Impertinente capsule estivale # 3
La main tendue à Poutine par Trump provoque l’ire de l’establishment étasunien, républicains compris. Trump serait-il l’otage de Poutine? Peut-être. En tout cas, c’est une tentative de retournement fondamental tant du pilier des alliances dérivées du temps de la guerre froide que de celui idéologique de la défense de la démocratie et de la liberté incluant le libre-échange. Est-il fasciné par cet autre adepte de la méthode forte tant à Moscou qu’en Syrie à la sauce raciste et xénophobe? Sans doute. Toutes ses remises en question tellement troublantes pour le mythe étasunien du phare sur la colline ont au moins l’avantage de réconcilier le discours avec la vérité de la réelle politique étasunienne tant intérieure qu’extérieure. Tout le contraire d’une fake news! Se peut-il que ce soit là le scénario dramatique d’une tentative de réalignement majeur de la politique étrangère étasunienne avant que les ÉU ne s’affaiblissent davantage depuis leurs défaites militaires au Moyen-Orient après l’an 2000 et leur déconvenue économique, marquée par la crise de 2007-2009, face à la Chine? Ce serait maintenant ou jamais le temps de faire jouer à fond leur surpuissance militaire, technologique et financière quitte à jouer quitte ou double.
Le leg d’impuissance de la présidence Obama
La présidence Obama avait répondu à ce défi par le pivot vers l’Asie et l’Accord de partenariat transpacifique pour isoler la Chine et une politique de renforcement des alliances au Moyen-Orient contre l’État islamique tant avec l’Europe qu’avec les puissances régionales y compris l’Iran avec laquelle elle signa un traité anti-nucléaire. Les premières ne permirent pas aux ÉU d’empêcher la Chine de prendre pied militairement dans la mer de Chine méridionale ou de tisser sa propre toile économique avec sa Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB) impliquant jusqu’aux plus proches alliés des ÉU, contre leur volonté, dont le Canada et surtout par l’Initiative route et ceinture (Belt and Road Initiative) présentée comme un nouveau Plan Marshall s’étendant jusqu’à l’Europe et l’Afrique par l’Asie centrale et celle du sud-est et du sud. La dernière n’empêcha pas la Russie de reprendre pied en Ukraine et au Moyen-Orient par la Syrie et même de disputer à l’OTAN la fidélité de la Turquie tout en n’affaiblissant pas, au contraire, l’influence de l’Iran. Par ailleurs, la politique intérieure d’Obama, toute pétrie d’austérité et de répression, offrait un tel contraste avec son discours que la crédibilité extérieure des ÉU en devenait fragilisée.
Une Russie comme partenaire junior de l’impérialisme étasunien
Arracher la Russie à la tentation déjà enclenchée de l’alliance chinoise enlèverait à la Chine sa réserve stratégique de matières premières, son Canada pourrait-on dire, potentiellement jusqu’en Asie centrale, passage obligé de la nouvelle Route de la soie. L’influence de la Russie pourrait (re)devenir prépondérante dans ce near abroad avec le soutien des capitaux occidentaux, surtout européens, palliant son extrême affaiblissement manufacturier et technologique contrastant avec sa relative force armée, en particulier nucléaire, et sa richesse en matières premières dont la forêt et l’eau que la crise climatique rend rare. À l’ombre étasunienne, la Russie pourrait (re)devenir une alliée stratégique d’une Inde en croissance rapide et assoiffée de matières premières en particulier énergétiques. Idem pour le Japon apeuré par la montée en puissance de la Chine encore plus si elle s’alliait à la Russie.
Une Europe coincée mais qui y trouverait son compte
En retour, la Russie y gagnerait technologiquement en autant qu’elle accepte la pénétration des transnationales « occidentales » ce qui serait nécessaire pour redonner une base économique solide à son militarisme. Resterait à arbitrer la dépendance énergétique de l’Europe, en particulier son pivot allemand, entre les ÉU, le Moyen-Orient et la Russie. Resterait surtout à la rassurer en ce qui regarde la force armée russe face à sa propre faiblesse à cet égard et à lui faire accepter l’os d’être coincée entre l’arbre étasunien et l’écorce russe. Cependant, cette faiblesse et sa division laisserait-elle à l’Europe un autre choix que s’ajuster au tournant stratégique de son protecteur? L’Allemagne, un nain militaire mais un grand exportateur de machinerie, aurait tout intérêt à rééquiper la Russie contre ses matières premières et énergétiques d’autant qu’il lui sera de plus en plus difficile d’exporter vers la lointaine Chine, ennemi stratégique des ÉU, sans être capable de projeter au loin ses propres forces navales.
La démocratie bourgeoise au musée de l’histoire
Ce chamboulement des alliances ratatinerait encore la démocratie bourgeoise déjà enlisée dans la gouvernance néolibérale lui enlevant toute crédibilité. Le grand affrontement des impérialismes anciens et nouveaux, maintenant qu’ont été balayés les régimes bureaucratiques issus des révolutions en panne d’internationalisme, exige l’embrigadement totalitaire des peuples ce que permet seulement des régimes autoritaires se légitimant à coups d’ultra-nationalisme mobilisant à fond racisme et sexisme. La descente aux enfers des guerres totales sans frontière s’accélère sous nos yeux, de l’Europe de l’extrême-droite montante aux ÉU ouvertement réactionnaire en passant par la Chine à poigne, l’Inde au crypto-fascisme religieux, le Moyen-Orient gangrené par le fondamentalisme et l’Amérique latine revenant à la dictature sous couvert électoral. Même le soi-disant modéré Canada n’y échappe pas : hier l’Ontario, demain l’Alberta et le Québec?
Le rendez-vous manqué entre gauche anticapitaliste et peuples
Pourtant le nouveau millénaire s’était annoncé par le jaillissement altermondialiste contre les guerres impérialistes et djihadistes. Les peuples andins puis méditerranéens, en n’en ralliant d’autres, se mirent en marche pour la démocratie véritable. Mais la gauche anticapitaliste, décimée et confondue par les succédanés sociaux-démocrates et staliniens du socialisme, n’était pas au rendez-vous pour dénoncer le piège de la démocratie parlementaire sur fond d’hégémonie économique des transnationales. Elle n’était plus là pour guider le cœur prolétarien des peuples vers la démocratisation intégrale de la société à commencer par son noyau dur financier et économique. Les fruits redistributifs absents ou épuisés, le découragement populaire a fait le lit de la droite anti-démocratique, parfois se parant des couleurs de la gauche, pour prendre le devant de la scène.
Le centrisme va droit dans le mur de la crise existentielle de l’humanité
Pendant ce temps s’est mise à cuire la terre-mère attisée par l’accumulation débridée du capital. La crise climatique et celle parente mais différente de la biodiversité deviennent les amplificateurs et de plus en plus les initiateurs des crises économiques, sociales et politiques qui définissent la grande crise de la civilisation issue de la révolution néolithique. Ces deux crises combinées sont devenues le grand défi du nouveau siècle. La consommation exponentielle de masse de la fin du XXiè siècle, prolongement de l’accumulation du capital, a été son arme politique de destruction massive pour vaincre idéologiquement le prolétariat révolutionnaire du début de ce siècle. Pour gagner la grande bataille stratégique du dernier siècle, le capital a poussé à sa limite la résilience des grands équilibres de l’écosystème terrestre. Il n’y a plus d’espace pour une troisième voie centriste qui fut l’instrument politique de prédilection du capital pour tromper un prolétariat amolli. C’est dorénavant à droite toute dont l’horizon est une barbarie capable d’en finir avec l’humanité ou à gauche toute pour renverser le capitalisme vers l’horizon d’un gouvernement mondial socialiste de plein emploi écologique.