Un antiracisme abstrait se conjuguant à un indépendantisme décroché
Une simple chronologie de l’évolution interne de Québec solidaire vis-à-vis l’antiracisme et l’indépendantisme peut laisser voir une évolution vers la gauche. Cependant cette chronologie ne tient pas compte de leur évolution dans la société auquel le parti s’ajuste dans une perspective électoraliste.
Sacrifier les personnes racisées pour mieux mordre dans le vote identitaire de la CAQ et du PQ L’apparition de Black Lives Matter puis de la présidence Trump, et leur influence mondiale, et ensuite la lutte autochtone des Wet’suwet’en, Kanyen’kehà:ka et Mi’kmaq ont polarisé l’opinion publique sur les questions impliquant le rapport « blanc » et « non-blanc ». Ajoutons-y au Québec même la provocation de la Charte des valeurs et surtout le drame du massacre antimusulman de la mosquée de Québec. Cela a amené les personnes « non-blanches » et leurs personnes alliées du parti à s’organiser. Elles se sont affirmées dans la lutte contre la loi 21 qui titillait la députation et surtout ensuite en vainquant la résistance de la direction pour fonder la Commission nationale autochtone (CNA).
Sur le plan externe, la direction a dû se faire la championne de la reconnaissance du racisme systémique mais sans revenir sur la nécessité d’une commission d’enquête sur le sujet et tout en ignorant la revendication du définancement de la police. Pour sa position sur la pleine reconnaissance des sans-papiers, elle s’est alignée sur celle des Libéraux fédéraux et non sur celle des organisations les représentant réclamant la reconnaissance de toutes et tous les sanspapiers et non seulement de celles et ceux dit essentiels. Il en est de même pour la Déclaration des Nations unies pour les droits des peuples autochtones (DNUDPA). Le parti n’a pas appuyé les blocages des routes forestières de la Réserve faunique La Vérendry par les Anishnabe contre la chasse à l’orignal. Il a plutôt opté discrètement et sur le tard pour une conciliation gouvernementale au lieu de respecter leur droit de consentement éclairé et informé concernant l’exploitation des richesses naturelles de leur territoire historique.
Sur le plan interne, la direction a œuvré avec succès à diviser les personnes « non-blanches » ce qui fait qu’aujourd’hui la CNA l’appuie dans sa détermination à blâmer le Collectif antiraciste et décolonial (CAD) et par là à l’isoler au sein du parti. Certes, pour ce faire, la direction a profité de maintes erreurs tactiques du CAD qu’il faudrait toutefois mettre dans le contexte d’une exacerbation de leur frustration face aux manœuvres et tergiversations de la direction dont les moyens communicationnels et organisationnels sont beaucoup plus puissants. Dans cette foire d’empoigne introspective a presque disparu toute critique des politiques concrètes de la direction vis-à-vis tant les communautés racisées que les nations autochtones et inuit. Ce qui est l’ultime but recherché par la direction. Car son électoralisme la pousse à rechercher d’abord le vote caquiste et péquiste corrompu par le nationalisme identitaire quitte à perdre un moins nombreux vote « non-blanc » et celui de leurs alliés comptant une bonne proportion des non-francophones progressistes susceptibles au Quebec bashing. « Dépasser le capitalisme » dites-vous ? Cher ami, vous n’y pensez pas !
Le parti a aussi évolué sur la question de l’indépendance en fonction de l’évolution de son emprise et de sa compréhension dans la société québécoise, en particulier vis-à-vis le PQ dont QS dispute principalement l’électorat jusqu’au moins en 2018. Le parti est fondé en 2006 alors que le PQ est en chute libre lesté par son choix de l’austérité comme « condition gagnante » par suite de la défaite référendaire de 1995. Ce qu’incarne jusqu’à l’absurde la direction Boisclair qui va jusqu’à se faire damer le pion par l’ADQ comme opposition officielle. Dans cette conjoncture, l’intégration de la « souveraineté » dans la Déclaration de principes de 2006 comme legs historique de la gauche n’entraîne pas sa mise en évidence pour autant. La crise de 2008 a confirmé la prééminence de la question sociale sur celle nationale au point que le parti parle de « dépasser le capitalisme » dans son manifeste du premier mai 2009.
Puis favorisé par le mépris néolibéral du gouvernement Libéral jusqu’à provoquer le « printemps érable » de 2012, et la disparition de la montante ADQ, trop identitaire et droitière, absorbée dans une CAQ moins idéologique, plus pragmatique, le PQ réussit à reprendre du poil de la bête jusqu’à déloger les Libéraux en 2012. Mais il replonge en 2014 lesté par l’anti-syndicaliste PKP de Québecor et par l’identitaire « charte des valeurs ». Percevant la débandade du PQ, Québec solidaire sent que le moment est venu de sortir de sa valse-hésitation vis-à-vis l’alliance avec le PQ laquelle oppose la base du parti à sa direction-députation ce qui se reflète dans le dilemme stratégique Constituante « ouverte » ou « fermée ».
Comme le parti, ayant pratiquement renoncé à « dépasser le capitalisme », ne pouvait plus employer l’indépendance comme un levier émancipateur, ne lui restait plus que le subterfuge d’absorber la petite Option nationale des « purzédurs », fuyant un PQ à l’agonie, pour se donner un vernis libérateur quitte à ce qu’il soit complètement décroché de la question sociale. Ainsi semble réalisée la quadrature du cercle alliant (apparente) rupture et (impossible) réformisme du capitalisme. La bise étant venue de l’empilement et de l’emballement des crises écologique-économique-sociale qui accablent le Québec et l’humanité, ce grand écart déchire le parti à son plus faible point de suture de l’heure, l’antiracisme dont les personnes partisanes s’opposent de facto à un indépendantisme qui a perdu ses franches couleurs révolutionnaires rouge-blanc-vert noyés dans un pâle et uniforme bleu royal.