Les leçons de la recolonisation en Côte d’Ivoire

Depuis le 11 avril, date à laquelle le président élu démocratiquement, Laurent Gbagbo, a été sauvagement capturé et enfermé à Korhogo, dans le Nord du pays, un climat de terreur et de désolation règne en Côte d’Ivoire. Des centaines de milliers de réfugiés ont fui leur domicile confortable et vivent dans des conditions extrêmement pénibles. Maisons et commerces ont été livrés à une gigantesque opération de pillage. Les opposants politiques et les journalistes non complaisants sont tués ou emprisonnés. Leurs comptes bancaires sont gelés et leurs familles, laissées pour compte. C’est ce qui est arrivé à Herman Aboa, journaliste vedette de la télévision ivoirienne, qui est détenu et interrogé depuis plusieurs semaines.

Évidemment, tous ces malheurs ne présentent aucun intérêt pour Radio-Canada, puisque celui que Sarkozy appelait un «dictateur» n’est plus aux commandes du pays. L’objectif de renverser Laurent Gbagbo étant atteint, les médias peuvent passer sous silence la souffrance de millions d’Ivoiriens livrés en pâture à des bandes armées commanditées par les grandes puissances occidentales. L’exploitation de la Côte d’Ivoire et de beaucoup d’autres terres africaines peut se poursuivre en silence. Comme l’exploitation des ressources du Québec. Golfe de Guinée ou golfe du Saint-Laurent: même pillage occulte.

Florence et Simon [noms fictifs], deux Ivoiriens rencontrés au Ghana, me rappelaient l’autre jour, attablés avec moi dans un petit resto d’Accra, que, du temps du prétendu dictateur, l’État ivoirien avait un budget équilibré, alimenté par des régies financières percevant en toute impartialité les recettes fiscales. L’économie connaissait une solide croissance. Les agriculteurs recevaient plus de 2 dollars le kilo pour le cacao. Une enquête sur la gestion de la filière café et cacao avait eu lieu, à la demande du président lui-même, et avait entrainé l’arrestation de plusieurs responsables corrompus. Laurent Gbagbo était en train de transformer la Côte d’Ivoire et de lui donner sa véritable indépendance.

Aujourd’hui, le dynamisme, l’enrichissement collectif et l’assainissement des finances publiques ne sont plus de mise. L’économie ne redémarre pas. L’État a recommencé à emprunter à l’étranger. Les fonctionnaires ne sont pas payés. Le cout de la vie a beaucoup augmenté. La population s’est appauvrie. Les producteurs reçoivent environ 75 cents le kilo pour le cacao.

Et dire que, pendant la campagne de dénigrement de Laurent Gbagbo, certaines mauvaises langues l’accusaient d’avoir lui-même détourné l’argent de la filière café et cacao. La Côte d’Ivoire est le premier producteur de cacao dans le monde. Depuis qu’Alassane Ouattara et la démocratie des bombes ont triomphé et que les producteurs ivoiriens sont payés trois fois moins, avez-vous remarqué une baisse du prix du chocolat dans nos magasins? Où va l’argent maintenant? Dans les poches des accusateurs de Gbagbo et de leurs maitres. La Côte d’Ivoire est en cours de recolonisation.

Peu de Québécois changeraient de place avec les Ivoiriens aujourd’hui. Nous ne sommes vraiment pas jaloux de leur indépendance politique, car elle ne veut pas dire grand-chose si le peuple demeure soumis aux forces qui le dominent. Ces forces peuvent être étrangères ou internes. Souvent, c’est une combinaison des deux.

Ce sont les riches qui colonisent en se servant des États, et non les États eux-mêmes qui agissent spontanément en colonisateurs d’autres pays. Il en était ainsi du temps de l’Empire britannique et de ses riches marchands et industriels. Il en est encore ainsi aujourd’hui. Le peuple français ne souhaite ni faire souffrir les Ivoiriens, ni même les dominer. Mais le grand capital français et celui de Wall Street manipulent l’opinion publique et se servent de l’État français et de son armée pour faire main basse sur les ressources qu’il convoite, en particulier le pétrole.

Il faut voir plus loin que l’indépendance politique, même si elle est une nécessité pour un peuple comme le nôtre, car nous, les Québécois, risquons de déchanter au lendemain du grand soir si ceux qui nous promettent un pays à nous n’agissent pas en même temps pour que la souveraineté appartienne au peuple. Un pays, c’est avant tout un territoire et des ressources qui façonnent la vie de ses habitants. Ce n’est pas la terre qui nous appartient. C’est nous qui appartenons à la terre.

Un siège aux Nations Unies ne nous mettra pas à l’abri des prédateurs. Comment ferons-nous pour que les prédateurs ne prélèvent pas 3000 milliards de dollars de pétrole à l’ile d’Anticosti? Pour qu’ils ne vident pas le sous-sol du Québec de son or, de ses diamants et de son uranium? Pour qu’ils ne nous désinforment pas systématiquement au moyen de leur cartel médiatique? Pour qu’un jour, si nous disons non à la braderie, on ne fasse pas croire au monde que notre chef d’État est un dictateur et qu’il faut envoyer l’armée royale canadienne ou des casques bleus à Montréal pour protéger les pauvres opprimés du West Island contre leurs bourreaux québécois?

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