La détresse est une marchandise affolée

«Repousser les faux-maîtres, voilà l’éternité
Repousser les faux-maîtres, voilà la liberté»

Complainte de mon frère, chant patriotique québécois

En réponse au commentaire d’une personne qui affirme que les émissions produites par Canal V et Québecor ne remplissent que la simple fonction de détendre les gens et les éloigner d’une «routine insoutenable» : Si le quotidien des gens est à ce point intolérable et que la télévision devient un moyen de se séparer de la vie, de déserter le monde et le pays que nous habitons, de se complaire chaque soir devant des émissions plus hystériques les unes que les autres (La Voix, le Banquier, Un souper presque parfait, L’amour est dans le pré, En mode Salvail), il faut s’interroger sur ce qui rend ce quotidien si intolérable. Ces émissions ont comme «public-cible» la classe moyenne québécoise dépolitisée par la force économique néolibérale, la course des centres commerciaux et la frustration légitime des factures sur la table. Et ce n’est pas un hasard si la majorité de ces émissions mettent à l’avant-plan des gens qui proviennent de cette classe moyenne désespérée ; elle en vient à vivre par procuration à travers les péripéties des enseignant-es inventé-es par l’imagination épuisée de Fabienne Larouche et les problèmes de drogues des personnages de Yamaska. Ces émissions fonctionnent précisément sur le simulacre de l’existence collective post-référendaire de la consommation sécularisée : «regardez, vous êtes ici dans la télévision, entourés de beaux meubles et de visages ravissants, ne vous cherchez plus.»

Je ne veux surtout pas faire preuve d’un mépris à l’endroit de la classe moyenne, mais bien comprendre son désespoir, le système de consommation qui en est grandement responsable dans lequel les entreprises de crédit et les firmes publicitaires l’ont enfermée avec la grande complicité des gouvernements et des industries à qui cette saignée économique profite. Elle veut travailler à compte, bercée par l’idéal de la culture entrepreneuriale, et a pris en aversion le nationalisme (non pas la fierté agricole canadienne-française de l’Union Nationale, ni le purgatoire constitutionnel et électoral de la CAQ voué à affaiblir les appuis au Parti Québécois), la social-démocratie et le mouvement syndical qui sont les derniers remparts contre la violence économique du capitalisme mondialisé. Or, cette «trappe médiatique» de diversion sociale et historique que représentent les émissions produites par Canal V et Quebecor qui permet aux contribuables de la classe moyenne (c’est ainsi que François Legault et Philippe Couillard les considèrent) de se détourner de leur «quotidien intolérable» appartient au même système de consommation qui entretient leur désespoir. Le peuple québécois a chuté en dehors de l’histoire. À deux reprises, il a refusé son existence politique et de reconnaître le risque de sa disparition. Maintenant, il s’enfonce toujours plus loin dans l’amnésie et l’asphyxie hypothécaire organisées par les médias de masse de la culture industrielle. La détresse de la «classe-moyenne» est historique.

Que restera-t-il de cette existence historique sinon un héritage du désespoir ? Cet héritage est double et possiblement dangereux : à travers lui que peut-on transmettre sinon une volonté de renverser le cours de notre déshistoricisation, dans le meilleur des cas, ou alors la tentation endémique de se retirer du destin de notre existence collective, de consentir à notre propre disparition. Comme l’écrivait Gaston Miron dans ses «notes sur le poème et le non-poème», la disparition d’un peuple constitue un «crime contre l’humanité, car c’est la priver d’une manifestation différenciée d’elle-même» et que «personne n’a le droit d’entraver la libération d’un peuple qui a pris conscience de lui-même et de son historicité». Toutefois, nous sommes en droit de questionner la réalisation de cette prise de conscience historique ; s’est-elle déjà produite ? Pierre Karl Péladeau a beau déclarer au Journal de Montréal que «nous devons cesser d’être des colonisés», de quel colonialisme parlait-il exactement ?

Comprendre notre époque exige de reconnaître l’obsolescence et le décentrement de certains discours qui autrefois permettaient d’interroger et de déterminer les formes d’oppression qui avaient cours. Le fédéralisme canadien constitue encore certainement une force colonisatrice sur le peuple québécois ; que ce soit par le génocide culturel des populations amérindiennes qui s’exerce au-delà de trois siècles, son multiculturalisme idéologique, son refus de reconnaître le droit du peuple québécois d’exister en dehors de sa tutelle (chose qui est d’ailleurs impossible tant que nous resterons au sein du Canada), les stratégies de corruption des résultats du dernier référendum. Or, la «décolonisation» que propose Pierre Karl Péladeau est condamnée à demeurée fragmentaire ou ridicule, c’est selon, dans le mesure où elle exclut toute dénonciation des méthodes de contournement propres à l’évasion fiscal pratiquées par des méga-entreprises, comme la sienne, qui privent l’État québécois de revenus substantiels pouvant servir à instaurer des modes de perceptions capables de réaliser une véritable social-démocratie au Québec.

Cette «décolonisation» dont parle Péladeau occulte également les conséquences historiques et politiques de la médiocrité télévisuelle et journalistique entretenue par son empire depuis plus de deux décennies. Il est tout de même stupéfiant que le propriétaire d’un réseau de télévision qui à chaque année introduit sur le marché de nouveaux «monologues de l’aliénation délirante» implore les québécois-es de refuser une fois pour toute leur «condition de colonisé». Nous ne sommes pas colonisé-es uniquement par des dédoublements administratifs, ni par des cérémonies monarchistes et le conservatisme fiscal ; nous ne sommes pas uniquement colonisé-es par une domination linguistique et les portraits de bourreaux historiques sur les billets de la monnaie canadienne. Nous sommes colonisés du moment où, comme l’écrit Patrick Chamoiseau, notre «imaginaire s’abreuve, du matin jusqu’au rêves, à des images, des pensées, des valeurs qui ne sont pas les [nôtres], quand nous «végét[ons] en dehors des élans qui déterminent [notre] vie». C’est précisément contre «ces emprises publicitaires, ces prétendues informations, ce monologue d’images occidentales fascinantes» que doit se réinventer le nationalisme québécois ; investir notre survie historique en rupture du colonialisme des images et de la pornographie médiatique. Les images sont nos faux-maîtres.

Posted in éditorial, Journal Le Québécois.

3 commentaires

  1. Il n’y a pas une telle chose qu’un « fédéralisme » canadian…

    Foedus = Alliance ( traité )

    Quand donc Le Peuple Souverain du Québec a-t-il signé de sa noble main démocratique référendaire quelque traité d’alliance que ce soit avec qui que ce soit ? Jamais ! Il ne saurait donc être question de fédéralisme canadian puisque cet État autocrate monarchique s’est imposé de tout temps au Québec d’autorité usurpatrice impériale, de la Conquête à aujourd’hui, en passant par l’État du Canada de 1982 ( cf Histoire des Actes constituants des États s’étant imposés ici sans OUI depuis la Conquête : http://democratie101.unblog.fr/2015/02/22/actes-constituants-qc/ ).

    Il n’y a pas non plus une telle chose qu’une « décolonisation fragmentaire ou ridicule »

    En effet, il y a ou pas décolonisation, du moins étatique… L’État sans OUI du Canada est ou pas RENVERSÉ par Le Peuple. S’il l’est, lui succède un État démocratique républicain qui émane du Peuple, de l’expression libre de ses voix référendaires. S’il ne l’est pas, soit il s’impose sans OUI en foulant aux pieds la primauté démocratique de la souveraineté constituante du Peuple, soit il obtient pour ses Actes constituants le clair OUI référendaire des Québécois,es, en se soumettant lui-même à la rigueur de sa propre loi dite de la clarté référendaire… par une majorité claire répondant à une question claire « Approuvez-vous les Actes constituants de l’État du Royaume de la Couronne canado-britannique ayant cours légal illégitime sur le territoire national du Peuple Souverain du Québec depuis la Conquête du 13 septembre 1759 jusqu’à aujourd’hui ? »

    Ainsi, la décolonisation étatique peut se faire ou ne pas se faire… d’un coup, du seul fait pour Le Peuple de se prononcer par référendum, non plus seulement sur les États abstraits à venir, toujours et perpétuellement à venir, mais bien sur l’État concret très présent s’appliquant illégitimement au Québec par dessus la tête constituante des Québécois,es, pour INVALIDER tout État qui s’impose sans OUI au Québec, tel l’État actuel du Canada, et pour VALIDER dans la foulée dans un référendum à double question constituante, la Constitution primordiale de la République démocratique du Peuple Souverain du Québec.

    Cette décolonisation étatique politique démocratique permet d’engager la décolonisation sociétale et culturelle. Comme cela se passe actuellement dans les anciennes colonies de ce monde, partout dans le monde… que ce soit en Inde, en Chine, ou en Afrique et autres Kabylie, Syrie et Mexique…

    Le problème n’est pas Le Peuple, son aliénation supposée, sa soi-disant ou avérée dépendance à des récits de substitutions et d’évitement, mais bien celle de ses élites politiques soi-disant libératrice qui depuis plus de 40 ans participe directement à la pérennité de l’État de clair déni démocratique canadian du seul fait d’accepter de former des gouvernements collabos qui acceptent de gouverner Le Peuple alors que le gouvernement du Peuple accepte d’être lui-même gouverné par une Loi constituante qui n’est pas celle du Peuple… Ce qu’a refusé de Gaulle en juin 1940, postulant qu’il n’y a pas d’autre alternative que la pérennité de l’asservissement à la gouvernance collabo…

    Il se trouve que René Lévesque a tourné le dos à De Gaulle en novembre 1967 en lançant son manifeste Souveraineté-Association, 4 mois après que de Gaulle se fut écrié VIVE le Québec LIBRE ! le pendant du cri qui terminait ses appels à la libération de juin 1940… s’associer à une dictature, sans prévoir appeler Le Peuple à la RENVERSER… Voilà le travail… près de 50 ans plus tard, l’État illégitime du Canada s’impose toujours sans que Le Peuple n’ait eu l’occasion de se prononcer pour approuver ses Actes constituants.

    Pour changer ça, il faut faire l’UNION des forces démocratiques citoyennes et politiques du Peuple Souverain du Québec. Sans UNION multipartite Le Peuple sera toujours vaincu. L’UNION ne peut se faire qu’autour d’un même Programme COMMUN d’État démocratique républicain qui transcende les concurrents programme de gouvernance des partis ; un Programme COMMUN d’État qui rompt avec la gouvernance collabo et qui s’engage à donner au Peuple Souverain du Québec, sitôt élu un gouvernement de Coalition multipartite majoritaire, l’occasion de se prononcer sur l’État présent pour l’INVALIDER et pour VALIDER dans la foulée l’État devant succéder à l’effondrement de l’État présent.

    Le problème c’est que nos jeunes élites immatures que ce peuple a mis moins de 200 ans à sécréter pour remplacer celles qui avaient quitté à la Conquête, sont justement… jeunes et immatures, encore irresponsables… dès lors qu’elles cessent de valider la gouvernance collabo, tout change…

    Cf Programme COMMUN d’État démocratique républicain ( http://democratie101.unblog.fr/union/ )

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