Le serviteur et ses maîtres

M. Facal salue les bonnes œuvres des richissimes Laurent Beaudoin et Jacques Ménard et reproche à Amir Khadir de ne pas les imiter plutôt que de faire le jeu des «dirigeants non élus qui oppriment leurs propres peuples, financent le terrorisme international et tolèrent la lapidation de femmes». M. Facal ironise: «Pendant que ces capitalistes infâmes et sans conscience sociale faisaient leur part, le député Amir Khadir faisait la sienne pour avancer sa conception très particulière du « progressisme ». Il manifestait devant le 4062 St-Denis en compagnie de ses copains du Parti communiste du Canada.»

Mais, ma foi, à lire M. Facal, on se dit qu’il doit être abonné aux mêmes journaux qu’Éric Duhaime, ex-conseiller politique de Mario Dumont, cofondateur du Réseau Liberté Québec et agent des ONG suppléantes de la CIA dans la défense du Coca-Cola et des Big Mac démocratiques en Irak.

Johanne Marcotte et Éric Duhaime, du Réseau Liberté Québec: Le Québec est pauvre et endetté.

Joseph Facal se fait interpeler dans une salle des HEC par les lock-outés de l’un de ses maîtres.

Peut-on vraiment accuser Amir Khadir de ne pas s’intéresser aux problèmes d’éducation? Qu’il utilise une petite partie de son temps pour hausser le ton contre la barbarie d’Israël est un geste qui l’honore et qui traduit le point de vue de nombreux Québécois sensibles à la souffrance des opprimés, comme en témoignent du reste une bonne partie des lecteurs de M. Facal, si j’en juge d’après les commentaires laissés dans son blogue. Il est évident que M. Khadir n’ignore pas pour autant l’importance de l’éducation et n’est pas insensible au problème du décrochage scolaire. Quel lien abracadabrant M. Facal essaie-t-il de faire? Pourquoi la sympathie avec les Palestiniens serait-elle incompatible avec l’éducation ou diminuerait-elle la volonté de lutter contre le décrochage scolaire? C’est totalement insensé.

M. Khadir n’a pas fracassé la vitrine du commerce de chaussures de la rue St-Denis, à ce que je sache. À Gatineau, nous, les militants du RRQ, avons participé aux manifestations d’Impératif français pour encourager les gens à ne pas acheter de matelas chez Sleep Country, une entreprise ontarienne qui ne respecte pas la langue nationale des Québécois. Nous avons manifesté devant le commerce à deux reprises et nous en avons parfaitement le droit. M. Facal serait-il contre les pressions que nous exerçons sur Sleep Country, sous prétexte que les échanges commerciaux avec l’Ontario sont parfaitement légaux? Je ne le pense pas. Alors pourquoi M. Khadir n’aurait-il pas le droit de demander aux commerçants de ne pas approuver implicitement le terrorisme d’État? Avec M. Khadir, les contribuables québécois en ont amplement pour leur argent. Il est loin de chômer et gagne très bien son salaire de député. Et M. Khadir a une conscience, à l’inverse de M. Charest et de sa mafia libérale et à l’inverse de M. Harper, qui a applaudi Israël lorsque ce pays s’est mis à bombarder le Liban «pour se défendre». La liberté de commercer prime-t-elle le sens moral et toutes les autres libertés, selon M. Facal?

Comment justifier la concentration de la richesse?

En parlant de liberté et de sens moral, j’aimerais que M. Facal m’explique un jour comment on peut justifier la rémunération exorbitante des dirigeants d’entreprise qui se font philanthropes le dimanche pour remettre quelques grenailles au peuple, après avoir soustrait des milliards au fisc. Comment, par exemple, Pierre Beaudoin, le fils de Laurent, peut-il avoir reçu 3,89 millions en 2009 et 7,83 millions en 2008? Et ce n’est qu’un tout petit exemple de la richesse éhontée dont s’accaparent quelques privilégiés, sans rendre de comptes à personne, surtout pas à leurs petits actionnaires. Yves Michaud en sait quelque chose.

Combien d’heures par semaine faut-il travailler pour gagner plus de deux-cents fois la rémunération moyenne d’un salarié québécois? Quel diplôme faut-il posséder pour gagner quinze fois la rétribution d’un neurochirurgien? Et ne me répondez surtout pas que ce sont les lois du marché qui le veulent. Le club des ploutocrates n’est soumis à aucune loi, surtout pas celles du marché.

Parlez-en aux travailleurs licenciés d’Abitibi-Bowater, à Gatineau, dont les cinq premiers dirigeants toucheront des primes et des salaires totalisant 7,7 millions de dollars… en guise de récompense pour les mauvais résultats de leur entreprise.

J’attends les explications de M. Facal. Comment justifie-t-il les revenus astronomiques de ses maîtres?

Pour mieux financer le système d’éducation, j’échangerais volontiers la philanthropie du dimanche contre une hausse des impôts de ceux qui touchent des salaires mirobolants grâce aux sinécures qu’ils s’accordent entre eux. Ils ne sont pas contents? Ils nous menacent de partir sous des cieux plus cléments? Tant mieux! Nous leur achèterons leurs entreprises et en ferons nos choux gras. Ce ne sont pas eux qui créent la richesse, mais le travail et le génie de leurs employés québécois. Et nous avons tous les capitaux qu’il faut. Il s’agit de les mettre en commun, comme à la Caisse de dépôt et placement. Au lieu de les investir dans des prêts hypothécaires à risque aux États-Unis, nous les investirons chez nous. Vive le capitalisme de coopération!

M. Facal me trouve trop à gauche? Trop près de M. Khadir? Qu’il aille voir un peu ce que pense le sénateur vermontois Bernie Sanders de la concentration de la richesse entre les mains d’une infime minorité. De la vraie graine de communiste, n’est-ce pas? Et dire que ça siège au Sénat des États-Unis. (Désolé, la traduction simultanée en français n’est pas encore disponible au Sénat des États-Unis.)

Pire encore, dans nos prétendues démocraties occidentales, les crésus possèdent non seulement l’argent, mais aussi les médias, les politiques, les juges, la police et l’armée. Et après, on se demandera pourquoi il y en a qui jettent des chaussures sur des effigies. Donnez-nous au moins une tribune dans le Journal de Montréal, et nous n’aurons plus autant besoin de dénoncer les assassins, les exploiteurs et les fédéralistes par des moyens de fortune.

Double ignorant, et non lucide

Par ailleurs, M. Facal véhicule beaucoup de préjugés au sujet des mauvais clients de l’Empire anglo-étasunien, comme l’Iran et la Chine. Il devrait s’informer ailleurs qu’à CNN, à Radio-Canada ou dans les autres organes du cartel médiatique, qui retransmettent essentiellement la propagande du Pentagone pour justifier des agressions militaires un peu partout. Les histoires de lapidation, entre autres, ne sont que des balivernes. Personne n’a été lapidé en Iran depuis belle lurette. Il n’y a pas si longtemps encore, on racontait que Saddam Hussein égorgeait les petits enfants et qu’il avait des armes de destructions massives. Demain, il y aura d’autres mensonges. Ça ne finit jamais et ça sert à justifier les pires massacres, comme l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan, avec leurs centaines de milliers de victimes civiles, et comme le drame de l’Afrique centrale, avec ses 10 millions de morts, depuis 1990, dont les États-Unis et ses laquais sont totalement responsables, et non les extrémistes hutus, n’en déplaise au pauvre général dépressif qui a pris beaucoup de pilules pour tout oublier.

Notre société est systématiquement désinformée, et M. Facal est loin d’être lucide comme il le pense. En fait, c’est un double ignorant: il ne sait pas qu’il ne sait pas. Je donne un petit aperçu de la profondeur abyssale de la désinformation dont M. Facal n’est pas conscient dans ma dernière série de chroniques sur Vigile, intitulée «Wikibruits». Le quatrième article, paru vendredi dernier, s’intitule «Les sous-marins que cachent les wikibruits». Je le recommande particulièrement à M. Facal, qui semble avaler trop goulument les couleuvres apprêtées par le Département d’État, notamment à propos de la Chine.

Non, je ne suis pas un adepte de la théorie du complot. Les adeptes de cette théorie sont à Washington et à Ottawa. Ils font une fixation sur un barbu caché dans sa grotte, décernent généreusement les certificats de sécurité et dorment sur leurs deux oreilles pendant qu’un adolescent se fait trouer la peau par la Delta Force, se fait torturer à Bagram et se fait enfermer à Guantanamo. Ce sont ces conspirationnistes paranoïaques qui nous dépouillent de quelques milliards par année pour financer leurs entreprises bellicistes, leurs sables bitumineux, leurs prisons et la diffusion du créationnisme. C’est peut-être de ce côté-là que M. Facal devrait regarder, davantage que du côté de Québec solidaire, s’il veut trouver des coupables.

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