Michel Goudreau est un militant de Québec solidaire. Il y a peu, il a appris – presque par hasard il faut bien le dire- que des travaux d’exploration auraient lieu dans son coin de pays, la Baie-des-Chaleurs, en Gaspésie. L’objectif des prospecteurs ? Trouver de bons filons d’uranium que se propose d’exploiter avec avidité la compagnie canadienne-anglaise Terra Firma Resources. « Si on a appris que des travaux d’exploration auraient lieu chez nous le printemps prochain, c’est parce que la direction de Terra Firma Resources a dû émettre un communiqué pour informer ses actionnaires d’un changement survenu depuis peu dans le dossier. Quelqu’un m’a apporté ce communiqué. Ce document indique qu’une partie du territoire visé par les prospecteurs est sur le point de passer aux mains des Amérindiens de Listiguj », explique M. Goudreau. Ce que cela signifie, c’est que cette portion de territoire ne sera dès lors plus soumise à la laxiste loi sur les mines du Québec. Ce territoire relèvera du fédéral. Ce qui inquiète la compagnie, raison pour laquelle les actionnaires devaient en être informés.
Les travaux d’exploration prévus dans la Baie-des-Chaleurs doivent s’échelonner sur trois ans. Terra Firma Resources prévoit consacrer 750 000$ à ces travaux.
Le dossier de l’uranium inquiète bien des Gaspésiens. Il faut dire que cette industrie est reconnue pour les risques qu’elle fait peser sur l’environnement et la santé des communautés humaines. Santé Canada indique que l’exploitation de l’uranium provoque l’émission de gaz radon et thorium et disperse des poussières contaminées par des métaux lourds comme l’arsenic, le plomb et le nickel. Le radon pénètre les tissus de l’organisme humain et accroît ainsi les risques de cancer. Tout ça a conduit des provinces comme la Colombie-Britannique, d’où provient Terra Firma Resources, à décréter un moratoire sur l’exploitation de l’uranium.
Qui plus est, les prospecteurs se proposent de mener leurs activités tout juste à côté de la prise d’eau de la ville de Pointe-à-la-Croix, risquant ainsi de contaminer l’eau consommée par les habitants ; le secteur comprend également un riche marais qui est, pour l’heure, la propriété de Canards illimités.
On peut comprendre les Gaspésiens habitant le secteur de Pointe-à-la-Croix de s’opposer à ce qu’une compagnie étrangère ne vienne chez eux exploiter une ressource naturelle qui pourrait mettre leur santé en péril. Pour s’opposer efficacement à ce projet, Michel Goudreau et d’autres citoyens ont dernièrement créé la Coalition Stop Uranium. Cette coalition réclame, dans un premier temps, l’imposition d’un moratoire sur l’exploitation de l’uranium. Pour l’heure, ils ont reçu une fin de non-recevoir de la part de la ministre libérale Nathalie Normandeau. En entrevue à la radio gaspésienne CHNC, elle a déclaré : « Il n’y aura pas de moratoire ni de modification au système de droits miniers ».
La nébuleuse a la Gaspésie dans sa mire
Il n’y a rien d’étonnant de voir les libéraux, Nathalie Normandeau en tête, s’opposer aussi fermement à l’imposition d’un moratoire dans le dossier de l’uranium. Et ce, parce que bien des amis de la nébuleuse libérale sont impliqués dans le dossier et rêvent de s’enrichir grâce à lui.
Tout d’abord, nous retrouvons Vital Arsenault. Celui-ci est prospecteur minier et habite à Bonaventure. C’est lui qui possède les droits d’exploitation (claims) sur les territoires visés par Terra Firma Resources. De ce fait, la compagnie n’a eu d’autre choix que de s’entendre avec M. Arsenault, lui qui est propriétaire de la compagnie minière La grande coulée inc. Ce dernier a indiqué que Terra Firma lui remettrait 75 000$ durant la période où les travaux d’exploration auraient lieu, c’est-à-dire au cours des trois prochaines années. Si le projet est abandonné, ce libéral perdra beaucoup d’argent. Ce que la nébuleuse n’apprécie jamais.
Vital Arsenault a assisté à la rencontre de formation de la Coalition Stop Uranium. « Il a pris la parole. Et tout ce qui l’inquiétait, c’était de savoir qui le dédommagerait si le projet n’avait pas lieu », de souligner M. Goudreau. Lorsque le temps fut venu pour les militants de la nouvelle coalition de parler de stratégie, M. Arsenault a tardé à quitter les lieux. Cela donna lieu à des échanges peu amicaux.
En 2008, Vital Arsenault remettait 2500$ au Parti libéral du Québec de Nathalie Normandeau et de Jean Charest.
Il faut tout de même savoir que Terra Firma Resources fait face à un important obstacle dans ce dossier et il s’agit du marais de Baie au Chêne que possède Canards illimités, un organisme écologiste s’impliquant dans la protection des milieux humides. Le marais se trouve tout juste à côté des territoires convoités par Terra Firma Resources. Est-ce une bonne nouvelle pour les opposants gaspésiens à l’exploitation de l’uranium près de chez eux, eux qui pourraient plaider en faveur de la protection dudit marais pour empêcher les travaux d’exploration d’avoir lieu? Rien n’est moins sûr.
C’est en 2006 que l’organisme Canards illimités est devenu propriétaire des lieux, et ce, grâce au soutien financier du ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec (MRNF) et d’une obscure fondation privée, la fondation EJLB. La transaction était de l’ordre du demi-million$. La ministre Normandeau déclarait à l’époque: « La richesse faunique, la beauté et les multiples usages de ces milieux exceptionnels justifient pleinement leur conservation. C’est un geste qui s’inscrit d’ailleurs dans nos objectifs gouvernementaux d’aménagement durable du territoire ».
On croyait ainsi le marais à l’abri. Et pourtant non. Lors de la transaction initiale, il a été convenu que le marais passerait par la suite sous le contrôle du MRNF. « La gestion d’un tel territoire [433 hectares] est trop lourde pour un organisme sans but lucratif », de justifier Isabelle Gibbson, représentante de Canards illimités.
Le MRNF m’a confirmé que le transfert aurait lieu au cours de la présente année, mais sans me donner plus de précision. Lorsque cela sera fait, le marais de Baie au Chêne sera sous le contrôle d’un ministère dirigé par un gouvernement libéral très ouvert à l’exploitation de l’uranium. Terra Firma aura les coudées franches, et le marais de Baie au Chêne ne sera dès lors plus vraiment un obstacle pour cette compagnie minière. L’exploration minière pourra être lancée sans problème aucun.
Isabelle Gibbson a toutefois précisé que le transfert du marais au MRNF imposait une obligation : celle de protéger cet écosystème ; c’est ce qu’on appelle la clause de servitude. Aucun travaux de prospection ne pourra donc être effectué sur ce territoire. Et à côté ? « L’entente ne concerne que le marais en tant que tel, pas ce qui se fait à côté », de dire Mme Gibbson. Étant donné que la loi sur les mines du Québec permet de mener des travaux à quelques mètres seulement des habitations ou des milieux fragiles, les risques sont très importants que le marais subissent des dommages importants à cause des activités industrielles et minières que mènerait tout juste à côté la compagnie Terra Firma Resources. Que pourrait faire Canards illimités dans un tel cas ? « Il faudrait évaluer les dommages causés au marais, mais on n’en est pas rendu là. Ça me prendrait un avis juridique à ce sujet », a répondu Mme Gibbson.
Cela revient à dire qu’il faudrait attendre que le marais soit lourdement endommagé avant d’envisager une action contre les activités minières qui se mènent aux alentours. Et surtout, il faudrait dans un tel cas composer avec les amis de la nébuleuse libérale qui sévissent de tous côtés dans ce dossier.
Il faut savoir que l’un des deux (!) administrateurs de la section Québec de Canards illimités est un militant libéral. Je fais ici mention de l’avocat Alain Gaul, oeuvrant au cabinet Davies Ward Philipps & Vineberg.
D’avril 2003 jusqu’à 2005, Me Gaul occupa le poste de chef de cabinet de Thomas Mulcair, ministre québécois du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs du gouvernement Charest. En 2004, et à ce titre, Me Gaul défendait l’exploitation de centrales thermiques au Québec. En 1993, il a travaillé pour Jean Charest qui s’était lancé dans la course au leadership du Parti conservateur. Et de 1994 à 1997, Me Gaul était membre de l’exécutif de la commission jeunesse du PLQ. Il a aussi été coordonnateur de l’organisation libérale de la région de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine lors d’une campagne électorale.
Personne ne sera surpris d’apprendre qu’Alain Gaul, administrateur de Canards illimités, a financé le PLQ au cours des dernières années. Il a remis 1325$ au parti de Charest. Et c’est ce militant libéral qui, en tant qu’administrateur de Canards illimités, devra s’assurer que le ministère des Ressources naturelles et de la Faune administré par le gang de son chef Jean Charest protégera un marais et des Gaspésiens contre une compagnie minière du Canada anglais. On peut toujours rêver.
Décidément, la nébuleuse a le bras long ; elle a tout prévu. Elle contrôle même les canards et leurs marais. Dans de telles circonstances, on ne peut que souhaiter bonne chance aux Gaspésiens qui souhaitent continuer de vivre dans un environnement sain. À l’évidence, ils en auront bien besoin. Le système auquel ils font face est aguerri et bien huilé. Sa faim pour l’argent est sans limite. Et malheureusement pour eux, il a actuellement leur coin de pays dans le collimateur…