Voici, à quelques détails près, les réflexions que j’ai transmises le 18 septembre 2019 à la Commission de la culture et de l’éducation de l’Assemblée nationale du Québec. J’ai ajouté quelques liens, précisions et illustrations pour les lecteurs du site Le Québécois.
Il est désolant de constater que, dans son mandat d’initiative sur l’avenir des médias d’information, la Commission de la culture et de l’éducation n’a entendu que des acteurs du monde médiatique et qu’elle n’a pas sollicité des mémoires de la part du public, qui est pourtant le destinataire de l’information diffusée par les médias. Le public a besoin d’être bien informé par une presse vraiment indépendante. C’est une condition sine qua non pour l’exercice des droits démocratiques.
De plus, si le gouvernement envisage d’aider financièrement les médias, le public est doublement concerné, car l’argent viendra des poches de l’ensemble des contribuables. Comment se fait-il alors que le gouvernement et l’Assemblée nationale n’aient pas cru bon d’entendre ceux qui paieront éventuellement la note? Serait-ce symptomatique d’un mal plus profond que la concurrence de multinationales comme Google et Facebook?
Subventionnés ou non, les médias n’ont eu jusqu’à maintenant aucun compte à rendre au public. À part les poursuites judiciaires pour diffamation qui peuvent leur être intentées par ceux qui ont les moyens de payer d’exorbitants honoraires d’avocat, les recours contre les médias sont pratiquement inexistants. Aucun organisme public indépendant n’est chargé de scruter le travail des médias en tenant compte des récriminations que les gens ordinaires peuvent avoir.
Le Conseil de presse du Québec n’est qu’un tribunal d’honneur dont les décisions ne sont accompagnées d’aucune sanction et dont l’indépendance est plutôt discutable. Il dispose d’un budget très limité et ne fait qu’étudier à la pièce les plaintes qui lui sont adressées. On est très loin du travail de surveillance et d’examen que mériterait le quatrième pouvoir, vu son importance cruciale pour que la démocratie se porte bien.
Mentir sans en avoir l’air
Les médias disposant de gros budgets, comme Radio-Canada, se vantent souvent de la fiabilité de l’information qu’ils diffusent à l’aide de leur armée de journalistes, de réalisateurs, de collaborateurs et d’autres employés. Ils affirment être des exemples de rigueur qui luttent contre les « fausses nouvelles ». Est-ce vraiment le cas? Pour bien informer le public, doit-on se contenter de vérifier scrupuleusement les faits que l’on juge pertinents?
Les méthodes modernes de désinformation et de propagande sont beaucoup plus sophistiquées que la simple propagation d’informations erronées ou tendancieuses. Les patrons de presse et les directeurs de l’information savent très bien qu’on n’a pas besoin d’enfreindre le Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec pour façonner les croyances des gens, les amener à croire le contraire de la vérité et atrophier leur sens critique.
Les médias peuvent, par exemple, sélectionner les informations et les sources à leur guise. Ils ont la possibilité de privilégier certains points de vue et d’occulter ceux qui ne correspondent pas à la perception de la réalité qu’ils cherchent à véhiculer. Lorsqu’on étudie en profondeur certains dossiers sur la scène internationale, comme je l’ai fait, on s’aperçoit que la sélection et l’occultation des informations constituent une méthode largement employée par les grands médias, dans le cadre de vastes opérations de propagande.
Le cas de Laurent Gbagbo
En 2011, je me suis rendu à mes frais dans les camps de réfugiés ivoiriens au Ghana, là où aucun journaliste canadien n’était allé malheureusement. C’était à la suite de la « crise postélectorale » ayant conduit au renversement du président Laurent Gbagbo, qui vient d’être acquitté par la Cour pénale internationale, au terme d’une longue campagne de salissage et de diabolisation indigne de médias prétendument rigoureux et indépendants, comme Radio-Canada, La Presse et Le Devoir.
Dans les camps de réfugiés, dans mes discussions avec les responsables ghanéens et dans mes rencontres avec des figures politiques ivoiriennes de premier plan, j’ai appris en 2011 que tout ce que racontaient les médias québécois à propos de la Côte d’Ivoire faisait partie d’un scénario fallacieux destiné à aider la créature de Wall Street, Alassane Ouattara, à s’emparer du pouvoir. Pendant presque neuf ans avait sévi une abominable guerre civile dont Ouattara et ses parrains occidentaux étaient entièrement responsables, mais les médias avaient imputé sans cesse à Laurent Gbagbo les atrocités commises.
J’ai appris qu’en réalité, Laurent Gbagbo était le père du multipartisme en Côte d’Ivoire et qu’il livrait depuis des décennies un combat héroïque pour la souveraineté de son pays, pour l’avenir de ses concitoyens et pour la prospérité de l’Afrique. J’ai su que les gouvernements formés par Laurent Gbagbo étaient pluriethniques, par opposition aux gouvernements de « rattrapage ethnique » qui sont la marque de commerce du dictateur Ouattara depuis que certaines puissances l’ont imposé par les bombes et le mensonge à la nation ivoirienne.
La vérité sur Laurent Gbagbo est aux antipodes de l’image constamment véhiculée par la presse québécoise. J’en ai d’abondantes preuves, y compris entre autres des procès-verbaux qui avaient été falsifiés par la clique de Ouattara, lors du deuxième tour de l’élection présidentielle de 2010, et que l’ONUCI a tenté de faire disparaître, conformément aux ordres des omnipotents commanditaires du coup d’État. Contrairement aux médias d’information québécois, qui se contentent essentiellement de relayer les dépêches de l’Agence France-Presse lorsqu’il est question de la Côte d’Ivoire, je suis allé personnellement voir les Ivoiriens sur place, en toute indépendance, et je peux affirmer sans l’ombre d’un doute que les médias ont sciemment menti au peuple québécois.
Pour pouvoir juger correctement la politique étrangère mise en œuvre par leurs élus, comme ce devrait être le cas dans une démocratie, les Québécois auraient gagné à connaitre Laurent Gbagbo, un homme charmant, très cultivé, grand démocrate et francophone de surcroit, mais ils n’ont eu droit qu’à des reportages truqués et malintentionnés de la part de journalistes qui sont déjà rémunérés avec les deniers publics ou que le gouvernement du Québec songe à aider avec les mêmes deniers.
Le public québécois aurait sans doute aimé entendre la réponse à l’une des premières questions que j’ai posées à la commission ghanéenne des réfugiés : du temps de la guerre civile, lorsque Laurent Gbagbo était président, après avoir été élu démocratiquement en 2000, y avait-il des réfugiés ivoiriens au Ghana? Réponse : non! Les Ivoiriens qui fuyaient la guerre et le terrorisme se réfugiaient dans la zone gouvernementale. Même les adversaires de Laurent Gbagbo vaquaient tranquillement à leurs occupations, en toute liberté, sous la protection du gouvernement ivoirien. En fait de despote, on a déjà vu pire que Laurent Gbagbo, n’est-ce pas? Ce n’est qu’après le « triomphe de la démocratie » imposée par la « communauté internationale » que des centaines de milliers d’Ivoiriens ont dû abandonner leur foyer et leurs biens pour échapper aux tueurs de Ouattara et sauver leur peau. Ils se sont retrouvés dans les pays limitrophes, comme le Ghana, où j’ai pu les rencontrer. En revanche, les déplacés qui sont restés en Côte d’Ivoire, sous la protection supposée de l’ONU, l’ont amèrement regretté.
Des médias au service de la démocratie ou de la CIA?
Le public québécois n’a pas eu droit à un éclairage objectif au sujet de la Côte d’Ivoire, qui est un cas flagrant de propagande mensongère savamment orchestrée, mais qui est loin d’être le seul exemple du genre. Sur la scène internationale, les dossiers de Cuba, du Rwanda, de la RDC, de la Yougoslavie, de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Libye, de la Syrie, de l’Ukraine, du Yémen, de l’Iran, du Venezuela, de la Russie et de la Chine ont fait l’objet de campagnes massives de propagande mensongère qui se poursuivent encore aujourd’hui. En ce qui a trait au Québec, la manipulation est constante sur la question nationale et sur le mouvement indépendantiste. Des faits sont occultés. Des contradicteurs sont muselés. Des agitateurs sont instrumentalisés. La réalité est travestie. Est-ce normal dans une démocratie? Peut-on vraiment dire que les médias d’information sont indépendants s’ils sont utilisés de la sorte? Qui tire les ficelles pour que les journalistes mentent à l’unisson?
Il est évident que la propagande est souvent très étroitement liée aux intérêts de Washington, ce qui est une piste intéressante pour découvrir l’identité du marionnettiste. Or, que certains riches et puissants ayant leurs entrées dans la capitale des États-Unis veuillent faire la guerre pour arriver à leurs fins et que des pays inféodés se sentent obligés de les suivre est déplorable, mais sans doute inévitable, vu la nature humaine. Cependant, que la presse soit unanimement à leur service tout en prétendant être indépendante et qu’elle tente de nous faire croire que nous vivons dans une démocratie alors que nous sommes constamment bernés est totalement inacceptable, voire révoltant.
Il m’apparait évident que les difficultés actuelles des médias ne sont pas uniquement attribuables à leur modèle d’affaires. Elles découlent en bonne partie du désillusionnement du public, qui se rend compte à divers degrés des supercheries dont il est victime et qui se réfugie ailleurs, notamment dans les médias sociaux, les médias alternatifs et les médias étrangers qui permettent d’avoir un autre son de cloche que la doxa inventée dont nous abreuvent les médias québécois.
Ainsi, bien que certains accusent la chaine Russia Today (RT) de faire de la propagande prorusse, bon nombre de Québécois la consultent parce qu’ils y trouvent de l’information qui est absente des médias occidentaux. RT s’empare de la sorte d’un créneau qui est délaissé par ses concurrents du G7. Ses émissions, reportages, articles et documentaires sont de grande qualité et ne sont pas encombrés de publicité. RT diffuse en russe, en anglais, en français, en arabe et en espagnol, et son budget est de trois à quatre fois inférieur à celui de Radio-Canada.
Un organe de presse québécois qui serait capable de sortir des ornières de la propagande atlantiste, qui ferait du journalisme de qualité et dont la production serait attrayante et conçue sur mesure pour le public québécois n’aurait aucune peine à rivaliser avec les médias d’information actuels et aurait de meilleures chances qu’eux d’être financièrement viable.
En 1975, la commission du Sénat des États-Unis présidée par le sénateur Frank Church a levé le voile sur l’opération Mockingbird, un programme de la CIA par lequel cette dernière avait acquis une grande influence sur le contenu des journaux, des magazines et des chaines télévisuelles de premier plan aux États-Unis, comme le New York Times, le Washington Post et le réseau CBS. Le journaliste Carl Bernstein a notamment écrit à ce sujet un article intitulé « The CIA and the Media » qui a paru dans le magazine Rolling Stone en 1977.
La CIA a-t-elle cessé ses activités d’infiltration des médias depuis? Tout indique que non, y compris le témoignage du regretté journaliste Udo Ulfkotte, qui raconte en détail, dans son livre Gekaufte Journalisten (journalistes à gages), comment on l’a obligé à faire de la propagande pour la CIA lorsqu’il travaillait au journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung. L’interview qu’Udo Ulfkotte a accordé à RT en 2014 peut être visionnée sur YouTube. Aucun média québécois n’a jamais donné la parole à Uldo Ulfkotte.
La CIA est vraisemblablement plus active que jamais dans l’univers de la désinformation et elle a étendu son réseau d’influence à de nombreux pays, y compris le Canada. C’est ce qui expliquerait en bonne partie le suivisme médiatique lorsque Washington part en guerre contre ceux qui tiennent tête à l’oligarchie du G7, comme Laurent Gbagbo. C’est ce qui expliquerait peut-être aussi la timidité du gouvernement du Québec et de l’Assemblée nationale lorsqu’il est question de l’avenir des médias. On préfère se limiter aux questions de financement et de modèle d’affaires, tout en tenant le grand public à l’écart.
Il est déjà assez choquant que les taxes et les impôts des Québécois servent à financer la propagande de Radio-Canada. Il ne faudrait pas que le gouvernement du Québec ajoute l’insulte à l’injure en aidant financièrement d’autres antennes de la CIA sans que les contribuables puissent leur demander des comptes.
Note explicative
S’agissant de l’acquittement récent de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, le juge Cuno Tarfusser, de la Cour pénale internationale, a souligné « la faiblesse exceptionnelle de la preuve » que j’avais déjà dénoncée à maintes reprises, y compris dans « Le tribunal de Blancs qui juge des Noirs coute cher aux contribuables canadiens », le 22 mai 2018.
Pourtant, après l’acquittement, Radio-Canada et d’autres médias québécois ont continué d’imputer à Laurent Gbagbo la responsabilité des crimes commis pendant la crise postélectorale de 2010-2011 en disant que cette crise était « née du refus de [Laurent Gbagbo] de céder le pouvoir à son rival, l’actuel président ivoirien Alassane Ouattara ». Or, c’est plutôt Ouattara qui a refusé d’accepter la victoire de son adversaire et qui l’a renversé par les armes. Le 3 décembre 2010, Laurent Gbagbo avait bel et bien été proclamé élu par les institutions souveraines de son pays, les seules qui sont habilitées à le faire.