Le monde de Bernard

Samedi soir, assez tard dans la nuit, je pitonnais nonchalamment sur ma télécommande. Je passais d’une émission à une autre sans trop savoir où m’arrêter. Puis, j’ai reconnu cette voix sortant du téléviseur. Comme résonnant d’un autre temps. Vieillie certes, cette voix, mais c’était bien celle qui occupa une place si importante dans ma vie d’avant. Cette voix, c’était celle de Bernard Landry. Le chef péquiste pour qui j’ai travaillé un court laps de temps.  Celui qui m’impressionna tant lorsque je le rencontrai, en tant que jeune militant, pour la première fois.

Il n’en fallait pas plus pour me convaincre de donner un peu de répit à mon pouce et, surtout, aux piles de la télécommande.  Malgré l’heure tardive, je regardai attentivement le documentaire Le monde de Bernard.

Bernard Landry a été chef du PQ dans une période disons difficile. Je me souviens très bien de cette époque; je travaillais alors à l’Assemblée nationale afin de remplir un court mandat de la Saison des idées (je devais lancer le chantier Pays). Je me souviens surtout des magouilles qui s’organisaient dans les corridors de l’opposition officielle contre le chef. François Legault prétendait à hue et à dia être le seul vrai indépendantiste dans ce parti. Comme homme de main, il comptait sur François Rebello qui distribuait les coups de pied à qui se plaçait dans leur chemin tortueux. On voit comment ces deux bougres ont terminé leur course. Un vire-capot de première qui est heureusement disparu des écrans radar depuis quelques années alors que l’autre caqueteux-en-chef se dit maintenant fier d’être canadien.

L’autre camp qui grenouillait contre Bernard Landry à cette époque était celui de Pauline Marois. Pas qu’elle se disait plus indépendantiste que Bernard celle-là, elle se gardait quand même une petite gêne, mais elle semblait tout simplement croire que c’était maintenant son tour d’occuper le haut de l’affiche, que le parti lui devait bien la chefferie, elle qui rêvait tant de devenir la première femme à s’assoir dans le siège de premier ministre. La conclusion de sa carrière politique n’est pas vraiment plus glorieuse que le tournant pris par celle de Legault. Ces jours-ci, Mme Marois accuse le petit bras indépendantiste ô combien frêle de PKP d’avoir fait capoter sa campagne électorale.  C’est dire si sa stratégie était fragile.  Encore plus que le petit poing de PKP on dirait bien…

Bien sûr, comme chef des forces indépendantistes, Bernard Landry n’était pas parfait. J’avais beau l’appuyer de toutes mes forces, à l’aide de mon journal notamment, je le trouvais quand même trop timoré quant à ce qui devait être fait pour sortir le Québec des griffes du Canada.  Il était peut-être timoré à mes yeux. Mais au moins il marchait dans la bonne direction.  Et après le règne poussiéreux de Lucien Bouchard, cela me satisfaisait.

C’est pourquoi j’étais tellement déçu le soir du congrès péquiste de 2005 alors que M. Landry tira sa révérence parce qu’il ne se sentait pas suffisamment appuyé par les membres en tant que chef, membres qui lui avaient servi un vote de confiance de 75%. La preuve a depuis été faite que le problème était alors pas mal plus son entourage que le vote de confiance en tant que tel; cet entourage qui lui racontait toutes sortes de sornettes.; sornettes qui lui disaient de quitter; sornettes qu’il écouta; malheureusement.

Il faut savoir que les chefs sont souvent bien seuls au sommet de la montagne. Leurs entourages ont sur eux des influences indues. Quand l’entourage marche dans le bon sens, ça peut aller. Mais quand on se ramasse avec des faiseux comme on en a trop eus au PQ ces dernières années, hé bien ça donne des démissions comme celle de Bernard Landry.

Bien sûr, M. Landry est revenu sur cet épisode dans le documentaire diffusé sur les ondes de RDI. Bien sûr qu’il semble encore regretter cette décision qui ne lui appartient pas totalement. Mais ce qui est beau avec le personnage Landry, c’est qu’il n’a pas désarmé depuis.  Faisant siennes en quelque sorte les paroles du géant Miron, il ne voyage jamais vers nul autre pays que lui, son pays.  Et encore aujourd’hui, Landry est prêt à dire oui à sa naissance.

Dans le documentaire, le réalisateur Georges Amar fait rencontrer toutes sortes d’acteurs politiques importants à Bernard landry, alors qu’il est bien installé chez lui, à Verchères. On voit Landry en pleine discussion avec Denise Bombardier, elle qui lui explique que ça n’intéresse plus les jeunes l’indépendance. On voit dans le visage de Bernard que le coup porte. Mais il ne se laisse pas décontenancer pour autant. Il essaie de répliquer. Du mieux qu’il le peut. Même chose avec Gabriel Nadeau-Dubois qui lui dit que la gauche canadienne trouve vraiment que l’indépendantisme québécois est raciste. Et Bernard d’expliquer qu’il faut être dans le champ pas à peu près pour dénoncer ainsi une nation aucunement tricotée serrée qui désire simplement vivre librement et en français. C’est ensuite le tour de Samian de mettre le doigt sur le triste sort réservé aux Amérindiens ici et au Canada. Et Bernard d’expliquer que ces Amérindiens, qui ne peuvent malheureusement aspirer à l’indépendance en vertu du droit international, seront mieux traités dans un Québec libre que dans le Canada. Denis Arcand affirme pour sa part ne pas trop savoir ce qui doit être fait de ce Québec en perdition. Pas grave, Bernard clame énergiquement l’urgence plus actuelle que jamais de briser ici les chaînes de la soumission. C’est par la suite au tour de Duceppe de venir pleurer sa défaite cuisante à la tête du Bloc, et Bernard de le réconforter en soulignant l’importance de ce parti indépendantiste au fédéral.

Au-delà du petit malaise que l’on peut ressentir lorsque l’on entend les formules usées à la corde dont se sert parfois Bernard Landry afin de répondre à ses interlocuteurs au sujet de l’indépendance, ce qui frappe dans ce documentaire, c’est que malgré l’énergie qui quitte progressivement, et visiblement, le vieil homme, ce dernier refuse encore et toujours de sombrer dans le pessimisme et le défaitisme. Il semble encore vraiment croire que le Québec sera un jour libre. Tellement que je le sens beaucoup moins timoré aujourd’hui qu’il ne l’était à l’époque qu’il était chef.  Et ça, c’est beau à voir!

Comment une telle chose peut-elle être possible? Parce que l’entourage du chef n’est plus là pour le freiner dans ses ardeurs patriotiques? Peut-être.

Mais ce que je crois davantage, c’est que la lutte pour notre pays que Bernard Landry mène plus librement que jamais depuis qu’il est hors du PQ l’a ragaillardi.  Depuis quelques années, on voit M. Landry sur toutes les tribunes.  Dans un rassemblement de ci ou de ça, le bâton du pèlerin à la main, il défend notre pays. Plus qu’il ne le faisait en tant que chef du PQ, et ce, pour toutes sortes de raisons qui s’expliquent souvent par ce temps complètement accaparé par la charge de chef de parti.  Quoiqu’il en soit, ce qu’il faut retenir de tout ça c’est que Landry ne ménage aucunement ses énergies aujourd’hui, et toutes ses meilleures énergies publiques, afin d’accélérer la marche du Québec vers le seul destin qui lui soit envisageable. Ce qui m’amène à dire que, pour la cause indépendantiste seulement, je trouve Bernard-le-militant plus efficace que Bernard-le-chef-du-PQ.

Ou dit plus clairement: plus on se bat, et plus on devient courageux. Et moins on se bat, et plus la lutte pour la liberté nous apparaît comme  herculéenne, comme impossible à couronner de succès. D’où la tentation tout à fait Liséenne, je dirais, de la repousser alors aux calendes grecques…

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4 commentaires

  1. Merci de ce billet Patrick. Nous sommes condamnés à ne pas se décourager. Et Monsieur Landry en est un exemple. Tu me l’as fait voir sous un beau jour. MERCI ENCORE.

  2. Bernard Landry un chef? Si c’était vrai, il aurait commandé le PQ. En passant, le vote de confiance était de 76,2 % et pas de 75%!

    • Merci de ta précision, Pablo. Mais comme il ne s’agissait pas ici de faire une chronique statisticienne, résumer le vote de confiance par la formule du 75% me semblait bien correct. Mais il est vrai qu’il puisse être préférable de couper les cheveux en quatre. Je te l’accorde.

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