Depuis quelques semaines, le Québec est en deuil. L’un des rares hommes d’État que connut notre petit bout de pays s’en est allé après une vie bien remplie. Vie qui, tous en conviendront, n’était pas sans erreurs certes, mais néanmoins forte d’un grand nombre d’éléments positifs. Tous ont d’ailleurs trouvé dans l’œuvre de Jacques Parizeau ce qui les arrangeait tellement son champ d’action était large. De Françoise David, qui voit en lui un grand féministe, à Philippe Couillard, qui voit en lui un grand libéral[1], jusqu’aux syndicalistes qui voient en lui un grand social-démocrate, en passant par le courant identitaire, qui voit en lui un grand nationaliste. En somme, Monsieur était grand, grand surtout dans le sens éthique du terme, ce qui n’est pas sans nous laisser un frisson de solitude. Nous qui la cherchons désespérément chez nos hommes et femmes politiques actuels.
Sans énumérer la liste de ses contributions publiques, ce que l’ensemble des médias a fait dans les heures qui suivirent son décès, il est incontestable que le modèle keynésien que suivit le Québec est en grande partie son œuvre. Vu sous cet angle, l’indépendantisme de Monsieur ne devait être que la conséquence de ses aspirations économiques profondes. Lui qui connaissait le dessous des cartes du pouvoir mieux que quiconque, car ayant suivi le cursus de l’élite mondialiste (osons dire les mots), il comprit très vite que seul un peuple libre est en mesure de se doter des institutions nécessaires à son émancipation. Ceci explique donc pourquoi une personnalité pourtant aussi détestée dans le reste du Canada put faire à ce point l’unanimité chez nous, même si personne n’est dupe des louanges de certains.
En dehors des courants radicalement anti-étatistes (libertarien et anarchiste en l’occurrence), tous purent trouver dans la carrière de Monsieur un bilan au moins légèrement positif. Malgré cela, il est pourtant notable que ceux qui en font aujourd’hui l’éloge ne semblent pour la plupart ne pas partager les conclusions qu’eut ce grand connaisseur du capitalisme moderne, car s’il est encore nécessaire de la rappeler, l’indépendance du peuple via une nation autonome politiquement et économiquement est la condition sine qua none de toute avancée sociale durable. C’est pourquoi Parizeau s’est toujours assumé d’être ce qu’aujourd’hui l’on appelle un « radical » et s’est toujours donné comme point d’honneur d’avancer à visage découvert devant les représentants du nationalisme pancanadien.
Pourtant, l’homme (comme tout autre) avait ses défauts et fit aussi des erreurs. Le modèle de société auquel sa compréhension du monde lui fit adhérer, soit la social-démocratie keynésienne, fut un échec partout où elle a été mise en place, malgré tout le bon sens que cette théorie suscita en son temps. Car le pouvoir intrinsèque que possède l’argent dans une société de marché ne peut qu’à terme tout dissoudre. Sans compter que le compromis historique que généra l’après-guerre ne pouvait pas durer éternellement. De plus, sa croyance un peu naïve envers un pouvoir politique toujours plus fort que celui de l’économie lui fit malheureusement prendre le parti du libre-échange nord-américain (ALÉNA)[2] sans en prévoir (à l’époque de sa mise en place) ses effets dissolvants & antipolitiques. Et en dernier lieu, rappelons sa démission beaucoup trop précipitée de la direction du PQ[3] sans même contester juridiquement à l’international le résultat d’un référendum que l’on sait maintenant avoir été volé. Enfin, l’héritage et la compréhension de ses erreurs auront au moins le mérite de servir de leçon à ceux qui prochainement devront prendre la relève.
Notez que je n’ai pas écrit « qui ont pris », mais bien « qui prochainement devront prendre », car il ne me semble pas que ce type de relève ait encore eu lieu et ceci surtout pas au PQ. Loin de moi l’envie de briser les espoirs de ceux qui en cherche à tout prix chez un autre monsieur, mais si le nouveau chef du PQ, soit monsieur PKP, était seulement la moitié de ce que fut en connaissance tactique Monsieur, il n’aurait jamais quitté une position aussi privilégiée pour la cause de l’indépendance, comme le lui permettait son héritage, pour aller se faire valoir sur la scène électorale. Scène électorale d’autant moins puissante que, en plus de n’être que le chef[4] d’un parti en recul constant depuis 1995, le postcolonialisme ne peut plus désormais être combattu uniquement que sur le terrain électoral[5]. Terrain d’ailleurs historiquement mis en place pour que règne le statu quo soit dit en passant.
En effet, à l’époque de Parizeau, le monde était celui de l’après-guerre. Un monde à la fois en reconstruction et en partie dominé par le prestige et le pouvoir de l’URSS. C’est pourquoi le camp libéral se devait d’être beaucoup plus généreux envers un prolétariat encore majoritaire à l’époque en lui faisant profiter un peu de la forte croissance des Trente Glorieuses. Il est donc facile de comprendre que la croissance économique énorme générée par la reconstruction de l’Europe de concert au vaste mouvement de libération nationale que connaissait le monde à ce moment permettait aux principes keynésiens et indépendantistes un attrait maximal chez nous. L’opinion était donc déjà favorable d’emblée à l’idéologie portée par le PQ des années soixante-dix. Les rodomontades du fédéral ne firent donc qu’amplifier un mouvement déjà fertile au temps de Jean Lesage[6]. C’est d’ailleurs bien ce sentiment qui fut l’une des causes majeures de l’inexistence du mouvement communiste au Québec, si l’on se compare à d’autres pays de la sphère occidentale.
Toute cette remise en contexte reste indispensable afin de mieux comprendre le décalage que le PQ actuel ne semble toujours pas être en mesure de dépasser. Car le monde actuel est celui de la croissance stagnante, où les monopoles capitalistes internationaux ont un contrôle presque absolu sur l’ensemble des pays via leurs oligarques locaux. Ce monde est maintenant sans pitié pour les social-démocraties dépendantes d’autres institutions comme l’est la nôtre. Depuis les années quatre-vingt, des régiments entiers de think tanks, de journalistes, de politiciens, de vedettes de télé, d’artistes, d’intellectuels, etc., payés par ces monopoles se succèdent afin de convaincre le bon peuple qu’il a les mêmes intérêts que les fonds de pension, les multinationales et les banques ! Que l’avenir du bonheur universel passe nécessairement par un grand marché planétaire et par la fin de l’État-nation (et accessoirement de son rôle régulateur sur l’économie). Les politiques récalcitrantes sont donc assez facilement mises en déroute de l’extérieur par toute une gamme de méthodes héritées de la guerre froide et dont sont bien conscients les politiciens réalistes. Alors, rester sur des faux-semblants qui étaient déjà en retard à l’époque du référendum de 1995 est la meilleure façon de se décrédibiliser à moyen terme et de manière définitive. Il est donc désespérant de voir les apparatchiks du PQ s’accrocher à leur social-démocratie démagogique d’opposition[7] et à leurs conditions gagnantes afin d’éloigner les esprits de l’énormité de la tâche qui doit être entreprise, si l’on croit réellement à l’indépendance du Québec. Car, ne soyons pas naïfs, ce travail éloignera un temps du pouvoir des gens qui semblent malheureusement penser beaucoup plus à leurs carrières qu’à l’avenir du peuple du Québec.
Pour ceux qui auraient encore quelques réserves à ces sévères conclusions[8], je note que c’est pourtant bien cette voie que le Bloc vient tout juste de choisir. Et ceci, à peine sortaient-ils des funérailles de l’homme qui aurait à tout le moins dû leurs inspirer un minimum d’apaisement dans cet opportunisme crasse. Un an à peine après que Mario Beaulieu eut donné l’impression, par son élection menée à bout de bras contre les opportunistes et par de vrais militants de terrain, que le Bloc prendrait le « cap vers l’indépendance ». Eh bien non ! Il semble que l’équipe du Bloc ait préféré la députation fédérale, via de soi-disant meilleurs scores aux élections, qu’à l’ébauche de ce travail laissé en friche depuis 1995.
Je vous avoue être assez surpris de ce retournement de situation, car, comme un grand nombre d’entre vous, j’ai cru à la sincérité de Mario Beaulieu. En fait, je ne lancerai pas la pierre à cet homme de terrain, car ne sachant pas tout sur cette affaire encore récente. Mais une chose est sûre, le Bloc Québécois avait initialement deux choix lors de cette élection interne, soit de risquer aux prochains scrutins de faire un score national de tiers parti, mais avec une base doctrinale solide ou bien faire un score semblable à 2011 (ou même moins) et de disparaitre par la suite[9]. Et entre ces deux choix, seul le second pouvait s’accommoder d’une personnalité comme Gille Duceppe, pour qui les intérêts du Québec sont de sortir du Canada[10] pour devenir un valet de la prochaine Union nord-américaine. L’indépendance n’est pas seulement face au Canada, mais devant toute espèce de postcolonialisme, du moins ça devrait être l’avis de tous les souverainistes au 21e siècle.
Pour l’heure, l’avenir n’est pas très brillant pour le duo PQ/BQ et si certains ne semblent pas vouloir le comprendre, et ainsi continuer à rêver le pays qui devra un jour être réalisé, cela ce fera au détriment de l’héritage de Jacques Parizeau. Héritage que Monsieur et ses collaborateurs ont mis tant d’efforts à mettre en place et dont tous ceux qui hier encore en faisait l’éloge, sont ironiquement amené à démonter (consciemment ou non) l’œuvre aujourd’hui.
[hr gap= »2″]
[1] Il était proche du parti libéral du temps de Jean Lesage.
[2] Par espoir de faire jouer la mondialisation contre le Canada colonial.
[3] Pour cause de sa promesse de quitter la direction du PQ advenant une défaite, ce qui ironiquement place son désintéressement et sa dignité personnelle autant dans la liste de ses qualités que de ses défauts.
[4] En fait, j’aurais dû dire « que l’un des députés d’un parti en recul constant depuis 1995 », mais comme vous savez, la donne à changer récemment, même si l’impact ne se fait pas vraiment encore sentir.
[5] Le softpower du pouvoir capitaliste ayant fait de tels ravages sur l’opinion que l’idée de propagande culturelle n’est plus possible à écarter désormais.
[6] L’une des rares périodes où le PLQ pouvait être considéré comme progressiste et dont Jacques Parizeau et René Levesque furent partie prenante.
[7] Évidemment, lorsqu’ils sont au pouvoir il se transforme bien vite en « gouvernement responsable ».
[8] Ceci ne me fait en aucun cas plaisir de dénoncer le PQ, je ne fais qu’essayer de faire comprendre ce qui le doit, car sans un constat juste il n’y a nul avancement possible.
[9] Ici ma référence à la « pertinence » du Bloc est sans liens avec les arguments des fédéralistes. Il s’agit simplement de comprendre qu’entre un parti plus ou moins souverainiste et plus ou moins progressiste et un parti plus ou moins à gauche, comme l’est le NPD. Il est probable que l’électorat modérément souverainiste et plus ou moins progressiste (base électorale du Bloc et du PQ) du Québec favorisera probablement un NPD proche du pouvoir à un Bloc en déroute. Selon moi, l’avenir du BQ est de devenir un parti radicalement indépendantiste ou de disparaitre.
[10] Encore là, rien n’est si clair avec Duceppe.