Manifestation de 1500 personnes pour le climat dans la campagne électorale

À Québec solidaire, le parti des urnes se détache-t-il du parti de la rue ?

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Lors de la manifestation citoyenne à Montréal de 1500 personnes du 15 septembre pour le climat dans la campagne électorale, l’ensemble des mouvements sociaux et des partis politiques s’est déclaré aux abonnés absents à part quelques isolées porteuses de drapeaux pour la CSN et pour Québec solidaire… et la présence de son ancien président peut-être comme témoin d’une époque révolue. Pourtant, les Solidaires, porte-étendard de la cause écologique dans cette campagne, étaient en mesure de mobiliser massivement pour cette manifestation en y convoquant membres et sympathisantes… à condition de prendre congé pour une journée des téléphones de pointage. C’eut été un moyen en or à la fois de souligner la priorité de campagne et de démontrer que Québec solidaire fait de la politique autrement. Un tract et une intervention bien sentie au moins d’un porte-parole aurait pu rappeler que la mise en œuvre du programme Solidaire n’est possible que sur la base d’une mobilisation de grande ampleur au-delà de celle, chacune pour soi, des urnes.

La mise à l’écart de la Ligue des droits et libertés

Cette indifférence au parti de la rue se manifeste malheureusement de plus en plus au point où l’on peut déceler  les brèches entre le parti et la gauche des mouvements sociaux. On connaissait depuis un bon moment celle entre la position Bouchard-Taylor (BT) du parti à propos du voile islamique, même si elle n’est pas programmatique, et celle de la Ligue des droits et libertés qui proscrit toute interdiction vestimentaire à connotation religieuse comme un atteinte aux droits et libertés individuelles et le plus souvent une concession à l’islamophobie. Ceci dit, la position BT n’est en rien raciste et xénophobe même si elle ouvre la porte vers cette direction. Il faut aussi comprendre que la domination religieuse de l’époque de la Grande noirceur joue ici un rôle à distinguer de l’islamophobie quoique cet argument historique qui porte à défendre une laïcité forte puisse servir d’excuse commode à l’islamophobie. Il est bon de rappeler qu’il n’y a jamais eu de coercition pour le retrait des habits et signes religieux catholiques quelque soit la position hiérarchique du porteur, que le faire à l’encontre de religions
minoritaires est encore plus suspect de discrimination.

Nous vivons une époque particulièrement islamophobe et de plus en plus autoritaire et répressive. La gauche se doit de tordre le bâton vers la lutte contre l’islamophobie et pour la plus large expression démocratique. Il faut tenir à la fois les deux bouts du bâton. D’une part la critique de toutes les religions, en particulier eu égard à la domination des femmes et à la perversion des enfants, et de leur politisation inexorablement droitière étant donné le système de pensée et l’organisation hiérarchiques des religions institutionnalisées. D’autre part le droit d’expression tant de leurs défenseurs que de leurs pourfendeurs… jusqu’à la limite de la mise en exécution de la violence soit celle djihadiste ou de l’extrême-droite chrétienne ou non.

Cette question met en lumière le cancer qui ronge l’éclaté et moribond mouvement national québécois entraîné par le fort vent de droite dure qui souffle sur le monde. Que ce soit les contradictoires nationalistes fédéralistes anti-immigration de la CAQ, ceux souverainistes de droite islamophobe du PQ quand jugé par les faits et non par leur discours, les Libéraux partisans du nationalisme de l’oppresseur canadien cachant leurs préjugés derrière un cosmopolitisme affairiste, et même les indépendantistes de gauche de Québec solidaire accrochés à l’ambiguë Bouchard-Taylor pour ne pas fâcher une bonne partie de leur électorat, la tendance est au retour au nationalisme pré Révolution tranquille empêtré dans le discours de la « race » canadienne-française de Lionel Groulx. Il y a à cette dérive un remède négatif et surtout un positif. De un, balancer BT, loi 62 et Charte de la laïcité, s’appuyer sur les chartes et loi existantes bien suffisantes et faire une véritable lutte à la discrimination surtout pour l’emploi et le logement en mobilisant médias et système scolaire. De deux, proposer un projet de société concret, libertaire et égalitaire, qui s’attaque à un problème urgent et vital reconnu par tous et toutes au-delà de toutes les identités, la crise de la rupture de l’écosystème terrestre par le capitalisme.

Le tassement du Collectif pour un Québec sans pauvreté

Le Collectif pour un Québec sans pauvreté avait sursauté qu’en accord avec le PQ, Québec solidaire, pour éviter le bâillon, ait consenti en octobre 2016, dans le cadre du projet de loi 70, à ce que les pénalités financières devant être imposées aux bénéficiaires de l’aide sociale jugés aptes au travail mais refusant de chercher un emploi et de s’inscrire au programme Objectif Emploi, ne soient appliquées qu’aux nouveaux demandeurs. Par pragmatisme, Québec solidaire avait consenti à une clause orphelin que n’importe quel progressiste trouve abjecte quand elle s’applique au mouvement syndical. C’eut pu être qu’un accident de parcours quoique non banal. Mais voilà qu’il y a récidive quand Québec solidaire annonce que son engagement de revenu de minimum garanti est reporté à un deuxième mandat pour lui substituer un projet de démonstration à la mode des Libéraux ontariens. De nouveau, le Collectif fait part de son désarroi tout en tentant de ménager le chou et la chèvre :

En ce qui concerne les propositions de Québec solidaire, le Collectif ne peut que saluer l’engagement de donner aux personnes qui ont des contraintes sévères à l’emploi un montant leur assurant un revenu annuel d’environ 18 000 $, poursuit Serge Petitclerc. Cela équivaut à faire sauter le purgatoire de 66 mois actuellement prévu par le programme de Revenu de base, un délai inhumain qui a été décrié par le Collectif et par tous les partis d’opposition en commission parlementaire.

Toutefois, nous sommes plutôt déçus de l’engagement concernant la hausse du montant de base de l’Aide sociale pour assurer aux personnes sans contraintes à l’emploi un revenu annuel d’environ 13 000 $, souligne Serge Petitclerc. Oui, il s’agit d’une augmentation de leur revenu mais, pour le Collectif, la couverture des besoins de base reconnus est le minimum à assurer à chacun et chacune, et ce minimum correspond pour 2018 à 18 238 $ par année selon la mesure du panier de consommation.

Collectif pour un Québec sans pauvreté, Élections 2018: Enfin une proposition pour bonifier l’aide de dernier recours, 12/09/18

Le blogueur du Journal de Montréal attitré à promouvoir Québec solidaire, ancien membre de sa direction puis ancien permanent, est plus raide :

Déçu de mon parti

Mais ma plus grande déception vient de mon propre parti. Québec solidaire a en effet annoncé hier vouloir mettre en place un projet-pilote de revenu minimum garanti (RMG) pour lutter contre la pauvreté. C’est déjà beaucoup plus que les autres partis.Mais un projet-pilote : come on gang! Pourquoi manquer d’audace avec les pauvres alors que dans tous les autres domaines, vous osez foncer avec assurance, quitte à bousculer parfois? […] Le temps n’est plus aux projets-pilotes qui servent surtout à faire amende honorable […] mais le parti pourra à tout le moins se défendre d’être « réaliste »… […]

Mais il y a quelque chose de plus qui m’agace : le maintien des catégories à l’aide sociale. Même si QS dit vouloir «en finir avec la culture du ‘bon’ et du ‘mauvais’ pauvre», le parti maintient dans un premier mandat une différence dans la prestation d’aide sociale, selon que la personne ait des contraintes sévères ou pas à l’emploi. […] Finalement, les catégories à l’aide sociale alimentent les préjugés à l’égard des personnes assistées sociales, tels que «les BS sont paresseux». Si QS veut éliminer ces préjugés, pourquoi alors les cautionner, même si c’est «en attendant» le RMG?

Stéphane Lessard, Lutte à la pauvreté : déception, Le blogue des « spin doctors, Journal de Montréal,
13/09/18

Le REM, la gifle à la gauche écologiste et au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP)

Pour combler la mesure, malgré qu’elle l’ait dénoncée au début 2017, elle a avalé le train aérien REM, l’autre pilier du PMD des Libéraux, à la nuance près qu’il sera public et donc qu’il sera racheté à fort prix de la Caisse de dépôt et de placement. Ce train aérien qui procurera de juteux contrats à « l’industrie de la corruption », ne baisse que marginalement les émanations de GES en tenant compte de sa construction, de son opération et surtout de sa contribution à l’étalement urbain car il réduira à peine la circulation automobile et cannibalisera le réseau public. C’est ce que confirme une nouvelle fois une étude commandée en mai 2018 par le SCFP et Climat Montréal (Luc Gagnon et Jean-François Lefebvre, Test climat – Réseau express métropolitain (REM) – Étude réalisée pour le Syndicat canadien de la fonction publique et Climat-Montréal, mai 2018).

Dans la région de Montréal, Québec solidaire complète le REM par une orgie de métros dont le noyau est la ligne rose promue par Projet Montréal aussi favorable au REM. Somme toute, la direction Solidaire scelle une alliance avec ce parti petit-bourgeois moderniste au gouvernement de la ville de Montréal au lieu de s’allier avec la gauche écologique et syndicale autour de Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et de Coalition climat Montréal. Où est l’alliance avec le mouvement social votée par la base du parti dans ses assemblées générales statutaires ? Cette gauche propose essentiellement des projets bon marché insérés dans la trame urbaine et surtout sur la terre ferme de sorte à tasser les « chars » tout en offrant une alternative à leurs conducteurs. Tel était le fondement du Grand virage (Coalition climat Montréal, Place au Grand virage, 20/06/16) de Coalition climat Montréal, soutenu par la gauche (Groupe Réplique) du Réseau vigilance contre les hydrocarbures du
Québec (RVHQ) (Louise Morand, Le Skytrain de Montréal : l’art de rater la transition énergétique, RVHQ, 24/01/17), abandonné faute d’appuis et de mobilisation.

Le pied de nez Solidaire à la gauche sociale lui vaut certes complaisance mais aussi mépris

La grève de la Société des alcools du Québec (SAQ) (encore deux journées de grève à venir) et la préparation de nombreuses autres (Poste Canada, TVA, Radio-Canada, The Gazette) qui ne portent pas tellement sur les salaires que les conditions de travail (conciliation famille-travail, sécurité d’emploi, sous-traitance) offre l’occasion de mettre le parti de la rue dans la campagne. La droite s’inquiète de cette possible recrudescence (Midi-Info, 12/09. 11h53, L’économie avec André Vézina, troisième et dernière partie — https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/midi-info) qui traduit un mouvement syndical qui relève la tête en temps de prospérité succédant à la phase d’austérité suite à la crise de 2008. Pourquoi pas au moins une conférence de presse des porte-parole appuyant clairement les revendications de ces syndicats et, le cas échéant, leurs grèves. Il faut laisser voir que nous ne sommes pas pour la paix sociale mais pour la lutte sociale car seulement elle, dans les urnes certes mais surtout dans la rue fera reculer le néolibéralisme. S’il y avait des lignes de piquetage, j’ose espérer que nos porte-parole et candidat-e-s s’y pointeront avec l’accord préalable des grévistes car malheureusement il y a toujours cette division artificielle entre lutte sociale et lutte électorale qui justifie la pseudo-neutralité des centrales syndicales.

Certes, en appuyant le REM, la ligne rose, les subventions à l’auto solo électrique et le marché du carbone, la direction du parti se concilie l’aile modérée pro capitalisme vert du mouvement environnemental tel Équiterre et la Fondation Suzuki. Celle-ci en retour lui donne la meilleure cote eu regard à son questionnaire aux partis politiques (Radio-Canada, Questionnaire de groupes environnementaux : la CAQ obtient la pire note, 11/09/18). Il faudrait cependant se souvenir qu’à vaincre sans péril on triomphe sans gloire et surtout en prenant la mauvaise direction en tant que meilleur zélateur du capitalisme vert. À renier la gauche syndicale à propos du REM et à négliger le syndicalisme combatif, on ne récolte pas pour autant l’appui des centrales syndicales mais leur mépris.

Dans leur déclaration électorale conjointe, elles ont trouvé le moyen de calomnier les Solidaires en prétendant qu’« au-delà de micromesures électoralistes ultra-ciblées, nous constatons un manque d’envergure flagrant de la part des partis. On parle très peu d’un salaire minimum qui permettrait à quelqu’un travaillant à temps plein de se sortir de la pauvreté. Pour nous, ça passe par le 15$ l’heure. […] Et que dire de la question environnementale? Il est désolant de constater, en 2018, à quel point l’environnement est le grand absent de la présente campagne. » On ne voit pas très bien ce que Québec solidaire pourrait faire de plus pour promouvoir le salaire minimum à 15$ dès 2019, ce qui est mieux que la FTQ et compagnie, et de remettre constamment sur le tapis la question environnementale même si c’est tout de travers.

Quant à « …pallier le manque à gagner engendré par le sous-financement des dernières années [par une] croissance de ce financement [qui soit] supérieure à celle des coûts de système… », il me semble que les 13 milliards $ de dépenses et revenus supplémentaires dûment documentés, lesquels se différencient nettement des piteux 2 à 3 milliards $ mal documentés des trois autres partis auraient mérité de la part des directions syndicales une bonne main d’applaudissement. La réduction des frais dentaires de 60% et plus, celle des tarifs de transport collectif de 50%, l’ouverture des CLSC sept jours par semaine et 24 heures par jour, la construction de 50 000 logements sociaux et davantage d’autobus seraient un bond en avant. Le problème, non soulevé par les Solidaires, reste à savoir que faire si le capitalisme néolibéral adepte de l’austérité et doté de l’arme suprême de la fuite des capitaux se refuse à jouer le jeu. Peut-être y consentira-t-il dans le cadre actuel de la prospérité mais le fera-t-il dans celui d’un retour de l’ouragan de la crise dont tous les symptômes sont réunis.

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