Lettre à Maria Mourani

En tant que militants indépendantistes, on s’est régulièrement retrouvés, toi et moi, sur les mêmes champs de bataille.  Et j’ai toujours grandement apprécié ta verve, ton intelligence et ta fougue.  Aussi la passion que tu as toujours investie dans la construction d’un monde meilleur et d’un Québec enfin libre.  Je me reconnaissais en tes dires, j’étais prêt à me battre à tes côtés.  J’étais l’un de tes nombreux frères d’armes !

Comme toi, et tu le sais puisque nous en avons déjà discuté, j’ai été cruellement blessé au cours des combats que j’ai menés pour la libération de notre Québec.  Par ces coups qui provenaient d’en face, bien entendu ;  mais aussi, parfois, des défenseurs de notre propre camp. C’est toujours très dur à accepter quand c’est comme ça que les choses se passent parce qu’on n’est jamais préparés à recevoir les coups de Jarnac de nos camarades de combat ; tu le comprends aujourd’hui un peu mieux qu’hier, je n’en doute point. Et cela signifie surtout, voilà ce que je veux vraiment te dire,  que je puis tout à fait comprendre comment tu te sens actuellement.

Ceci étant dit, tu vas me permettre un commentaire fraternel.

Vois-tu, Maria, je crois que ta tristesse et ta douleur ne justifient en aucun cas le fait que tu accuses le mouvement indépendantiste de n’être plus, peut-être, la maison des Québécois de toutes origines.  Tu sais pertinemment que ce mouvement est ouvert sur le monde, aime la différence, puisqu’il défend l’une d’elles, la nôtre en l’occurrence.

Tu connais bien l’histoire du Québec et du Canada.  Tu sais pertinemment que le racisme organisé n’a jamais logé à l’enseigne des indépendantistes.  Qu’il s’est plus souvent qu’autrement trouvé une maison à Ottawa. Qu’il s’agisse des loges orangistes anti-francophones et anti-catholiques qui sont parvenues à contrôler le premier ministre du Canada, en la personne de John A. MacDonald, lui qui a pendu haut et court le métis Louis Riel parce qu’il défendait sa maison et celles des siens, qu’il s’agisse des Amérindiens qui furent parqués dans des réserves, horribles mouroirs s’ils en existent de par ce monde effrayant qui est le nôtre, qu’il s’agisse de l’acharnement affiché par les ministres de Mackenzie King désireux d’empêcher les Juifs qui fuyaient la Shoah de se trouver une terre d’asile au Canada, ou qu’il s’agisse du Québec bashing qui ne prend jamais de répit dans les jaunes journaux du Canada anglais, tout ce racisme provient d’outre Ouataouais, et en rien de chez nous.  Tu le sais mieux que moi.

Et tu sais aussi que c’est cette intolérance crasse que combat entre autres choses le mouvement indépendantiste québécois.  Partant de là, nul n’a le droit – toi pas plus que les autres – de l’étiqueter en tant que mouvement intolérant.  Il s’agit là d’une accusation profondément injuste et indigne de toi.

Bien sûr, le mouvement indépendantiste est actuellement perdu.  Il ne sait plus à quel saint se vouer (les images pieuses sont de circonstances actuellement s’il faut en croire la nature de nos débats, alors tu me permettras de les utiliser) afin de se remettre en marche vers le rêve que nous chérissons, toi et moi, ce rêve de dignité, de justice et de liberté.  Le PQ ne le sait pas plus que nous, malheureusement.  D’où les graves erreurs qu’il commet en faisant des courbettes devant ce grand capital qui profite de sa faiblesse pour obtenir toutes sortes de concessions :  virage à droite et autonomiste et exploitation sans scrupule de l’environnement, de nos richesses naturelles. 

Afin de rameuter les troupes, espérant obtenir ainsi l’élan vers autre chose que ce cul-de-sac dans lequel il s’enfonce sans cesse depuis quelque temps, le PQ regarde vers jadis. D’où la naissance de cette charte qui pue des pieds.

Là n’est pas la bonne attitude à adopter pour un parti soi-disant souverainiste, tu le sais aussi bien que moi.  Et ça t’écoeure autant que moi !

Quelqu’un me rappelait dernièrement les sages analyses d’Hannah Arendt.  Celle-ci affirmait que le nationalisme revanchard germe dans des contrées ayant perdu le nord, là où il n’y a plus vraiment de projets politiques dignes de ce nom.  C’est vraiment le cas du Québec actuellement, lui qui n’avance plus vers nulle part, qui fait du sur-place stérile et désespérant.  Notre gouvernement, impuissant à réaliser l’indépendance, le grand projet des grands projets, s’est, du coup, transformé en simple succursale de la gestion à la petite semaine de nos maux fondamentaux. Il ne fait plus rien pour nous sauver du marasme. Et privés d’indépendance, nous sommes bel et bien condamnés à disparaître.  Et privés de l’élan indépendantiste, nous ne pouvons rien faire afin de nous détourner de ce cruel destin. Nous ne pouvons qu’attendre notre triste fin, et celle de l’espoir placé en nous par tous ces humains qui espèrent des lendemains qui chantent enfin de part et d’autre de cette planète qui nous supporte de plus en plus mal.

Pour l’instant, mais pour l’instant seulement, nous avons encore trop peur de poser les gestes qu’il faut afin d’aller nous asseoir, en tant que peuple, à l’ONU ; nous nous retournons par conséquent vers la cabane à sucre, folklore réconfortant parce qu’archi connu par les pauvres gueux que nous sommes tous.  Cela ne nous conduira nulle part, tu le sais, et je le sais fort bien.  Tes gestes des derniers jours démontrent que tu as compris qu’à refuser les grands dérangements, on s’enlise dans la néantise, la bêtise. Là est le drame québécois actuellement.  Et c’est triste de regarder ça aller sans bon sens.

Mais, Maria, il ne pourra pas en aller toujours ainsi. Si les peureux sont canadiens-français, les Québécois, eux, sont valeureux.  Pour l’instant, ils se ragaillairdissent, ils fourbissent leurs armes, ils veulent travailler avec toi et tous les autres pour que cesse enfin ce drame sans fin.  Ils reprendront bientôt le taureau par les cornes et travailleront à nouveau à l’émergence d’un monde meilleur.  Ils finiront même par vaincre.  J’en suis archi convaincu, d’où ma volonté de fer à ne jamais quitter le navire en pleine tourmente, à demeurer dans ce mouvement indépendantiste québécois que j’aime de tout mon cœur et dont je suis fier plus que tout. 

Le jour où nous nous remettrons en marche, Maria, je crains fort que tu regrettes amèrement tes paroles des derniers jours.  Si j’étais toi, je ferai amende honorable.  Tu as bien sûr le droit de quitter ce Bloc qui ne te convient plus (je suis le dernier qui te le reprochera), mais de grâce, retire tes paroles concernant la place de la tolérance dans le mouvement indépendantiste.  Tu ne t’en sentiras que mieux, malgré la douleur qui t’afflige en ces jours difficiles et que je partage, sois-en bien certaine, cette douleur d’avoir été trahie par les tiens, ceux qu’hier encore tu aimais fraternellement.

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