IRIS : « Le gouvernement doit embaucher 250 000 personnes maintenant »

Le 25 mars, le think-tank de la gauche québécoise, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), en réaction au confinement général du Québec, titrait son billet : « Le gouvernement doit embaucher 250000 personnes maintenant ». L’auteur, Guillaume Hébert, devant le constat d’un soudain chômage massif en regard d’urgents besoins essentiels à combler appelait à cette création massive d’emplois afin « 1) [d’]accomplir des tâches essentielles pour combattre la crise, et 2) contribuer à la relance d’une économie plus résiliente à court, moyen et long terme. » Il prévoyait que ces emplois devraient être suivis de d’autres et il préconisait que ces emplois devraient être rémunérés à 50 000 $ l’an, soit le salaire moyen au Québec, pour 25 heures de travail par semaine ce qui « pourra être revu plus tard ».

De commenter l’auteur : « Lors de la Deuxième Guerre mondiale, les femmes ont été massivement recrutées dans les usines pour remplacer les hommes mobilisés par le conflit armé. Une crise peut être l’occasion d’adapter rapidement la sociologie du travail. Le nombre d’heures devra être maintenu bas afin de favoriser l’embauche d’un plus grand nombre de travailleurs et de travailleuses et de familiariser la population en général avec une baisse du temps de travail. Cette réduction des heures hebdomadaires consacrées au travail permettra de lutter immédiatement contre deux autres fléaux de notre époque : les émissions de gaz à effet de serre et le stress de la vie quotidienne. Coût de la mesure : 12,5 milliards de dollars par année. […] Une partie des dépenses sera absorbée par les paiements en impôt qu’effectueront ces salarié·e·s et par les taxes que paieront les entreprises qu’ils ou elles encourageront. […] Le retour à la normale n’est pas une option. Seule une société plus résiliente nous permettra à tous et toutes, ici et ailleurs, de satisfaire nos besoins de base, de retrouver la tranquillité d’esprit et les perspectives d’épanouissement personnel dans le respect du collectif. Des embauches massives peuvent marquer le début de cette indispensable reconstruction socio-économique. »

Certes, pour l’instant il n’y a plus de confinement général et le Québec connaît une accalmie avant le retour probable d’une deuxième vague car la pandémie mondiale ne connaît aucun répit que ce soit en termes de nouveaux cas – environ 250 000 par jour depuis la mi-juillet – ou de nouveaux décès – environ 5 000 par jour depuis la mi-juillet (google search – bilan mondial covid-19 – 2/09/20). Jusqu’à la vaccination générale, on n’est pas sorti du bois sans compter qu’au coin de la rue attendent la prochaine pandémie rendue inévitable par l’accélération des zoonoses, tout comme la multiplication des catastrophes climatiques rendues aussi inévitables par le maintien des émanations annuelles de gaz à effet de serre à un sommet historique (Alexandre Shields, La pandémie entraînera-t-elle une baisse des émissions de GES bénéfique pour l’environnement?, Le Devoir, 23/04/20).

La pandémie a rendu visible le travail essentiel nécessaire à la reproduction de la vie, celui normalement sous-estimé, mal ou non payé, exigeant qui est accompli souvent par les femmes et le personnes racisées. Ce travail auprès des personnes pour les soigner et les éduquer ou pour les nourrir a la particularité d’être rébarbatif à la mécanisation et à la standardisation à moins de le rendre inhumain (services publics) ou anti-écologique (agriculture industrielle). Ces tâches essentielles sont donc intrinsèquement intensives en travail et quasi imperméables à la recherche de hausse de la productivité à la base de la maximisation du profit capitaliste. (Par contre, les produit non organiques nécessaires à ces tâches essentielles peuvent et doivent bénéficier des progrès technologiques mais ceux appropriés ne sont pas nécessairement compatibles avec la recherche du profit car la technologie n’est pas neutre.) Dans le cadre de la «normale» capitaliste, ce travail essentiel à la vie est par conséquent systématiquement minimisé, coupé, dégradé à moins que le rapport de forces social favorise momentanément les luttes syndicales et populaires comme ce n’est plus le cas depuis l’avènement du néolibéralisme.

L’utilité sociale de la pandémie est d’avoir rendu visible cette contradiction inhérente au capitalisme et d’avoir obligé les gouvernements néolibéraux à aller pour un bout de temps à contre-courant du libre-échange. L’habileté tactique de la gauche anti-libérale et anti-capitaliste serait de s’appuyer sur les concessions gouvernementales pour les pérenniser et les élargir. Le gouvernement fédéral des Libéraux a institué en catastrophe une subvention inconditionnelle de 500$ brut par semaine pour toutes celles et ceux qui ont perdu leur emploi à cause de la pandémie. Il cherche à y mettre fin par un transfert vers l’assurance-emploi passablement (et temporairement?) bonifié. C’est là une invitation pour la gauche à pérenniser et élargir cette subvention en revenu minimum garanti dont l’ampleur appellerait à une bonification du salaire minimum bien au-delà du 15$ l’heure revendiqué soit à 20$. Le confinement a mis en évidence un manque criant de logements populaires ce qui devrait induire de réclamer la réquisition des logis Airbnb, condos et appartements luxueux vacants, chambres d’hôtel et un programme d’urgence de construction de 20 000 logis sociaux éco-énergétiques par année. Finalement, l’obligation pandémique d’instaurer temporairement la gratuité du transport public invite à réclamer l’immédiate instauration permanente de cette gratuité ce qui forcera à investir rapidement dans des autobus électriques en voies réservées, des tramways, des trolleybus et des trains de banlieue et interurbains.

La catastrophe québécoise des résidences de personnes âgées a obligé le gouvernement de la CAQ à embaucher (temporairement ?) 10 000 préposées supplémentaires, formées en trois mois, à un salaire bonifié. C’est cette concession qui invite la gauche conséquente à reprendre à son compte la revendication de l’IRIS qui en réalité fait moins que compenser les pertes d’emplois pandémiques au Québec. En juillet 2020, le Québec comptait 440 000 personnes officiellement en chômage soit 50 000 moins qu’en juin suite au déconfinement général mais 210 000 de plus qu’un an auparavant pour un taux d’activité quasi inchangé. Il faut cependant y ajouter les personnes officiellement en emploi dont le salaire est subventionné à 75% par le gouvernement fédéral qui autrement seraient tout probablement en chômage. Ce nombre est difficile à apprécier « [é]tant donné que les employeurs peuvent soumettre une demande distincte pour la SSUC pour chaque période, le nombre total d’employés pour toutes les périodes peut entraîner un double comptage si l’on additionne toutes les périodes ensemble. » Si, prudemment, on ne prend en compte que la dernière période comptabilisé (juin), il y avait 400 000 personnes au Québec recevant la subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC). Ce qui donne un total de 840 000 personnes en chômage ou qui le seraient. Cependant, la prestation canadienne d’urgence (PCU) comptabilisait au Québec, le 23 août, tout près de deux millions de « demandeurs uniques » dont cependant un certain nombre qui « peuvent avoir trouvé un emploi ou être retournés au travail et donc ne plus recevoir la PCU. » On peut penser que méthodologiquement, les bénéficiaires de la SSUC sont sousestimés car le demeurent en partie celles et ceux des périodes précédant juin et que celles et ceux de la PCU sont sur-estimés, ce qui qui donne une approximation grossière et risquée de 1.5 million de personnes sans travail ou qui le seraient sans subventions à leurs employeurs pour leurs salaires.

Finalement, la revendication de l’IRIS est très loin de péter les plombs. Même son coût est ridiculement bon marché (12.5G$) vis-à-vis la PCU et la SSUC qui ensemble à la fin août totalisent près de 100 G$ (entre 20 et 25 G$ pour le Québec), ce à quoi il faut ajouter selon le Directeur parlementaire du budget que « le Québec a injecté 28,7 milliards de dollars dans l’économie pour lutter contre le coronavirus » (La Presse, 27/07/20). Et ces programmes fédéraux certes nécessaires pour soutenir les revenus mais socialement improductifs et qui n’ont comme but consommateur qu’un retour à la «normale», contrairement à la proposition de l’IRIS conduisant à un plan de relance anti-pandémie et climatique, sont loin d’être terminés. Globalement pour le Canada de dire Gérard Fillion le 28 août, l’expert économique de Radio-Canada, le coût de la pandémie entraîne « [u]n déficit de 400 milliards par rapport à un PIB de 2000 milliards, c’est 20 % du PIB. » sans compter les prêts à très bas taux d’intérêt à coup de centaines de milliards de la Banque du Canada pour soutenir les banques qui maintiennent leurs profits. Ce 80 à 100 milliards de déficit attribuables au Québec justifie totalement et au-delà la proposition de l’IRIS.

Politiquement, dans le climat politique délétère de la gauche sociale et politique du Québec, une telle revendication, tout comme celles du revenu minimum garanti à 500$ par semaine, du salaire minimum à 20$ l’heure indexé, de la construction annuelle de 20 000 logements sociaux éco-énergétiques, de la gratuité immédiate du transport public, reprise par le mouvement syndical et/ou Québec solidaire a la capacité de provoquer un grand et passionné débat politique. Et on peut être assuré de l’intérêt des médias qu’ennuient bien souvent les critiques superficielles et très prévisibles des directions syndicales et Solidaires d’où leur désintérêt pour la seconde opposition. Ce débat est susceptible de stimuler la riposte sociale. En particulier, ces revendications concrétisent à la fois la lutte contre le chômage, celle contre la crise du logement populaire, celle contre la pauvreté et les inégalités et celle contre l’auto privée et son corollaire de ville tentaculaire d’énergivores maisons unifamiliales vers une société éco-féministe et éco-autochtone de prendre soin des gens et de la terre-mère.

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