La hargne si ce n’est la haine du chroniqueur Jean-François envers Québec solidaire n’est plus à démontrer. Québec solidaire aurait été le principal responsable de l’échec de sa stratégie du grand rassemblement indépendantiste… sous la houlette du néolibéral et identitaire PQ. Pour tourner le fer dans la plaie, les Solidaires lui ont ravi sa circonscription de chef du parti. C’est à se demander si le nationaliste Le Devoir et le fédéraliste Radio-Canada ne l’ont pas embauché comme chroniqueur précisément pour cette raison. Sa chronique bilan du congrès plateforme électorale de Québec solidaire (Jean-François Lisée, Le capitalisme triomphe chez QS, Le Devoir, 24/11/21) sera peut-être une apothéose de sa tentative de détruire Québec solidaire, ou d’en faire un PQ bis ce qui revient au même, en disant noir sur blanc la vérité, à quelques sarcasmes près, sur la contradiction fondamentale de Québec solidaire.
De dire Lisée avec raison, « [l]e parti avait inscrit sur ses fonts baptismaux son identité anticapitaliste. » Le programme par deux fois mentionne la nécessité du « dépassement du capitalisme » sans compter une dizaine d’autres occurrences le dénonçant. Est venu s’ajouter en 2009, comme le dit Lisée, le manifeste « Pour sortir de la crise, dépasser le capitalisme? » (Radio-Canada, Dépasser le capitalisme ?, 30/04/09). Il a cent fois raisons quand il dit que ce parti-pris est d’autant plus pertinent que le capitalisme, du fait de sa loi inhérente de la
compétitivité poussant à l’accumulation sans fin sous peine de périr, est la cause fondamentale de la crise climatique qu’il ne saurait résoudre :
L’actualité climatique donne raison à ce procès. L’entreprise capitaliste devant, pour attirer et retenir ses actionnaires, produire encore davantage et offrir toujours un rendement compétitif, le système ne serait durable que si les ressources étaient infinies. Mais puisqu’elles ne le sont pas, la logique même du capitalisme nous conduit vers la déforestation, l’épuisement des ressources, la catastrophe climatique.
Il a ensuite mille fois raisons d’en conclure qu’il faut décapiter les hauteurs stratégiques de ce Moloch infernal quitte à encadrer les petits diables :
Être conscient que le capitalisme est le problème n’est qu’un premier pas. La question qui tue (la planète, entre autres) est de savoir comment s’en débarrasser et par quoi le remplacer. Dans son programme, actualisé en 2019 et toujours en vigueur, QS avait choisi la manière forte : « Québec solidaire vise, à long terme, la socialisation des activités économiques. » Vaste programme. Cela signifie que toutes les grandes entreprises (Walmart, Bell Canada, Cascades, Bombardier, etc.) deviendraient propriété collective, donc soustraites au dogme de la croissance. Rassurez-vous, ajoutait QS, « une certaine place au secteur privé sera maintenue, particulièrement en ce qui a trait aux PME ». Mais le programme de QS insistait sur l’urgence de nationaliser les mines, les entreprises forestières, une partie du système bancaire.
À cet égard, Jean-François Lisée se démarque de son collègue chroniqueur Michel David qui pour appeler au recentrage, ce qui ferait de Québec solidaire la cinquième roue du carrosse de l’Assemblée nationale, doit passer sous silence la question climatique pourtant au centre du congrès. Car l’urgence climatique rend peu crédible tout recentrage. Il a ensuite dix mille fois raisons de qualifier d’« erreur fatale » que « pas une ligne de proposition n’était consacrée au ‘’projet plus ambitieux’’ d’origine : la sortie du capitalisme. » Erreur d’autant plus remarquée que la direction Solidaire a dû en catastrophe introduire une résolution d’urgence haussant le niveau la cible de baisse des gaz à effet de serre (GES) pour 2030 mais à un niveau moindre de dix points de pourcentage que celui des FTQ, Équiterre, Greenpeace, Oxfam qui ont pris la pleine mesure du dernier rapport du GIEC-ONU et des extrêmes climatiques en série (OxfamQuébec, COP26: François Legault doit faire ses devoirs sur le climat, 28/10/21).
De conclure avec justesse, Jean-François Lisée, si la tendance se maintient, « [c]e faisant, ils ont enterré la mission anticapitaliste de leur parti. Rien ne les distingue plus, fondamentalement, des sociaux-démocrates naguère honnis. Ils sont rentrés dans le rang. » Sauf qu’il y a anguille sous roche qui montre sa queue dans le passage suivant : « Les paroles de Mmes Ghazal et Massé sont des copier-coller des arguments servis par Jacques Parizeau aux militants péquistes des années 1970 qui souhaitaient, comme leurs amis socialistes français d’alors, nationaliser massivement pour ‘’rompre avec le capitalisme dans les 100 jours’’ de leur prise de pouvoir. » Jean-François Lisée invite la direction Solidaire à prendre la voie cul-de-sac du PQ qui a renié sa raison d’être indépendantiste (idem pour le PS français par rapport à sa raison d’être socialiste) dont il a été le dernier chef de file le menant à la porte du musée de l’Histoire (où aussi se trouve le PS français) sans avoir accompli sa tâche historique.
De la souricière Lisée à « l’auto-bananisation » sur la loi 21 ce qui gâche la sortie indépendantiste
Le but réel du chroniqueur est de prendre en souricière Québec solidaire entre la nécessité climatique de l’anticapitalisme et le recentrage électoraliste. Il n’en reste pas moins qu’il faut à travers son machiavélisme saluer sa lucidité anticapitaliste qui contredit de A à Z toute sa vie politique « gauche efficace ». Il est possible de se sortir de ce piège en prônant un anticapitalisme concret au-delà des provocatrices « nationalisations » par ailleurs nécessaires mais non suffisantes comme le démontre une Hydro-Québec dont la mission est soumise à un
gouvernement au service de l’entreprise et qui est gérée par leurs représentants normés à l’aulne du profit avant tout. On peut penser qu’il en serait ainsi de la nationalisation de la production d’énergie renouvelable, la seule adoptée à 60%. À cet égard, on ne peut que regretter le rejet par le congrès — un tiers de votes positifs — de l’amendement ouvrant la porte à la socialisation des nationalisations :
Le gouvernement de Québec solidaire mettra en place des mécanismes permettant une organisation participative et collégiale du travail dans les établissements. Ce processus sera fondé sur la reconnaissance de l’expertise et de la contribution de tous les groupes concernés, soit les personnes utilisatrices, les syndicats et les travailleuses et travailleurs des services publics, les communautés locales et régionales ainsi que les organismes communautaires.
Comme voie indirecte de radicalisation menant potentiellement à une rupture anticapitaliste, le congrès a ouvert « une démarche d’assemblée constituante dès son arrivée au pouvoir [… pour] élaborer un projet de constitution pour un Québec indépendant ». Quoique on puisse douter que le référendum afférent ait lieu lors du premier mandat d’autant plus que la direction Solidaire est peu bavarde sur le sujet dans ses prises de position politiques au jour le jour. Le parti a au moins un pied dans la porte même s’il ne tient pas compte du « backslash » fédéraliste qui se produirait. On peut aussi saluer l’amendement radical que la souveraineté québécoise
conduirait à la remise en question des « accords et conventions internationales économiques et militaires signées par le Canada, non seulement ceux de libre-échange, mais aussi les accords militaires et les ententes fiscales qui protègent la grande entreprise et les plus riches. » L’adoption aux trois quarts des votes sans débat de cet amendement qui n’explicite pas sa concrétude en termes de rejet de l’ACEUM et de l’OTAN laisse sceptique mais c’est une avancée.
Ne manque pas d’inquiéter, cependant, le sens erroné que la direction du parti donne au rejet des deux amendements voulant, pour le premier, rescinder seulement les articles discriminatoires de la loi 21 soi-disant sur la laïcité, pour le deuxième, s’en référer aux tribunaux. Selon plusieurs interventions, dont celle de la Commission des femmes, il fallait rejeter les deux amendements parce qu’ils ne signifiaient pas un rejet de toute la loi. Comme l’ont précisé deux membres du collectif TMI, « [i]l n’y a rien à discuter : c’est une loi raciste, et on vote non ! » et « [l]a loi 21, ce n’est pas une loi sur la laïcité, c’est une loi qui est utilisée pour envoyer un sous-discours raciste, en fait ». Si cette loi était vraiment une loi pour la laïcité, elle aurait supprimé les généreuses subventions aux écoles privées religieuses dont celles catholiques et les privilèges fiscaux des organisations religieuses. Cette loi est en fait une loi pour la « catholaïcité ».
Or voici que la direction d’abord tergiverse : « S’il est porté au pouvoir, le parti déposerait un projet de loi présentant sa propre ‘’conception de la laïcité’’ et modifiant ‘’nécessairement la loi 21’’, a expliqué Gabriel Nadeau-Dubois en conférence de presse » (Tommy Chouinard, Une plateforme muette sur la laïcité et la loi 21, La Presse, 21/11/21). Puis ce fut la débandade : « La loi québécoise sur la laïcité n’a pas d’intention raciste » (Patrick Bellerose, La loi sur la laïcité n’apas «d’intention raciste», selon Gabriel Nadeau-Dubois, Journal de Montréal, 25/11/21). C’est dire jusqu’à quel aplaventrisme envers l’identitarisme, quel rejet de la démocratie interne, quel mépris de son électorat, l’aile parlementaire est prête pour obtenir une poignée de votes des banlieues et des régions au lieu d’affronter la CAQ sur ce terrain difficile. Ceci dit, rien n’empêchait la députation de faire l’unanimité du parlement pour dénoncer le « Québec bashing » du gouvernement ontarien exploitant une faille du peuple québécois due à une mal dirigée réaction raciste contre son oppression. Il faut savoir démêler le Québec opprimé du Québec oppresseur.
La voie transitoire d’un anticapitalisme concret du prendre soin des gens et de la terre-mère
Ainsi empêtrée dans l’électoralisme jusqu’à fleurter avec l’identitarisme, la direction Solidaire sera-t-elle capable d’éviter la souricière à la Jean-François Lisée en prenant la voie de l’anticapitalisme concret ? Entre la voie de garage du recentrage et celle casse-cou des nationalisations miracles qui règlent tout, existe la voie transitoire d’un plan d’action climatique où les nationalisations-socialisations se trouvent insérées dans un plan d’action climatique en mesure d’atteindre une cible 2030 de réductions des GES qui garde en vie l’espoir d’une planète
viable pour l’humanité. Ce plan d’action est fait d’une part de décroissance drastique de la consommation de masse en supprimant dans les plus brefs délais ses trois piliers que sont l’auto solo à essence ou électrique, le logement surdimensionné et l’alimentation carnée. Il est fait d’autre part d’une croissance tout aussi drastique et mur-à-mur des services publics anciens et nouveaux (Marc Bonhomme, Crise climatique : Le grand débat du congrès plateforme électorale de Québec solidaire, ESSF, 22/11/21).
Faut-il préciser que ce plan inspiré de la vision du monde écoféministe et autochtone « prendre soin » (care) des gens et de la terre-mère est incompatible avec l’accumulation capitaliste tout comme avec la société hiérarchique et le gouvernement de l’Argent qui en découlent. Québec solidaire sera-t-il capable de se libérer de la prison du soi-disant libre marché, en réalité sous le contrôle d’une poignée de transnationales financiarisées, et de l’illusion d’un gouvernement qui prétendrait les mener à bon port en dansant le tango avec elles ? Il y faudra plutôt une
économie dirigée sous contrôle démocratique, dont les formules sont à inventer mais qui ont des précédents historiques, favorisée par un parti de gauche devenant anticapitaliste et aspirant à former le gouvernement afin de bonifier le rapport de forces allant dans ce sens.