Le défi du mandat caquiste : défaite stratégique des syndicats du secteur public

L’opportunité Solidaire: faire de cette lutte syndicale une lutte climatique

Centrales syndicales et gouvernement de la CAQ se positionnent en vue des grandes négociations du secteur public qui concernent un peu plus d’un demi-million de travailleuses et travailleurs, soit un peu moins de 40% des gens syndiqués et le huitième des gens au travail ce qui fait de cette lutte l’épine dorsale de la lutte sociale québécoise depuis un demi-siècle. Constatons cependant avec inquiétude l’absence de front commun et l’importance quasi unilatérale accordée à la question salariale bien qu’elle fasse bien sûr partie de l’affaire étant donné le recul du pouvoir d’achat dans ce secteur et son retard par rapport à leurs vis-à-vis du Canada. Et nul doute que la vision CSN de l’augmentation absolue et non en pourcentage est à soutenir parce qu’elle favorise les bas salariées et par là la justice sociale et la solidarité.

Il n’en reste pas moins que pour le soutien populaire s’impose surtout la concrétisation des conditions de travail ce qui rendrait visible et évidente l’amélioration quantitative et qualitative des services publics. Il est dramatique que la CAQ soit en train de récupérer cette thématique en invoquant quelques hypothétiques rajouts budgétaires qui n’effacent en rien l’austérité des Libéraux.

Depuis 2015, dernière ronde des négociations dans le secteur public, l’audience de Québec solidaire auprès de la population a été démultiplié, de même que son nombre de membres. Le parti, s’il s’en donne la peine, est en mesure de jouer un rôle non négligeable tant au niveau de la lutte idéologique qu’organisationnelle par sa
nombreuse militance présente chez les syndicats du secteur public. Quant au réseau intersyndicale du parti, il existe depuis des années. L’heure est venu de prendre l’initiative. Qui ne demande rien n’a rien. Qui ne fait pas preuve de leadership fait du sur place.

La lutte du secteur public est très mal partie. On ne réglera pas le problème en faisant des articles trouvant positive l’absence de front commun parce qu’il serait avantageusement remplacé par la compétition des revendications salariales entre centrales ! Il n’y a rien à attendre des bureaucratisés appareils syndicaux. Il appartient à notre parti de prendre l’initiative en éclairant d’une lumière nouvelle, éco-féministe, la lutte du secteur public et en contribuant à redynamiser Lutte commune sans s’y substituer.

La «grande noirceur» caquiste menace par son nationalisme raciste l’existence du peuple québécois

La CAQ est un retour du duplessisme… même pas à la moderne. Comme lui, et comme les Libéraux de l’époque tout comme ceux d’aujourd’hui, il est acquis au capitalisme « pur » adossé à un État qui garantit par la répression judiciaire et policière la propriété privée et le respect des contrats entre propriétaires. Le libéralisme d’antan s’opposait à l’émergent puis consolidé État providence. Le néolibéralisme d’aujourd’hui s’oppose à l’émergent «Green New Deal», dont la consolidation est loin d’être certaine. Leur différence est qu’aujourd’hui la «transnationalisation» financiarisée de l’économie mondiale met en cause la survie de l’humanité — à la peu probable et ponctuelle catastrophe nucléaire s’ajoute la très probable et prolongée catastrophe climatique — et rend impuissante l’isolée politique nationale hors celles des ÉU et de la Chine, et peut-être de l’UE et de l’Inde.

Pour masquer cette impuissance qui va jusqu’à sa négation, la CAQ joue la carte du nationalisme du statu quo, c’est-à-dire de l’autonomisme à la Duplessis, dont la base idéologique est l’identitarisme pour le dire poliment, le racisme pour le dire crûment. Annoncé par le traitement inique des chauffeurs de taxi, ce racisme se consolide dans la politique d’immigration et dans la loi anti-voile. La CAQ, désormais soutenue par le PQ et le Bloc qui ont renoncé à toute stratégie indépendantiste, enfonce le peuple québécois dans une nouvelle «grande noirceur» qui pourrait bien cette fois-ci menacer son existence tant la «revanche des berceaux» nativiste a laissé place au pluralisme national rejeté par le nationalisme identitaire-raciste qui n’a plus rien à voir avec le progressiste nationalisme de libération nationale des années 60-70.

Cette stratégie s’appuie sur une bonne conjoncture économique et politique qui y est pour beaucoup pour expliquer la relative popularité de la CAQ et de son chef. La job de bras austéritaire a été faite par les Libéraux. En bonus, la CAQ jouit d’une croissance économique, si modeste soit-elle, qui se prolonge. La combinaison de ces deux facteurs donne un surplus budgétaire non banal ce qui permet à la CAQ de temporairement donner l’impression qu’elle remédie à l’austérité par une politique de bouts de chandelle. En plus, la situation québécoise se compare avantageusement à celle canadienne lestée par les crises structurelles de surproduction pétrolière et automobile.

La détermination de la CAQ à casser l’épine dorsale du mouvement syndical afin de privatiser

Le point nodal de la stratégie pour ce mandat-ci consiste à fortement affaiblir si ce n’est à casser le noyau dur historique du prolétariat québécois soit la force syndicale du secteur public, déjà diminuée par les rondes 2010 et 2015 qui ont permis tant l’abaissement des salaires réels que les coupes de services par l’intermédiaire de la détérioration des conditions de travail. La dégradation des services publics, entraînant leur mauvaise réputation, ouvre grand la porte à la privatisation sous toutes ses formes dont les traditionnels contrats d’approvisionnement et de construction tout comme celle de la location de locaux mais aussi la sous-traitance des services auxiliaires, les grasses subventions aux monopoles (REM que la CAQ veut prolonger) tout comme aux services publics pour les riches (cliniques et écoles privées).

La pilule amère sera sucrée par une moindre pression fiscale dont bénéficieront surtout les entreprise et les personnes à haut revenu. Pendant ce temps, hors de la portée du projecteur médiatique braqué sur les déficits budgétaires, grâce au subterfuge d’un endettement au départ hors budget et ensuite amorti lentement dans le budget, la CAQ, comme auparavant Libéraux et PQ, gave de contrats d’infrastructures «l’industrie de la corruption». Ce sont d’ailleurs ces infrastructures dont le paiement est garanti par le régime fiscal sur lesquelles compte le capital financier en mal de rentables occasions d’investissements. En autant qu’une continuelle austérité garantisse l’équilibre des finances publiques, l’éventuel capitalisme vert deviendra le gargantuesque bénéficiaire de cet État de la nouvelle ère garant de sa profitabilité.

En plus de jouir d’une bonne conjoncture économique et politique, la stratégie caquiste bénéficie de l’ineptie des bureaucraties syndicales qui, non satisfait de jeter aux poubelles l’historique Front commun issue de la victoire de 1972, donne la priorité absolue aux augmentations salariales si justifiées soient-elles. Ainsi, elles laissent à la CAQ le discours du réinvestissement dans les services publics même s’il est plus un effet d’annonce ambiguë que réel (maternelles, maisons de personnes âgées, recyclage de l’annulation partielle de la rémunération des médecins spécialisés).

Dans ce contexte, la pingrerie caquiste pour l’offre salariale initiale apparaît davantage comme un rejet de l’apparente exagération des demandes syndicales et de leur égoïsme corporatif concernant le peu de cas fait de l’exigence de réinvestissements. Sans compter qu’une bonne portion des bas-salariées en mal d’augmentation de salaire (et de stabilité d’emploi plein temps) sont issues de ces minorités visibles stigmatisées par la CAQ (loi 21, politique d’immigration, politique du taxi) avec l’appui de la majorité francophone. Avec l’actuelle alignement des planètes, on ne peut qu’au mieux anticiper, après de dispersées et sectorielles journées de grève et l’habituel psychodrame final, une augmentation salariale équivalente à l’inflation plus une rallonge pour quelques corps d’emploi en pénurie ou plus combatifs et quelques autres prix de consolation.

Comment gagner la bataille de l’appui populaire contre un gouvernement populaire ?

La question-clef à poser : Comment gagner contre un gouvernement très à droite et particulièrement antisyndical mais jusqu’ici qui reste populaire grâce à ses surplus, baisse de fiscalité et même promesses de quelques réinvestissements pointus dans le secteur public… sans oublier malheureusement son nationalisme identitaire-raciste ? Plus précisément comment gagner la bataille de l’appui populaire contre un gouvernement populaire ? That is the question. Dans ce contexte, la question de l’augmentation substantielle des services publics, intimement liée à celle des conditions de travail, est le bouton sur lequel il faut pousser. On pense à des demandes en termes de ratios, quotas, planchers d’emploi et même budgétaires. Il faut être aussi précis que pour les demandes salariales.

Il ne s’agit pas pour autant d’en faire une super-priorité qui oublie la question salariale. Par souci de gagner clairement l’appui populaire même sur cette question, et aussi pour renforcer l’aspect justice sociale et l’unité syndicale, la demande d’augmentation salariale qui soit la même pour tous et toutes en termes absolus, donc différenciée en pourcentage au bénéfice des bas-salariées, est la voie à privilégier. Il faut se souvenir que la lutte fondatrice du Front commun en 1972 avait une telle revendication centrale. En ce sens est à appuyer la demande de la CSN pour la première année de la convention.

Québec solidaire peut dès maintenant jouer un rôle déterminant pour rebâtir le Front commun…

Organisationnellement parlant, « [l]es mobilisations intersyndicales de la base seront la clé de voûte de cette négo… » comme le dit un membre du Réseau intersyndical du parti sur un réseau social. À cet égard, le réseau intersyndical Solidaire peut certainement rassembler nationalement et régionalement les très nombreux membres du parti qui sont parmi les 550 000 personnes syndiquées du secteur public. Il est heureux qu’il les ait invitées à participer à la fin de semaine de formation du réseau syndical Lutte commune, particulièrement à la session en avant-midi du 2 février dont le thème est « les négociations du secteur public 2020 » (http://luttecommune.info/2019/12/08/4e-edition-du-camp-de-formation-avec-labor-notes/)

Il serait possible aux membres syndiqués du parti de se concerter préalablement ou au moins par la suite. Il est souhaitable que le Réseau intersyndical ait des propositions à faire pour cette session qui apparaît malheureusement fort courte pour l’importance du sujet. D’autant plus qu’il y aura une session parallèle sur la lutte climatique alors que la lutte du secteur public fait partie intégrante de la lutte climatique.

… et intégrer la lutte du secteur public dans sa campagne Ultimatum 2020 comme une lutte climatique

Là n’est cependant pas l’apport crucial du Réseau intersyndical qui est d’abord un réseau opérant au sein de Québec solidaire dans le sens d’influencer sa politique syndicale portée sur le bon-ententisme avec les directions  syndicales. La première mission du réseau intersyndical du parti est vis-à-vis le parti et non pas de faire double emploi avec le réseau syndical Lutte commune sans s’empêcher de lui apporter des propositions dans un esprit d’écoute et de solidarité. Quel discours et intervention publics pourrait faire Québec solidaire en tout respect de l’autonomie syndicale car la négociation du secteur public est une affaire politique nationale qui sera cruciale dans la prochaine période ?

Dans le cadre de la campagne Ultimatum 2020, notre parti pourrait expliquer que la lutte du secteur public est non seulement une lutte pour la justice sociale mais aussi une lutte éco-féministe. Parce que ce sont majoritairement des travailleuses qui sont concernées dont les tâches de soin aux personnes socialisent de semblables tâches domestiques faites gratuitement. Parce que le ‘prendre soin’ des personnes est l’autre côté de la médaille de ‘prendre soin’ de la terre-mère. Ces emplois nécessitent peu d’énergie mécanique (et beaucoup d’énergie humaine) tout en créant de riches rapports humains qui désaliènent de la solitude consumériste, en opposition à la société de consommation de masse qu’exige l’accumulation capitaliste.

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