Le mépris pour l’accent québécois

Ça fait un bout de temps depuis ma dernière chronique. En fait, mon rythme a été brisé parce que j’ai dû écrire des textes pour les soirées cabarets des auteurs du dimanche, des soirées super sympathiques et comiques avec plein de jeunes auteur(e)s et humoristes. Franchement, ça vaut le déplacement, restez à l’affût lorsque la saison reprendra au printemps.

Sinon, l’un des problèmes lorsqu’on est écrit des blogues ou des chroniques pour un média internet, c’est qu’on a tous envie que notre texte soit partagé et donc lu par le plus grand nombre de personnes, et c’est assez normal. Sauf que ça crée une dynamique un peu étrange. Pour qu’un texte soit partagé et lu par le plus de gens possible, il faut (pas obligatoirement mais disons que ça aide) qu’il touche un sujet d’actualité. Alors souvent on lit des textes où la personne s’est empressée d’écrire quelque chose sur le sujet, pour générer des clics. Souvent aussi, je lis un texte rempli de bonnes intentions, mais où on défonce des portes ouvertes, on va dans l’opinion consensuelle. Quand je lis ce genre de texte, je me dis : « Vraiment, tu as utilisé de ton temps et de ton énergie pour pondre ça! ». On ne réfléchit plus. On ne prend plus le temps d’analyser. On se garroche et on publie. Seize minutes après l’incident, on a résolu le mystère de l’Ukraine. Quatre tweets plus tard, on connaît tout de la situation en Syrie. Ces jours-ci, je décide donc de me faire un cadeau de Noël avant le temps. J’écris pour le plaisir. J’écris sur les sujets que je veux, d’ailleurs j’en ai une belle liste : le pétrole, les téléphones intelligents, la droite hot-dog, l’éclatement social, l’islamophobie, le Monde diplomatique, etc. Partagez mes prochains textes ou pas, soyez d’accord avec moi ou pas, ça ne changera rien. Bon, allons-y.

Un message que l’on nous envoie souvent, c’est que nous ne parlons pas la bonne langue. La langue des affaires, la langue du showbiz, la langue internationale, c’est l’anglais. C’est « la » langue. En plus, notre langue, nous ne la parlons pas comme il faut. Notre accent est ringard. Notre accent fait « habitant ». Notre accent fait colon. Combien de fois l’ai-je entendu : « Putain, votre accent me fait trop marrer! ». Pour moi, ce genre de commentaire est inacceptable. Un discours digne d’une vieille mentalité coloniale.

« Cela s’appelle du mépris », comme dirait Bernard Émond. Dans son livre Il y a trop d’images, Émond raconte une anecdote qu’il a vécue à Cannes, à la présentation de l’un de ses films. Durant la période de questions, une dame a dit ceci : « Votre film est tragique, je le sais, mais j’entends l’accent et ça me donne envie de rire ». Émond réplique ceci : « La langue de ce film est une langue de pauvres. C’est la langue de gens qui se sont échinés pendant 300 ans sur des terres de misère à faire vivre des familles de 15 enfants. C’est la langue de gens dont les grands-parents sont montés à Montréal pour travailler à des salaires de famine dans des usines pour des patrons anglais qui les méprisaient. Cette langue a fait leur malheur et leur dignité. C’est la langue de ma mère et de mes grands-parents. Écoutez sa musique. C’est beau et triste comme un reel irlandais. » Que dire de plus.

C’est curieux, mais ce mépris nous sommes en train de nous l’imposer à nous-mêmes. Comme une négation de notre identité. C’est visible à plusieurs niveaux, mais c’est dans la culture que c’est le plus flagrant. Prenons le cinéma. Pour qu’un film soit « exportable », il faut qu’il soit écrit dans un français convenable, un français que pourront comprendre nos cousins de notre ancienne métropole. Ce qui nous donne des films dans une langue bâtarde qui n’existe pas dans notre société, du moins pas à l’extérieur des murs de Radio-Canada, où l’on y parle un français « international » avec un sacre folklorique ici et là, parce que ça fait exotique. Le même genre de phénomène se produit avec les traductions françaises des films américains. On voit « doublé au Québec ». On reconnaît la voix de Guy Nadon ou de Manuel Tadros, mais encore là, c’est dans un français international. Je me demande pourquoi les studios américains payent pour traduire cela ici, ils pourraient nous refiler la version traduite en France, et on pourrait probablement se débrouiller. Parmi les seuls films américains traduits en québécois, il y a des classiques du genre comme Slap Shot, où Paul Newman a la même voix que Moe dans les Simpsons, ou comme New Jack City, où Wesley Snipes aura la chance de dire « une p’tite expérience tsé veut dire ». Mais encore une fois, étrangement, ces films ont malgré tout un côté très sérieux, et puisqu’ils sont traduits en québécois, ça nous fait rire, ça devient une comédie, ça n’a soudain plus la même crédibilité.

On voit le même genre de phénomène en musique. Là où certains chantent en anglais pour espérer rejoindre le sacro-saint marché US, certains adoptent un accent franco-bâtard pour espérer percer le marché français. Que ce soit en cinéma ou en musique, c’est quand même étrange que des artistes qui réussissent avec l’aide de l’argent des institutions, c’est-à-dire le nôtre (sans tomber dans le discours droitiste du « gaspillage » de l’argent du pauvre contribuable), espèrent absolument percer à l’extérieur, comme une sorte de quête du Saint-Graal pour sortir du misérabilisme du « petit » marché québécois.

Et combien de fois on a vu des Québécois sur les plateaux de télévision français changer leur accent. Par peur de n’être pas compris, ou à cause de cette mentalité de colonisé qui veut absolument l’approbation de la vieille métropole? Le comédien Marc-André Grondin expliquait à l’émission Les Francs-Tireurs qu’il changeait justement son accent sur un plateau français « sinon ils ne comprennent pas ». Le gars est sympathique, mais je ne suis pas d’accord. Je concède que nous ne sommes pas obligés de dire « batinse » ou « l’gros » sur un plateau français, mais lorsque je regarde Fred Pellerin sur le plateau de « On est pas couché », il garde son accent et tout semble bien se dérouler.

Je ne désire pas l’approbation de la vieille métropole. Je désire un échange d’égal à égal avec la France. Nous parlons comme nous parlons, et les Français parlent comme ils parlent. Mais ce mépris des accents n’est pas une exclusivité de la francophonie, il existe entre les différents peuples hispanophones, et il doit probablement exister aussi entre Anglais et Américains ou entre Brésiliens et Portugais.

Deux dernières choses pour conclure. Il y a un artiste que je respecte profondément pour une chose simple, il se tient debout et il assume son joual. Le rappeur Sans Pression est originaire de la République Démocratique du Congo et a grandi ici. Il a été et est toujours un pionnier du rap queb. L’an dernier, il a sorti une pièce intitulée Hospitalité, où il explique que ça fait des années qu’il pousse le rap français ici, et qu’en échange, les rappeurs français ne lui renvoient pas l’ascenseur, qu’ils retournent en France et qu’ils disent que le milieu d’ici n’est pas sérieux. « J’en ai rien à foutre de la France, ça fait des années que la France en a rien à foutre du Québec […] Manque de respect flagrant/Boycott la France […] Ça fait 20 que tu me stresses avec mon accent/Vagabond ma religion, j’prêche pour ma paroisse…». On est quand même loin de la mentalité de « Oh je vais changer mon accent pour plaire à la vieille métropole! ». Et ça fait du bien parfois.

Et finalement, Eugénie Bouchard. J’étais à l’étranger quand cela s’est produit, mais j’en ai eu des échos : « au moins, j’ai pas l’accent québécois, alors ça c’est bien ». Je ne sais pas si on peut lui donner le bénéfice du doute parce qu’on ne connait pas ses intentions. Mais ça ressemble pas mal à du mépris.

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