Rares sont les politiciens qui ont su se sortir des pires pétrins comme Jean Charest l’a fait, lui qui a dû manœuvrer plus souvent qu’autrement afin de sortir la tête de l’eau dans des contextes où les taux d’insatisfaction le concernant atteignaient des niveaux record. Nombreux étaient ceux qui croyaient qu’il ne se relèverait pas de la crise liée à la privatisation du Mont Orford, du financement occulte des écoles privées juives, de la loi sur les défusions, des coupures dans les programmes de prêts et bourses, de l’imposition de la sous-traitance dans la fonction publique, des baisses d’impôts financées à même des hausses tarifaires, du fiasco de la Caisse de dépôt et placement, etc. Charest, lui, y parvenait.
« Y parvenait »…Voilà le mot-clé. Car de la présente crise liée à la corruption généralisée dans les affaires politiques au Québec, Charest ne se relèvera pas. À toutes fins pratiques, nous pouvons dire que Charest est un cadavre encore chaud, rien de plus.
Sur les ondes de Radio-Canada, le chroniqueur politique Michel David affirmait aujourd’hui que le vent a tourné, pour Charest, le jour où il fut révélé qu’il touchait en secret un salaire de 75 000$ par année de son parti. Dès lors, la confiance des Québécois en ce premier ministre aurait été fortement ébranlée. Je dois dire que je suis très fier d’avoir contribué à ce que cette histoire sorte au grand jour.
Des mois durant, j’ai enquêté sur les revenus de Charest. J’ai publié un article établissant très clairement que Charest n’avait pas les moyens de financer son train de vie princier. Pour étayer mes dires, j’affirmais qu’avec un seul salaire de premier ministre, Charest ne pouvait pas se payer deux luxueuses résidences, l’une située à Westmount et l’autre à North Hatley. Les avocats de Charest ont tenté de me faire taire. Je leur ai répondu par un ferme bras d’honneur. Des mois plus tard, le Parti libéral a fini par admettre que le trou dans les finances personnelles du premier ministre pouvait s’expliquer par le salaire secret qui lui était versé et qui atteignait la somme mirobolante de 75 000$ par année (ce qui correspondait à mes analyses). J’avais gagné ! J’étais à peu près le seul à le savoir, mais j’avais eu le dessus sur un premier ministre !
La crise à laquelle on assiste présentement me fait penser aux événement ayant conduit à la chute du gouvernement d’Édouard Daladier, en France. Le 6 février 1934, place de la Concorde, à Paris, les citoyens s’étaient réunis afin de manifester contre ce gouvernement que l’on accusait de corruption. La mort de l’arnaqueur Sacha Stavisky (un meurtre dissimulé en suicide ?) survenue quelque temps auparavant avait déclenché les hostilités du peuple. Stavisky avait été reconnu coupable de détournement de fonds. Il avait utilisé l’argent de la municipalité de Bayonne pour s’enrichir comme pas un. Pour ce faire, il avait soudoyé de nombreux politiques, eux qui acceptèrent de fermer les yeux sur ses crimes. À l’annonce d’un tel scandale, les citoyens prirent la rue pour y scander « dehors les voleurs ». L’émeute éclata le 6 février et fit de nombreux morts et blessés.
Les citoyens étaient furieux car il y avait collusion apparente entre Stavisky et certains politiciens haut placés. Les relations du fraudeur lui avaient permis de se prémunir de la justice des années durant. Lorsque la soupe devint trop chaude, des membres parmi les plus éminents du gouvernement Daladier ne trouvèrent rien de plus intelligent à répondre que les politiciens n’y pouvaient rien, qu’il fallait laisser la police faire son travail ( Ça rappelle quelque chose quand même !!!).
La crise était si grave que la IIIe République fut mise en péril. Le gouvernement Daladier sombra. Gaston Doumergue reprit les rênes.
Ce que ces événements français nous permettent de dire, c’est qu’il y a des limites à prendre les gens pour des imbéciles. En France, à cette époque, il était clair que bien des politiciens profitaient des arnaques imaginées par Stavisky. Tous s’en rendaient compte, malgré les tentatives de dissimulation des politiciens. Au Québec, il est évident que bien des politiciens libéraux profitent d’un système de corruption qui concerne les garderies, l’industrie de la construction, la mafia, le monde municipal et les despotes aucunement éclairés qui l’administrent, les nominations partisanes effectuées par un gouvernement corrompu, les revenus occultes du premier ministre Charest. En comparaison, l’affaire Stavisky, c’est de la petite bière !
En France, en 1934, les citoyens n’ont pas été convaincus par les appels à la police que faisaient les politiciens afin de calmer le jeu. Les citoyens savaient que cela ne réglerait rien ; ils n’avaient plus aucune confiance en la classe politique et en ses stratagèmes, et ils avaient bien raison. Comme les Québécois, en 2010, savent pertinemment que les discours de Charest nous demandant de faire encore et toujours confiance à la police pour arrêter les malfrats qui ont les deux mains dans l’auge aux fonds publics ne sont rien d’autres que des faux-fuyants imaginés par des politiciens désespérés et désireux d’éviter à tout prix la tenue d’une commission d’enquête sur la corruption affligeant l’industrie de la construction. Ils ne veulent pas d’une telle commission car ils ont des choses à cacher; Charest tente de sauver ce qui lui reste de sa réputation…
En France, les gens sont sortis dans la rue pour renverser le système. Ici, les Québécois se fient pour l’instant à une pétition. On va se dire que ce n’est qu’un début, que la démarche citoyenne se radicalisera d’ici peu et qu’elle saura ici aussi renverser le système. Quelle forme tout cela prendra-t-il ? Il est trop tôt pour le dire. Mais il y a tout de même une chose que nous pouvons affirmer dès à présent, et c’est qu’à l’instar du gouvernement Daladier, celui de Charest est sur le point de sombrer. Charest est un politicien fini.
Et c’est un bon débarras !