Les députés faisant acte de désobéissance civile.

S’inspirer des Catalans ?

Au cours des derniers mois, j’ai été appelé à jouer à quelques occasions le rôle d’observateur international lors des consultations symboliques que les indépendantistes catalans ont organisées dans des centaines de villes.  J’ai été alors à même de constater la maturité politique de ce peuple-là et sa volonté d’en finir avec l’Espagne.  À chaque fois, plus de 90% des gens ont appuyé le projet indépendantiste.  Bien sûr, tout cela n’était que symbolique, sans impact légal donc. Mais cela a contribué à créer un rapport de force dont jouissent aujourd’hui les indépendantistes qui imaginent de cette façon-là plus efficacement la suite des choses.

Dimanche dernier, c’était au tour de Barcelone d’organiser sa consultation symbolique.  C’était la dernière, celle qui devait placer la cerise sur le gâteau.  Barcelone, c’était tout un défi.  C’est le Montréal des Catalans.  Une grosse ville cosmopolite où se noie de plus en plus l’identité catalane.  La langue catalane y perd toujours du terrain au profit du castillan (l’espagnol).  Obtenir un appui digne de ce nom au projet indépendantiste relevait du défi.  Défi que les Catalans ont relevé avec brio.  Près de 22% des gens se sont déplacés pour voter ;  91% ont appuyé le projet indépendantiste.

Bien sûr, il y a encore loin de la coupe aux lèvres.  Il ne sera pas facile pour les Catalans de passer des consultations symboliques au vrai référendum légal, et ce, parce que l’Espagne interdit de telles démarches.  Le royaume d’Espagne est un et indivisible.  Il ne serait pas facile non plus d’obtenir une solide majorité lors d’un vrai référendum ou obtenir un appui populaire suffisant pour déclarer unilatéralement l’indépendance.  Les Catalans dits de souche représentent environ 50% de la population ;  environ 35% des Catalans vivent en parlant leur langue nationale.  Les autres parlent le castillan, soit la langue du conquérant.  À l’heure actuelle, les sondages en Catalogne indiquent que le projet indépendantiste recueillerait environ 35, 45 voire 50% des appuis.  On voit difficilement comment les indépendantistes pourront faire mieux, même si la chose demeure bien sûr possible.  À force de courage, on peut soulever des montagnes.  Et comme la noblesse se trouve du côté de la cause catalane, j’ai malgré tout confiance.

J’ai aussi confiance parce que je constate qu’ils se sont donné les outils pour y parvenir. 

L’organisation des consultations symboliques a permis aux indépendantistes de développer une solide structure militante et de financement qui pourra servir lors d’un vrai référendum sur l’indépendance ou lorsque le moment sera venu de défendre une déclaration unilatérale d’indépendance.  Les militants sont au travail, se préparent.  Ce qui est la base même de tout combat politique.  En ce sens, les Catalans ont des leçons à donner aux Québécois en général et à Pauline Marois en particulier.

J’aime aussi beaucoup la composition actuelle de la Generalitat (le parlement du gouvernement autonome de Catalogne). En tant que militant québécois, je la trouve efficiente et très inspirante.

Le gouvernement est formé de Convergencia i Unio (CiU) d’Artur Mas.  C’est un parti autonomiste de centre-droit.  Mais avec ce qui se passe actuellement là-bas, CiU est plus souverainiste que jamais ;  Mas s’est même prononcé pour l’indépendance, même si son parti n’est pas vraiment en faveur de ce projet.  Au parlement, on retrouve également une dizaine de députés d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC).  ERC, c’est un peu le Québec solidaire de Catalogne, un parti très à gauche, mais souvent pas assez dynamique dans le dossier national.  Heureusement pour les Catalans, on retrouve également quatre députés de Solidaritat catalana per la independencia (SI), un parti « pur et dur » qui est en faveur d’une déclaration unilatérale d’indépendance. Eux, ils ne pensent qu’en fonction de l’indépendance ;  ils sont motivants.

Demain et jeudi, le parlement catalan sera appelé à débattre une proposition de SI concernant l’indépendance.  Parmi les 10 articles de la proposition, on en retrouve un qui plaide en faveur d’une déclaration immédiate d’indépendance.  Un geste audacieux s’il en est un, un geste qui répond de l’urgence qu’il y a de sortir la Catalogne de l’Espagne pour ainsi lui donner une véritable chance de survivre et vivre.

Bien sûr, SI est conscient que sa proposition ne reçoit pas l’aval général.  Déjà, les faiseux de CiU ont annoncé qu’ils refuseraient de se prononcer quant à la proposition de SI.  Ce qui condamne, à toutes fins pratiques, la proposition de SI et la déclaration d’indépendance par le fait même ;  enfin, pour cette fois-ci.

Mais les députés de ce parti n’en font pas moins preuve de courage.  Hier, ils ont participé à un rassemblement indépendantiste devant le parlement, et ce, afin de défendre la proposition qui sera ces jours-ci débattue.  La police est intervenue.  Elle a démantelé le camping des militants qui se proposaient d’y passer les prochaines 48 heures.  Plusieurs ont été arrêtés.  Uriel Bertran, Alfons Lopez Tena et Toni Strubell, tous trois députés de SI, se sont assis devant les policiers, refusant de quitter les lieux du rassemblement indépendantiste ;  ils ont adopté une stratégie de désobéissance civile afin de défendre leur pays !  Admirable !  Impressionnant.  Le courage politique est au rendez-vous, ce qui permet d’envisager le meilleur !

Les députés faisant acte de désobéissance civile.

Ce n’est malheureusement pas demain la veille qu’on verra Pauline Marois adopter une attitude similaire… Et pourtant ! 

Même si la victoire des indépendantistes catalans est loin d’être assurée, même s’il est périlleux de prédire que le Catalogne libre verra le jour dans un avenir prévisible, je me permets de dire que le Québec aurait quand même tout à gagner à s’inspirer de ce qui se passe là-bas.

Comme on le sait tous, le Québec jouit d’un appui populaire important pour l’indépendance, et ce, depuis des décennies et des décennies.  Une portion importante du peuple québécois serait prête à agir afin de retrouver enfin notre liberté.  Ici, comme à bien d’autres endroits, ce sont d’abord et avant tout nos z’élites qui posent problème.  Elles sont velléitaires, égoïstes et peureuses.  Nous devons par conséquent développer un rapport de force populaire contre elles, de façon à les contraindre à marcher vers le pays même si elles ne veulent pas vraiment y aller.  En ce sens, je crois que l’exemple catalan est inspirant.  Là-bas, ils ne laissent pas les z’élites de CiU agir à leur guise.  Ils les surveillent de près, font pression sur eux.

Et afin de faire vraiment pression sur CiU et ERC, les « purs et durs » catalans ont formé leur parti, ils se sont assurés que leurs représentants siègent à la Generalitat.  Cela a fait en sorte que les représentants « purs et durs » ne peuvent plus être ignorés par la presse comme s’ils étaient de simples militants indépendantistes.  De ce fait, le peuple les entend enfin !

On a bien vu au Québec que cette stratégie peut fonctionner.  Amir Khadir, seul député de son parti qui compte seulement 6000 membres, se retrouve plus souvent qu’à son tour sous les feux de la rampe, pour y défendre des idées chères à son mouvement politique.  Khadir est devenu 1000 fois plus efficace depuis qu’il est député qu’il ne l’était auparavant.  Il est même devenu le député le plus populaire au Québec, ce qui permet d’envisager une progression certaine pour Québec solidaire et les idées que cette formation défend.

Au Québec, nous faisons face à un contexte à l’intérieur duquel le changement politique survient principalement par l’entremise des partis politiques.  Il est difficile de défendre ici l’idée que le peuple se mobilisera un jour pour mieux entrer à l’Assemblée nationale et y jeter dehors les députés ;  une façon comme une autre de déclarer l’indépendance.  Plus probable est le fait qu’un parti politique, jouissant d’un appui populaire digne de ce nom, parviendra à sortir enfin le Québec du Canada.

Le problème est qu’actuellement, le PQ est plus timoré que jamais.  Pour imposer le changement, on pourrait, en tant que militants, entrer au PQ pour mieux y imposer nos idées et stratégies.  Or, le fait est que la démocratie est très malade à l’intérieur de ce parti.  La direction peut bloquer qui elle veut et jeter dans l’ombre les idées qui la dérange.

Plus efficace serait, selon moi, que le rapport de force se développe de l’extérieur du PQ, mais de façon à le tourner contre lui.  Est-ce que Québec solidaire pourrait être utilisé à cette fin ?  Peut-être.  Mais il est clair que bien des militants qui travaillent dans ce parti ne sont pas plus dynamiques quant à l’indépendance que la très vaste majorité des péquistes.  Plus rentable serait d’envoyer directement des purs et durs à l’Assemblée nationale.  Mais est-ce réaliste de penser la chose possible ?  Je ne sais pas.

Au lieu d’adopter le discours du Parti indépendantiste qui préconisait le remplacement pur et simple du Parti Québécois par un vrai parti indépendantiste, je crois qu’on aurait plus de succès en proposant aux militants et aux citoyens de s’assurer d’envoyer quelques purs et durs à l’Assemblée nationale pour aider le PQ à mieux faire l’indépendance.  Je crois qu’il demeure farfelu de penser tuer le PQ pour mettre au monde un parti indépendantiste qui sera aussi populaire, du jour au lendemain, que son prédécesseur.  Mais je demeure convaincu qu’un nombre très importants de militants indépendantistes seraient d’accord avec l’idée que quelques purs-et-durs fassent leur entrée au parlement pour y défendre là et ailleurs le projet de liberté que nous chérissons tous, mais sans devenir de ce fait des PQ bashers et des ennemis de ce parti.  Les purs-et-durs diraient y être pour accélérer les choses, tout simplement.  Bien des militants pourraient se reconnaître dans ce discours, et même plusieurs du PQ.

Est-ce une bonne idée ?  Je ne sais pas.  Ce dont je suis sûr, par contre, c’est que tout ça mérite réflexion.  Et ce dont je suis encore plus sûr, c’est qu’il faudra, un jour ou l’autre, redonner l’influence au courant pur et dur qu’il mérite.  Lui permettre d’entrer à l’Assemblée nationale serait certainement une façon d’y parvenir.

D’ici là :  Catalunya endavant !

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