Il y a des bouffons moins drôles que d’autres…

On commémore ces temps-ci le 10e anniversaire de mort de Falardeau et malheureusement ce qui était prévisible se produit : on le rend docile et presque calme, alors que cet homme, au discours rugueux comme du papier sablé, faisait chier tous les establishments quels qu’ils soient. On veut ramener à la mémoire un Falardeau susceptible d’être enseigné à l’université, un Falardeau aseptisé, en canne. Mais moi, celui qui m’a le plus marqué comme bien d’autres, c’est le Falardeau du Temps des Bouffons. Un intellectuel tranchant qui ne niaise pas avec les mots et qui les utilise comme des torpilles pour péter la coque des pleins de marde qui nous dirigent.

Aujourd’hui Falardeau nous manque parce que les bouffons restent et se multiplient comme des lapins. Il y a toutes sortes de bouffons : ceux qui croient que le Canada rime avec l’ouverture d’esprit, alors que c’est un État colonial fini; ceux qui pensent qu’être nationaliste c’est cracher sur les autres cultures en abandonnant la moindre volonté d’émancipation nationale; ceux qui pensent qu’on peut réformer le système capitaliste sans tasser du pouvoir une classe qui a tout à perdre si le système tombe; ceux qui pensent qu’on va sauver la planète en recyclant nos peaux de bananes. Mais il y a des bouffons moins drôles que d’autres sans pour autant être moins les laquais des puissants. Ce qui fait moins rire, ce n’est pas tant que leurs conneries sont plus faibles en absurdité, mais plutôt que leurs conneries sont dangereuses, excessivement dangereuses. Ces gens-là mettent en danger des centaines de millions d’humain pour une poignée de cash et on leur donne tous les honneurs réservés aux pires crosseurs comme ça arrive toujours.

Nos bouffons connaissent leur place et ils y tiennent, ils aiment le pouvoir pour eux-même et savent le flairer comme les requins flairent le sang. Pourtant, on se tromperait à penser qu’ils ont le pouvoir. Ils feignent de l’avoir, parce qu’en fait, ils ne sont que les pantins des actionnaires et autres pleins de cash qui nous crossent à n’en plus en finir. Le bouffon est un mime, il fait semblant d’avoir du pouvoir, il ne parle même pas, la voix qu’on entend n’est pas de lui. Pire, le bouffon est comme un chien de police : une bête affreusement bien dressée pour appliquer les ordres en échange des mêmes gâteries. Pas même un chien en fait : une sorte de guenille avec laquelle s’essuient les riches et les puissants avant de la laisser traîner sur un comptoir en marbre qui donne l’impression d’être une guenille de luxe. Non, les bouffons n’ont pas le pouvoir, mais ils aiment les titres importants : honorable, lieutenant, président, général, etc.

Ça fait sérieux, ça fait puissant, ça donne aux bourgeois qui vivent leur spleen postmoderne l’impression de ne pas être aussi insignifiants qu’ils le sont en vrai. Mais ces gens-là sont les plus dangereux. Les grands capitalistes qui sont les fossoyeurs de l’humanité le font parce qu’ils ont le pouvoir de sauver leur peau et parce que leur pouvoir s’étend toujours plus et d’une manière toujours plus totale sur les collectivités, les peuples et les individus. Ils ont tous les défauts sauf celui d’être naïfs, ils savent bien ce qu’ils font et n’ont pas d’illusion à ce sujet. Les autres par contre, nos fameux bouffons qui consomment la notoriété et les titres importants comme on sniffe de l’essence à s’en brûler le cerveau, ceux-là me font peur. Ce sont des maniaques qui immoleraient tout, y compris eux-mêmes, pour devenir des honorables-ci ou des lieutenants-ça.

Maintenant que c’est dit, comment conclure ce genre de texte? Si le monde n’était que ça, il n’y aurait peut-être rien d’autre à faire que de s’asseoir et attendre en regardant le massacre qui vient, celui qui va pousser à la mort, à la famine, à l’exil et dans des camps de réfugiés des millions et des millions de personnes. Mais il est des époques où le peuple se cabre et renverse toute la cour, le roi, la reine, les bouffons, toute cette gang-là finit à terre la face dans la poussière. Y a-t-il quelque chose de plus beau qu’un peuple assez fier pour crisser à terre toute la misère de sa condition et ceux qui en sont les responsables en l’instant de quelques jours glorieux? Qu’on en finisse avec la connerie des dirigeants et de leurs laquais, qu’on ose appeler un chat un chat et un pourri un pourri. Seule la vérité est révolutionnaire disait l’autre, il est peut-être temps qu’on le comprenne comme Falardeau.

Posted in chroniques arts et culture, Journal Le Québécois.

Militant indépendantiste et anticapitaliste