Autonomisme de confrontation vs l’indépendance

Le souverainisme péquiste cultive depuis le début de l’ère attentiste post-1995 le fantasme d’un nouvel épisode Meech, i.e. un autre rejet par le Canada d’une forme d’autonomisme québécois qui susciterait une poussée de fièvre indépendantiste.

Ce fantasme, corollaire de la conviction que toute initiative indépendantiste concrète soit vouée à l’échec électoral et référendaire, est aux origines d’un certain nombre de scénarios stratégiques échafaudés au fil des vingt dernières années dans les cercles souverainistes, des « gestes de rupture » de Robert Laplante au référendum sur la constitution canadienne de Nicolas Marceau et Catherine Fournier, en passant par les lois-impôts-traités pré-référendaires d’Option nationale, la Charte de la laïcité comme vecteur espéré de confrontation avec Ottawa, et tant d’autres propositions fondées sur le fantasme de la crise porteuse.

Certaines approches du même ordre ont été mises en pratique par les gouvernements péquistes. Lucien Bouchard, en 2000, fit une très solennelle et grave adresse à la nation pour s’insurger contre la « loi sur la clarté référendaire » d’Ottawa, à laquelle il opposa la loi 99 sur le droit à l’autodétermination du peuple québécois, sans secouer le moindrement l’opinion publique. Cette loi traîne encore devant les tribunaux canadiens aujourd’hui, toujours dans l’indifférence générale. La même indifférence accueillit les nombreuses dénonciations par Bernard Landry du fameux « déséquilibre fiscal » entre Québec et Ottawa.

Pourquoi les souverainistes n’arrivent-ils jamais à susciter la sympathie et à faire bouger l’aiguille de l’indépendance lorsqu’ils s’écharpent avec les fédéraux à propos de demandes provinciales? Parce qu’ils ne sont pas réputés de bonne foi. Parce qu’on les considère juges et partie dans tout dossier qui concerne la relation Québec-Canada, on n’accorde que peu de crédibilité aux critiques qu’ils font dans le quotidien d’un régime dont on sait qu’ils ne veulent que sortir de toute façon. Qui plus est, leurs récriminations semblent d’autant plus intéressées qu’ils s’affirment eux-mêmes incapables de gagner une majorité à leur cause, et qu’ils jouent le jeu du fédéralisme revendicateur jusqu’à maintenir un parti, le Bloc québécois, dont le fond de commerce électoral est la complainte perpétuelle au parlement canadien.

François Legault, ce Lisée qui a réussi (à prendre le pouvoir provincial par le congédiement de l’axe souverainiste-canadianiste, ce que voulaient tant accomplir les péquistes liséens et maroisiens sans se rendre compte qu’ils couraient ainsi à la perte de leur propre parti), répond au critère de la bonne foi lorsqu’il fait des demandes à Ottawa, par exemple sur le rapport d’impôt unique ou la baisse des seuils d’immigration. Toutefois, les refus plus ou moins grands qu’il essuiera provoqueront-ils une vague indépendantiste? Rien n’est moins sûr, en l’absence d’un projet indépendantiste crédible à portée de main.

Ce qu’oublient toujours les péquistes et autres nationalistes provinciaux qui fantasment sur un futur affrontement Québec-Ottawa de grande envergure, c’est que l’époque Meech, dont ils tirent leurs enseignements, mettait en scène, non seulement des canadianistes de bonne foi qui essayaient de réformer le fédéralisme, mais aussi des indépendantistes crédibles et entreprenants. On ne peut dissocier ce facteur ni du degré de braquage anti-Québec du Canada à ce moment-là, ni, surtout, de la mesure dans laquelle de nombreux Québécois se sont tournés vers l’option indépendantiste.

Ce rappel pointe une fois de plus vers ce qui devrait normalement être une évidence, mais qui, semble-t-il, ne l’est pas, en ce Québec dont la psyché profonde, même chez les indépendantistes, demeure marquée par la difficulté de croire en ses moyens: le programme politique des indépendantistes devrait être la réalisation de l’indépendance. Pas la gouvernance provinciale indéfinie, ni les « gains » à Ottawa.

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