l’assimilation (oops! l’intégration) à la majorité de langue française toutes ces communautés qui s’anglicisaient.

Ottawa sort ses armes de destruction juridique pour réduire en charpie cette loi. Malgré le maintien de quelques éléments clés de la Loi 101, comme l’obligation de fréquenter l’école française, Ottawa aura réussi à stopper la progression du français comme langue d’intégration des immigrants et à remettre en marche l’anglicisation au Québec. Les coups fourrés du référendum volé de 1995 y donnent le coup de grâce.

L’intégration/l’assimilation des immigrants est une question de pouvoir : on aura généralement réussi au Canada parce qu’on sait qui détient le pouvoir, alors que le Québec peine à y réussir car le pouvoir du Canada anglais continue à dominer.

C’est sous cet angle qu’il faut analyser les chartes de valeurs de 2013 et de 2019. Ce sont des projets de loi provinciaux de minoritaires résignés à leur statut de minorité culturelle dans un Canada multiculturel. Un aveu d’échec de politiciens ayant abandonné le projet d’indépendance.

Car ne nous leurrons pas, François Legault ne fera pas l’indépendance du Québec. Ayant quitté le PQ en 2009, il réapparaît en 2010 avec à ses côtés des hommes d’affaires à qui il avait juré que son flirt souverainiste était fini, qu’il ne bouleverserait jamais l’ordre constitutionnel canadien et que ces mêmes amis pourraient continuer à être des minoritaires prospères au Canada. Ensuite, il a mené trois campagnes électorales contre la souveraineté du Québec.

Pour gagner son pari, même si les coûts pour le mouvement souverainiste en termes de division et d’acrimonie sont incalculables, M. Legault se devait d’offrir un bonbon qui lui permettrait de mettre à sa main assez de nationalistes. La nouvelle mouture de la charte des valeurs sert à ça : les nationalistes, faute de faire l’indépendance et d’intégrer à la majorité tous ces gens issus de l’immigration dans un pays libre, pourront se dire, au moins on va faire de « l’affirmation nationale ».

Ironie du sort, alors que les défenseurs de cette charte fustigent les opposants « multiculturalistes », ce projet consacre la victoire du cadre du multiculturalisme canadien tel que l’avait conçu Trudeau père.

Laissons le dernier mot à Jacques Ferron : « Le Québec s’est défendu comme il a pu, usant de moyens subtils dont le meilleur fut de donner au monde et au reste du Canada de fausses images de lui-même. Ce moyen avait des inconvénients, en particulier celui de nous mystifier nous-mêmes. »

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