Héritage du socialisme chrétien au Québec

En marge d’Alternative Socialiste, que Carlo Mosti m’annonce comme un groupe «qui se revendique des idées de Michel Chartrand et des indépendantistes du mouvement ouvrier et syndicaliste», je retourne dans mes souvenirs de Michel Chartrand. Cet homme du XX ème siècle, mort à 93 ans, en 2010, me met sur la piste d’un héritage qui va au-delà du syndicalisme et du socialisme. Michel Chartrand était aussi un conservateur social. Et je me demande si ce n’est pas cette dernière part de son héritage qui est la plus pertinente pour l’avenir.

Michel Chartrand était venu plusieurs fois nous encourager en 1969 lors de l’Opération alarme, manifs et grève de la faim de dix jours contre le chômage étudiant. Il trichait un peu le bougre en nous ramenant du jus de carottes fraîchement pressé mais en quantité minimale. Plus tard, à Sept-Iles, s’adressant à nos assemblées syndicales où je ne l’appréciais guère, étant alors dans un engagement marxiste-léniniste, il était bien accueilli et applaudi par la foule.

Michel Chartrand n’est pas classable dans le socialisme dit scientifique (soit marxiste) mais dans le socialisme chrétien, plus proche de Proudhon que de Marx. Selon moi, l’histoire lui donne amplement raison. Il a marché avec sa femme, Simone, vers une société de partage que je rattache à Jésus-Christ qui chasse les vendeurs du temple, tel que le rapportent les Évangiles, hauts faits mis en scène admirablement dans le film de Martin Scorcese, La dernière tentation du Christ. Le fondement de la chrétienté est un socialisme qui appelle au partage et à la charité. Si je le dis c’est que je crois que ce sont des propos que ne renieraient pas Michel Chartrand ou Gaston Miron. Ce dernier n’ayant jamais voulu désavouer l’église qui l’a éduqué et ouvert au monde. Ceci contre toute attente et par devers une complète ingratitude de tant des nôtres. La post-chrétienté en continuité va, mais la laïcité militante n’est pas de nous mais d’obédience maçonnique et communie à d’autres projets.

Je suis bien à l’aise pour en parler n’étant pas grenouille de bénitiers. Je me targue d’avoir initié un festival étudiant au secondaire qui comptait l’enlèvement des crucifix de toutes les classes de l’école et leur substitution dans notre propre classe par des affiches de Karl Marx, Frederich Engels, Sokeley Carmichael, Ernesto «Che» Guevara et un cinquième, dont je ne me souviens pas, possiblement Malcom X ou une vedette-martyr des Black Panthers… En pleine «déconfessionalisation», 1968, geste discutable de carabins, j’étais de mon temps. À me battre aujourd’hui pour retirer des crucifix, je ne le serais plus.

La révolution tranquille (les États généraux du Canada français en 1969, pour être plus précis) a consacré l’exil des deux Canada français qui ne faisaient qu’un jusqu’alors, sur des bases essentiellement religieuses devenues faussement national-dogmatiques, avec Ottawa en arrière-plan. Les Québécois ne pourront se libérer sans embrasser l’entièreté de leur identité américaine et leur passé de foi religieuse. Notre identité du coeur est chevillée à l’Amérique française, la patrie qui tient de la terre et des morts, et notre identité nationale-étatique promise: le Québec territoire. L’une n’excluant pas l’autre, comme cinquante ans de révolution tranquille libérale révisionniste voudraient nous le faire croire faussement, y voyant là un progrès insurpassable. Progrès qui ne fut au fond que la clé de la pénétration graduelle de la culture hollywoodienne, californienne des polyvalentes et motorisée des Harley-Davidson. Si notre américanité n’est pas niée dans ce glissement, notre propre contribution originale à la construction de l’Amérique, à titre de colonie de peuplement européen, y est entièrement oblitérée. Pas seuls, nous subissons le sort de toutes les cultures nationales d’Europe et d’Amérique en pleine déliquescence, remplacés par l’idolâtrie matérialiste qu’annonçait déjà au XX ème siècle les idéologies purement matérialistes promues comme remède au capitalisme qui se situe lui-même à l’autre bout du même continuum.

Cette déchéance des tissus nationaux, l’oxygène du vivre ensemble, contraste avec le sursaut de conservatisme social qui anime la Russie. Au grand dam des chantres du mondialisme et de la tabula rasa, qui se présentent invariablement sous les habits de l’inévitable progrès, elle retrouve un attachement bienséant à tout ce qui l’a fait au fil des siècles. L’âme d’un peuple.

Aujourd’hui je remettrais dans ma classe de l’école Jean-Baptiste Meilleur, dirigée alors par les frères du Sacré-Coeur, qui avaient du coeur et une bienveillante tolérance, les affiches de Michel Chartrand, de Lionel Groulx, de Pierre-Joseph Proudhon et qui d’autres… François Lamothe de Cadillac, le père Marquette, Louis Riel, Gaston Miron ? Mais le permettrait-on ?

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2 commentaires

  1. Très bonne analyse, M. Verrier.

    Il y aurait long à dire, sur le sujet. On ( les profiteurs aujourd’hui d’un état endetté, autant les banques que bureaucrates, syndicalistes, et fonctionnaires), a déclaré avec prétention et suffisance, que tout ce précédait leur grannnnde révolution tranquille, faisait partie de la grande noirceur.

    À quand un véhicule politique, qui remette les pendules à l’heure.

    Pierre Desgagné

  2. Très bon texte, monsieur Verrier. Votre perception de Michel Chartrand correspond à la mienne. Si au début des années 70 j’aimais bien Chartrand – je n’avais pas encore 20 ans – moi aussi j’ai fini par ne plus l’apprécier une fois que je joignis le PCCML. Mais beaucoup d’eau s’est écoulée depuis et aujourd’hui je me suis réconcilié avec certains acteurs et personnages majeurs de notre histoire nationale. L’apport de Chartrand à la cause du Québec est indéniable, mais l’homme n’était pas pour autant sans contradictions. En un sens, il me fait penser à Pierre Falardeau. S’il a un temps pu s’en prendre aux « nationaleux » , je doute qu’il ait tourné le dos au nationalisme (qui n’est pas que de droite, loin de là). En fait, Chartrand, dont le mariage avec Simone avait été célébré par le chanoine Groulx, était fort probablement réfractaire à une vision caricaturale du nationalisme, mais non avec le nationalisme civique… Et, en terminant, j’ajouterais une affiche à votre liste: l’une pour nos frères oubliés de la Franco-Américaine, avec le portrait de Jack Kerouac.

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