Projet de société soumis au «marché» mais possible brèche vers la rue

Bilan du Conseil national de Québec solidaire de mai 2018

Le débat clef du conseil national de la mi-mai, qui déterminait l’orientation générale du projet de société alternatif pour l’élection du 1er octobre prochain, fut celui de la cible intermédiaire (2030) pour la baisse des émanations de gaz à effet de serre (GES)1. La direction du parti a déployé une grande offensive pour éliminer la cible de moins deux tiers décidée au congrès de révision du programme en 2016. Elle y a réussi avec en prime le maintien « temporaire » du marché du carbone durant un premier mandat Solidaire… le temps de faire l’indépendance. Comme pour se faire pardonner ce verticalisme à l’encontre d’un congrès fautif, lors du discours de clôture, le porte-parole homme a sorti du chapeau l’engagement de réduire de moitié les tarifs de transport en commun dès la première année du mandat2.

Où est l’alternatif projet de société qui donne la vie à l’indépendance?

L’élection à date fixe, une première, a automatiquement allongé la campagne électorale. Le un à deux mois habituels est devenu de sept à neuf mois. Québec solidaire a mordu à pleines dents dans ce nouvel os. Copiant la forme parti-mouvement3 des Sanders, Corbyn et Mélanchon, la direction du parti en a oublié la substantifique moelle, soit leur (relative) radicalité programmatique. Elle se contente d’égrener des engagements ciblés qui positionnent certes le parti carrément à gauche des trois autres partis présents à l’Assemblée nationale, ce qui n’est pas très difficile. Les principaux engagements sont, à part la réduction des tarifs du transport en commun de 50% dès la première année… sans prendre en compte la crise de l’achalandage aux heures de pointe en résultant; le salaire minimum à 15$ l’heure (11.60$USA)… comme l’Ontario en 2019; la fin du financement de l’école privée… comme en Ontario et sans réclamer la fin de la toute aussi importante sélection élitiste au sein de l’école publique; non à la production québécoise d’hydrocarbures… qui n’en produit pas; la parité au Conseil des ministres… comme du temps des Libéraux de Jean Charest; améliorer la condition enseignante (ratios, plus de personnel de soutien…) comme avant les coupes; limitation de la rémunération des PDG d’entreprises… qui reçoivent l’aide de l’État; le droit à la déconnexion… qui ne garantit pas la semaine de quarante heures ou moins; une assurance dentaire publique… qui n’est pas cependant la gratuité du projet de plateforme électorale 2018.

Ce positionnement, cependant, n’annonce pas un projet de société alternatif mais plutôt un capitalisme à visage humain… que l’exacerbation de la compétitivité au sein du marché global rend utopique. Par exemple, en ce moment, le Canada-Québec doit s’ajuster à la foudroyante baisse d’imposition des entreprises étasuniennes, à une hausse drastique des tarifs douaniers sur le bois d’œuvre, à une autre pendante sur l’aluminium et l’acier sans compter l’agonie de la remise en question de l’ALÉNA. Ajoutons-y un sommet du cycle économique qui ne peut que baisser tôt ou tard. L’analyste de Presse-toi-à-gauche voit bien le problème4 en appelant à combiner les « revendications concrètes » de la campagne électorale 2018 aux « propositions générales » de celle de 2014. L’auteur propose la thématique de l’indépendance pour fédérer les « chapelle[s] : qui la question sociale, qui la question écologique, qui la question féministe, qui la question indépendantiste, etc.. » Il ne précise pas que
l’indépendance sans projet de société nous ramène au cul-de-sac de l’indépendance péquiste ni droite ni gauche, ce que laisse entendre le final « … donner un sens véritable à la fusion que nous avons entérinée avec Option nationale. »5

La démocratie verticaliste à la mode Solidaire qui tue le débat

Pourtant le Conseil nationale a bel et bien voté dans une belle unanimité finalement soutenue par la direction que « Québec solidaire fasse de ce plan de transition énergétique une des grandes priorités de la campagne électorale de 2018. » Il fallait d’ailleurs entendre les commentaires carabinés de la majorité des interventions suite au rapport politique de la direction accusée d’avoir laissé tomber la question écologique. Puis eut lieu le débat sur la cible 2030 de réduction des émanations de GES, un modèle de contrôle bureaucratique. La direction, dissidente du programme, y a été d’un document de 10 pages distribué d’avance à tous les membres puis d’une longue présentation, qui a fait sortir de sa convalescence la porte-parole première ministre en attente, tellement que la présidence dut prolonger la période allouée. Les défenseurs de la cible du programme n’ont pas eu droit à un semblant d’équivalence ni même à une table pour distribuer trois courts textes, ce à quoi ont droit les collectifs et même les organisations extérieures. Elles ont dû se contenter d’un tract (voir annexe) et de leurs interventions sur le plancher. Est-ce ça la démocratie à la mode Solidaire?

Est-ce cette forte pression et ce déséquilibre qui ont réduit au silence la délégation de la Capitale-nationale qui pourtant soutenait le maintien de la cible des deux tiers ? Quant au Réseau dit écosocialiste et à sa nébuleuse, il était comme d’habitude aux abonnés absents comme il l’est en général lors de tout débat écologique. Sur le fond, le parti, sur la base d’un rapport demeuré secret auquel même la militance du Comité thématique sur l’environnement n’a pas accès, s’en remet « temporairement », à l’encontre du programme, au marché/taxe carbone pour le financement de sa cible réduite. La loi de la compétitivité capitaliste empêche des taux élevés sous peine de grève/fuite des capitaux… à moins comme en Suède de séparer la taxe, élevée pour la population, et le marché, à bas prix pour les entreprises. Ce marché/taxe est régressive comme n’importe quelle taxe indirecte et sert, comme en Colombie britannique et en Suède, à réduire l’imposition plus progressive des revenus. L’atteinte de la cible de 67% (ou 45% telle que votée) pour 2030 en devient impossible. Elle est pourtant indispensable pour sauver l’humanité d’une crise existentielle6 en plus d’être «réaliste»7. Peut l’atteindre, la planification démocratique qui soumet le marché et taxe le capital et ses revenus, comme le patronat canadien l’a fait en 1939 pour la guerre en éliminant en 3 ans le chômage8.

La possible brèche vers la rue sur une lancée électorale aux assises fragiles

La pression sur la direction se faisant tout de même bien sentir, et la direction du parti s’y étant préparé dans le secret de l’alcôve, le porte-parole vice-premier ministre en attente mit sur la table au dernier moment la revendication de la gratuité du transport en commun sur dix ans dont la moitié dès la première année9. Ce tournant à 180° sorti de l’armoire où elle ramassait de la poussière depuis 2012 est à célébrer haut et fort. Mais le ressort comprimé trop longtemps a balancé le pendule vers un certain gauchisme. S’engager à une réduction de 50% dès la première année est dangereux car on risque une hausse subite de la demande sans que les moyens le permettent d’où une crise d’achalandage lors de l’heure de pointe avec file d’attente et autobus et métros qui passent sans s’arrêter. Le « … sur dix ans » signifie implicitement une baisse de 10% l’an ce qui permet de hausser l’offre pour répondre à la demande. Pour cette raison, il faudrait se prononcer pour l’arrêt de la construction de l’anti-écologique train aérien REM10 au cœur du Programme de mobilité durable gouvernemental11 dont le parti n’a pas non plus fait la critique. Le REM se doit d’être remplacé par le « Grand Virage »12 ou un équivalent qui permet au même coût un système plus ample et construit plus rapidement car sur le sol et inséré dans la trame urbaine ce qui contribue à tasser l’auto solo tout en lui fournissant une alternative.

Il n’en reste pas moins que la direction du parti, sous pression de la base, et sans doute aussi inquiète de mauvais sondages qui persistent13, tient depuis le Conseil national un discours de « rupture » que viennent renforcer les tirades anticapitalistes14 du député Amir Khadir qui tire sa révérence, après dix ans comme député, à la suite de Françoise David en janvier 2017. Toutefois, la popularité des deux nouveaux porte-parole compensent amplement. Les candidatures, surtout les candidates car le parti est champion de la parité femme-homme, se bousculent pour solliciter l’électorat. À remarquer celle d’un ex commentateur vedette du journal fédéraliste La Presse congédié par son employeur, mais dont la sensibilité de gauche avait jusqu’ici été peu remarquée, et une nouvelle venue d’Option nationale, dans la circonscription la plus prometteuse hors Montréal, qui a délogé la candidate habituelle plus sociale. Et le parti a très bien réussi le test de sa première candidate voilée15.

Sur cette lancée, la nouvelle revendication sur la demi-gratuité du transport en commun en l’an un d’un gouvernement Solidaire, qui a fait la une médiatique, apparaît effectivement comme une rupture… en autant qu’elle franchisse la frontière entre les urnes et la rue, que de promesse électorale elle devienne un outil de  mobilisation comme l’a été la gratuité scolaire vis-à-vis le Printemps érable en 2012. Ce sera là le véritable test de la nouvelle conception parti-mouvement au-delà d’un légitime outil purement électoral. Autrement, le nouveau Québec solidaire pourrait rester coincé dans l’institution parlementaire comme parti du peuple contre l’élite, du 99% contre le 1%. Ce serait là une position périlleuse pour affronter la grande épreuve qui s’annonce dès cet été : le franchissement «illégal» de la frontière Québec-ÉU par quelques dizaines de milliers de réfugiées chassées par la trumpmania, ce qui mobilise déjà de part et d’autre16. La morale de l’accueil ne suffisant pas, l’arme clef contre le fléau identitaire, qui corrode les esprits inquiets et les corps précarisés, c’est la mobilisation toutes et tous ensemble.

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Notes:

1 Pour un simple compte-rendu du Conseil national : Ginette Lewis, Les débats majeurs au CN de QS et leurs résultats, Presse-toi-à-gauche, 15/05/18
2 Québec solidaire, Conseil national de Québec solidaire – « Un gouvernement solidaire réduira de 50% les tarifs du transport en commun » – Gabriel Nadeau-Dubois, 13/05/18
3 Québec solidaire, Mouvement Québec solidaire, visité le 19/05/18
4 Pierre Mouterde, De quelques réflexions à voix haute, Presse-toi-à-gauche, 15/05/18
5 Voir mon blogue : « La fusion de Québec solidaire avec Option nationale vers un virage à droite – Le livre qui fait dire oui à un Québec concurrentiel sur le marché global » : Ce « livre qui fait dire oui » est promu avec zèle par Option nationale, par exemple au dernier Conseil national, sans rétorsion ni de la direction ni des collectifs se réclamant de Marx et de Trotski.
6 Marc Bonhomme, Casser la dialectique science – guerre qui mène l’humanité vers sa perte, Presse-toi-à-gauche, 8/05/18
7 Marc Bonhomme, La réduction des gaz à effet de serre (GES) des deux tiers d’ici 2030 au Québec est faisable
techniquement, financièrement et politiquement, Presse-toi-à-gauche, 20/02/18
8 Marc Bonhomme, Appliquer l’économie de guerre patronale à la mode anticapitaliste, Le Québécois, 1/05/18
9 Notons que c’est l’importante circonscription d’Hochelaga-Maisonneuve qui a souqué ferme de 2010 à 2012 pour inclure cette revendication, avec l’appui de la Région de Montréal et du Comité des femmes, dans la plateforme électorale 2012, léguée à celles 2014 et 2018. Tout comme elle a lutté becs et ongles au dernier Conseil national, bien seule cependant, pour la défense de la cible intermédiaire de moins deux tiers. Est-ce une défaite qui prépare une ultérieure victoire?
10 Trainsparence, Pourquoi nous nous opposons au REM, visité le 20/05/18
11 Bruno Detuncq, Politique de mobilité durable – Du vœu pieux à l’échec assuré, Presse-toi-à-gauche, 15/05/18
12 Le Grand Virage, visité le 20/05/18
13 Sondage Léger LCN-Le Devoir-Journal de Montréal. La politique provinciale au Québec, 12/05/18
14 Patrice Bergeron, Khadir appelle à renverser le capitalisme en commission parlementaire, La Presse, 2/05/18
15 Giuseppe Valiante – La Presse canadienne, Le débat sur le hijab ressurgit avec l’arrivée d’une candidate voilée,
HuffPost-Québec, 20/04/18
16 Ugo Giguère – La Presse Canadienne, Demandeurs d’asile: des manifestations à la frontière, Jaggi Singh arrêté, Le Soleil, 19/05/18

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L’atteinte de l’objectif température de l’Accord de Paris est
La priorité de ce siècle pour sauver l’humanité
Faisable techniquement, financièrement et politiquement
Aussi facile que la planification économique orchestrée par le patronat en 1939

La cible de 67% de baisse des GES d’ici 2030 par rapport à 1990

Vient d’un organisme crédible souvent cité (CAT) composé de scientifiques du GIEC-ONU
Une cible qui ne tient pas compte des enjeux liés à la pollution causée par les plastiques
En 2017 cette cible a été remplacée – pression politique? – par un éventail de 87% à 18%

La cible 67% : plus facile pour le Québec que pour le Canada

Par rapport au Canada, le Québec a déjà accompli le tiers du chemin (+9% versus -18%)
Le Québec n’a pas besoin de restructurer son économie comme l’Alberta et l’Ontario
Le Québec est déjà doté d’une industrie du transport collectif et aucune d’auto solo
Le Québec a déjà un surplus hydroélectrique pour électrifier tout le transport routier

Les ressources financières sont abondantes mais doivent être mobilisées

Selon la Coalition mains rouges, le Québec (province) pourrait imposer 10G$ de plus
Un Québec indépendant supprimant les baisses d’impôt disposeraient de 20G$ de plus
Une banque d’État d’un Québec indépendant orientant tout le secteur financier contrôlerait
tous les leviers économiques nécessaires pour orchestrer la transition écologique.
Et on a encore rien dit à propos des paradis fiscaux et de l’évasion fiscale

Rien n’est possible par le «marché», tout le devient par la planification

Le «marché», c’est 200 transnationales dont 90 sont responsables de ⅔ des GES historiques
Par le marché/taxe carbone, ni 67%, ni 50/45%, ni le 37.5% des Libéraux n’est atteignable
La planification de guerre du patronat canadien a créé un plein emploi de qualité en 3 ans
Si c’est possible pour vaincre les fascistes, ça doit l’être pour sauver la planète

La bureaucratie ne remplace pas le «marché», la mobilisation sociale le fait

Sortir des hydrocarbures est indispensable pour préserver l’eau, ce bien commun essentiel
La gratuité du transport collectif sur 10 ans mobilisera comme la gratuité scolaire l’a fait
Les services publics consomment beaucoup d’énergie humaine, très peu d’énergie fossile

Pour juguler la Finance, contrôler l’épargne nationale et sortir du Canada pétrolier
Il faut l’indépendance

Signé : Hochelaga-Maisonneuve – Pour plus d’information venez voir la délégation de QSHM

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