La culture de l’impérialisme

De passage au Ghana dernièrement, je me suis rendu au haut-commissariat du Canada à Accra pour vérifier si la consigne du premier ministre avait été respectée. (Les ambassades du Canada dans les pays du Commonwealth s’appellent des hauts-commissariats.) Le Ghana est une ancienne colonie britannique qui a acquis son indépendance en 1957. Plus un seul portrait de la reine d’Angleterre ne subsiste aujourd’hui dans les bâtiments publics de ce pays. Le Ghanéen est peut-être moins riche que le Québécois, mais il a toute sa dignité.

Le haut-commissariat du Canada est protégé par deux périmètres de sécurité. Le premier est constitué d’un mur de trois mètres de haut. Sur les côtés et à l’arrière, le mur est surmonté de fil barbelé. À l’avant, sur Independance Avenue, l’entrée est bloquée par une lourde grille coulissante défendue par quatre agents de sécurité ghanéens. La grille est constamment fermée. Les agents ouvrent une petite porte au bout de la grille pour laisser passer les visiteurs un à un. Immédiatement, je dois vider mes poches et me soumettre au détecteur de métal. Ordinateurs, téléphones cellulaires, caméras et appareils photo doivent être laissés à la guérite.

Depuis la banquette où l’on me demande de m’assoir, entre les deux périmètres, j’aperçois six caméras de sécurité. Il y en a peut-être davantage. Les agents du deuxième périmètre inspectent un véhicule avant de le laisser entrer. Ils ouvrent le capot, jettent un coup d’oeil, puis le referment. Avec des miroirs, ils scrutent lentement le dessous. J’explique à l’agent de sécurité qui me reçoit qu’en tant que contribuable canadien, je viens vérifier si le portrait de ma reine adorée trône bien en vue dans le haut-commissariat.

Il est strictement interdit de prendre des photos dans le haut-commissariat. C’est le directeur de la sécurité, un certain monsieur Sutton, à la mine patibulaire et au ventre proéminent, qui me le confirme. Donc, si je finis par voir le fameux portrait de la souveraine, je ne pourrai pas le photographier. M. Sutton m’accompagne à la réception des services consulaires. Pas de trace d’Elizabeth. Grosse déception. L’employée ghanéenne derrière la vitre pare-balle me suggère de me rendre à la réception principale. M. Sutton m’indique rapidement la direction et prend congé, non sans avoir signalé à ses agents de m’avoir à l’œil. On ne sait jamais. Dans mon élan de ferveur monarchiste, je pourrais être pris du désir irrésistible d’embrasser le portrait, ce qui risquerait de l’abimer.

À la réception principale, même vitre pare-balle. Mais au-dessus, cette fois, trois magnifiques photos: Stephen Harper au centre, tel Dieu le père, flanqué à sa droite du gouverneur général, David Johnston, et à sa gauche, comme le Saint-Esprit, de la souveraine en personne, la pétulante Elizabeth. Je m’extasie devant tant de splendeur. Je regarde la Ghanéenne qui se trouve derrière la vitre et lui dis: «N’est-ce pas que vous êtes jalouse des Canadiens, Madame? Avouez qu’elle vous manque, la reine d’Angleterre, depuis 1957. Les Ghanéens aimeraient tant pouvoir l’admirer, eux aussi, dans leurs bâtiments publics.»

Mon interlocutrice perçoit bien mon ton ironique et se met à sourire. Elle me dit: «Non, Monsieur, nous ne voulons certainement pas du portrait de la reine chez nous.» Je félicite la dame pour sa franchise et son patriotisme. Puis je lui signale que notre premier ministre n’aime pas seulement la reine. Il aime aussi bombarder l’Afrique.

Complice de ses amis Sarkozy et Obama, Stephen Harper a envoyé des soldats canadiens donner une leçon de démocratie aux Libyens avec des F-18. À qui le tour la prochaine fois? Peut-être un pays d’Afrique de l’Ouest, puisque Stephen Harper souhaite installer une base militaire canadienne au Sénégal. Le regard de l’agent de sécurité devient un instant plus sombre. Encore une base militaire étrangère dans un pays africain.

Le néocolonialisme n’a pas bonne presse au Ghana. Les humiliations et la douleur du passé ne constituent pas un sujet de réjouissance et ne laissent aucun Ghanéen indifférent. Qu’on soit agent de sécurité ou pas, on garde sa dignité et on sait très bien que, derrière les prétextes de la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue se cache une volonté d’asservir et de piller l’Afrique. Comme au bon vieux temps de l’Empire britannique.

Mon inspection est terminée, et la conversation aussi. L’agent m’escorte jusqu’à la sortie, en silence.

Il est difficile de savoir exactement d’où vient la monarquomanie de Stephen Harper, mais parions qu’une certaine culture de l’impérialisme y est pour quelque chose. Stephen Harper projette de civiliser une partie de l’Afrique en lui inculquant quelques jolies valeurs canadiennes au moyen des fusils et des bombes.

Bien imprégné de l’esprit britannique, Harper se dit sans doute que le meilleur service que l’on peut rendre aux Africains est de les aider à devenir comme nous, les humains de la race supérieure.

En même temps, on peut leur choper un peu de pétrole, d’or ou de coltan au profit du grand capital, puisqu’ils ne sauraient pas quoi en faire de toute manière.

Pendant ce temps, les contribuables québécois paient les bombes et les fusils des guerres impériales canadiennes ainsi que les vitres pare-balles des ambassades néocoloniales, qui feraient une cible de choix pour les peuples fatigués de subir.

God save the Queen.

 

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