Le Canada n’a pas 150 ans!

Même si Ottawa prévoit dépenser en 2017 autour de 500 millions de dollars pour célébrer le 150e anniversaire du «Canada», il est impératif de revenir sur quelques faits historiques entourant la fondation de cette patrie nordique. À l’occasion du 1er juillet 2017, voici un texte consacré à la période pré-1867. Ce texte est issu de chroniques politiques publiées en cinq parties dans le journal de l’UQTR, le Zone Campus, pendant l’hiver 2017, entre janvier et avril : www.zonecampus.ca Revenons donc dans le temps pour préciser les véritables origines du pays dit canadien.

 

1. LES FONDATEURS

Dès juillet 1534, le navigateur malouin Jacques Cartier (1491-1557) débarque à Gaspé afin de prendre possession d’un nouveau territoire au nom de François 1er, roi de France depuis 1515.

L’année suivante, lors de son deuxième voyage, Cartier devient le premier européen à découvrir et à pénétrer dans le majestueux fleuve Saint-Laurent qui deviendra l’axe de l’empire colonial français en Amérique. Après discussion avec deux autochtones, il comprend qu’une partie de ce territoire s’appelle «kanata», ce qui voudrait dire «village» en langue huronne ou iroquoise. Les Amérindiens lui indiquent «le chemyn de Canada», que les cartographes retiendront à leur tour, et que Jacques Cartier situera dans un territoire entre l’Isle-aux-Coudres et Hochelaga (Montréal).

En septembre 1535, il entre dans la «rivière de Canada» et arrive à l’archipel d’Orléans qui est «le commancement de la terre et prouvynce de Canada». Selon l’historien Marcel Trudel, le nom de Canada ne s’applique alors qu’à la région actuelle de Québec. Lors de son troisième et dernier voyage (1541-42), le découvreur originaire de St-Malo est nommé capitaine général de la nouvelle expédition qui doit se rendre à «Canada et Ochelaga» afin d’explorer l’intérieur du continent. Sur les cartes de 1547, tout le territoire au nord du fleuve Saint-Laurent est alors appelé «Canada».

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Plus de soixante ans plus tard, Samuel de Champlain (1574-1635) quitte La Rochelle en France pour tenter d’établir officiellement une colonie française en Amérique du Nord. Dès 1603, il désigne sous le nom de «rivière de Canadas» ce qui deviendra le Fleuve St-Laurent après 1604. En fait, même si le mot n’apparaît pas sur ses cartes les plus célèbres, Champlain en est en quelque sorte le fondateur légitime. Lors du 400e anniversaire de la ville de Québec en 2008, le Premier ministre du Canada Stephen Harper avait pourtant créé une grande controverse en déclarant que «La fondation de Québec est aussi la fondation de l’État canadien. […] La gouverneure générale est la successeure aujourd’hui de Samuel de Champlain, le premier gouverneur du Canada.»

Au fil du temps, plusieurs cartographes confirment l’usage de «Canada» pour situer la Nouvelle-France mais aussi son grand fleuve: Marc Lescarbot l’inscrit sur sa carte en 1609, Nicolas Sanson sur une autre en 1650, Baptiste Louis Franquelin le géographe du roi en 1685, puis Jean-Baptiste Nolin édite une carte de Jean Nicolas du Tralage en 1689 et précise «la mer du Canada». Même la voie fluviale du Québec est alors décrite comme étant le «fleuve de Canada ou de S.Laurens». En 1703, sur la carte de Guillaume Delisle, le Canada est toujours synonyme de Nouvelle-France.

Par contre, il faut attendre le 30 avril 1663, lorsque la France adopte l’Édit de création du Conseil souverain, pour que la Nouvelle-France devienne officiellement une province du royaume de la France, et pas n’importe laquelle, sa première colonie royale. D’après le constitutionnaliste Christian Néron, aussi historien du droit et des institutions, il s’agit de notre première constitution.

Enfin libérée de la Compagnie des Cents-associés, la Nouvelle-France débute réellement son développement grâce à l’arrivée de presque 800 Filles du Roy et du régiment Carignan-Salières qui double le peuplement de la colonie en seulement dix ans. Des administrateurs comme l’intendant Jean Talon, le marquis de Tracy et le gouverneur de Courcelles rêvent également de voir naître en Amérique un nouveau royaume français, la création d’un «État fort» et autonome.

En 1664, le célèbre gouverneur de Trois-Rivières, Pierre Boucher (1622-1717), aussi le premier canadien à être anobli par Louis XIV, avait publié en quinze chapitres son Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions du PAYS de la Nouvelle-France vulgairement dite le CANADA.

En 1665, c’est au tour de l’intendant Talon de défendre l’avenir de la Nouvelle-France en insistant sur un aspect économique: «La cession du Canada à la Compagnie des Indes occidentales est avantageuse au Roi si le motif est d’augmenter les profits de la compagnie.» En mai 1666, le roi réplique à Jean Talon par l’entremise de son ministre Colbert, responsable de la colonie; «Il ne sera pas de la prudence de dépeupler son royaume comme il faudrait pour peupler le Canada.»

Devenu gouverneur, Frontenac écrit au roi en 1672 pour l’encourager à agir vite: «Si le Roi voulait seulement faire pour la conservation du Canada ce qu’il fait pour la moindre des villes qu’il a prises aux Hollandais et envoyer pour le Canada et l’Acadie ce qu’il y a de garnisons dans la plus petite de ces places, nous serions à couvert de toutes sortes d’insultes et en état de faire des choses très avantageuses pour l’augmentation d’un pays qui peut devenir un jour un Royaume considérable.»

 

2. LES PIONNIERS

Au début du XVIIIe siècle, la Nouvelle-France est presque à son apogée. Dès 1700, on y compte 15 000 habitants – qu’on dit canadiens, nom donné aux habitants qui ont pris souche en Amérique – alors que la Nouvelle-Angleterre, qui est une véritable colonie de peuplement, en a 200 000!

La signature le 4 août 1701 du «Traité de la grande paix de Montréal», entre le gouverneur Sieur de Callière (1648-1703), représentant officiel de la France, et 39 nations amérindiennes, met fin à des guerres intermittentes. Cet exploit diplomatique permet à la colonie française de faire enfin la paix avec les autochtones, particulièrement avec les Iroquois après plus de 150 ans de guerre.

Après le Traité d’Utrech (1713), qui cède l’Acadie à l’Angleterre, débute ce qu’on appelle la «paix de trente ans». La Nouvelle-France connaît un âge d’or et toute une génération de colons ne connaîtra pas la guerre. Ce climat favorable permet des explorations et de nouvelles découvertes.

Dès 1682, l’explorateur-voyageur de Rouen, René Robert Cavalier de LaSalle (1643-1687), avait exploré le bassin du Mississippi jusqu’à son embouchure et avait donné à cet immense territoire longeant le fleuve Mississippi le nom de Louisiane en l’honneur du roi de France, Louis XIV.

En 1699, Pierre LeMoyne d’Iberville (1661-1706), un montréalais de naissance, débarque en Louisiane pour fonder Biloxi, première capitale de la Louisiane. En 1711, des troupes françaises débarquent à Rio de Janeiro. En 1718, le montréalais Jean-Baptiste Le Moyne, Sieur de Bienville (1680-1767), fonde la Nouvelle-Orléans, qui devient la nouvelle capitale de la Louisiane en 1722.

Par la suite, en 1738, le trifluvien Pierre Gaultier de Varennes, Sieur de La Vérendrye (1685-1749), fils du gouverneur de Trois-Rivières, explore l’Ouest du Canada. Deux de ses fils, François et Louis-Joseph, seront d’ailleurs les premiers Français à découvrir et à décrire les rocheuses… en 1757.

Le pays de la Nouvelle-France, gigantesque empire colonial français, atteint alors ses limites. Le problème est évident: un territoire si vaste ne peut être protégé par si peu de gens. Vers 1760, la Nouvelle-France compte 60 000 habitants contre deux millions dans les 13 colonies américaines!

 

3. LA CHUTE

 

Un siècle exactement après que la Nouvelle-France devienne officiellement la première colonie de la France, en 1663, la victoire de l’Angleterre lors de la Guerre de Sept ans (1756-63) force le royaume français à céder tous ses territoires en Amérique du Nord afin de conserver ses acquis dans les Antilles. Signé sous l’ordre du roi le 10 février 1763, le traité de Paris met fin au conflit.

Sur les 27 articles du traité de Paris, seuls quatre concernent l’avenir du Canada en tant que tel. L’article 4 précise justement l’existence du Canada comme une entité autonome et française bien avant l’acte confédératif de 1867: «Sa Majesté Très-Chrétienne renonce à toutes les prétentions qu’Elle a formées autrefois ou pu former, à la Nouvelle-Écosse ou l’Acadie […]. De plus Sa Majesté Très-Chrétienne cède à Sa dite Majesté Britannique, en toute propriété le Canada».

Même si le roi Louis XV, en poste depuis la mort de son prédécesseur en 1715, semble avoir cédé le Canada contre son gré, il n’avait pas pour autant abandonné les Canadiens. Selon l’historien Louis Gagnon, une clause du traité de Paris prévoyait même leur rapatriement. Outre la France et l’Angleterre, deux autres États se faisaient la guerre pour l’Amérique, soit l’Espagne et le Portugal.

Cette guerre européenne transposée en sol d’Amérique, qui aura fait un million de morts au total, touche directement la Nouvelle-France en plein cœur. Selon l’historien Pierre Graveline, plus de 4000 fermes seront brûlées. De plus, près de 10% de la population canadienne (française) meurt au cours de cette guerre, soit plus de 6 000 personnes. De nos jours, cela équivaudrait à plus de 830 000 personnes, c’est-à-dire 10% de la population du Québec actuel (8,3 millions d’habitants).

La proclamation royale du 7 octobre 1763 est donc la deuxième constitution du Canada même si le mot Canada est aussitôt remplacé par les nouveaux gouvernants pour «Province of Quebec». En fait, le mot «province» est issu de l’usage romain pro victis et signifie «territoire des vaincus».

Par conséquent, étant donné que la Nouvelle-Écosse (ce qui restait de l’Acadie) avait été cédée à l’Angleterre en 1748 par le traité d’Aix-la-Chapelle, le Québec devient la 15e colonie britannique.

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Par le Traité de Paris (1763), le Québec perd de façon brutale son lien avec la mère patrie et son territoire est considérablement réduit. La France cède à l’Angleterre ses possessions en Amérique du Nord, dont la Nouvelle-France, l’Acadie, Terre-Neuve et l’Île du Cap-Breton qui deviennent des colonies britanniques, sauf les îles de Saint-Pierre-et-Miquelon. La France conserve également le droit de pêche à Terre-Neuve. Désormais, la livre sterling devient la devise monétaire officielle.

La Grande-Bretagne réalise les gains les plus importants, car le commerce devient exclusivement tourné vers l’Empire britannique par l’intermédiaire de ses marchands, surtout ceux de Boston.

Or, certains pensent déjà à un plan de confédération de toutes les colonies britanniques en Amérique du Nord. Dès 1764, le juge William Smith propose un premier projet de fédération, incluant New York, afin de donner aux colonies un statut plus important et de les empêcher de se détacher de la Grande-Bretagne. Autrement dit, les 13 colonies + Québec + la Nouvelle-Écosse dans un Parlement de 141 députés. Mais la guerre d’indépendance (1775-1783) des États-Unis et l’établissement de leur république va venir changer toute la donne dans le Nouveau Monde.

Les premiers accommodements

Après la Conquête britannique de 1760, s’ensuit rapidement de nouvelles constitutions imposées au Québec par Londres. Parmi celles-ci, on retrouve tout d’abord L’Acte d’Union (1774) – pour empêcher les Canadiens de se joindre au mouvement indépendantiste des treize colonies américaines – puis L’Acte constitutionnel (1791), qui crée les embryons d’États du Bas-Canada (Québec) et du Haut-Canada (Ontario). Tel que vu dans mes deux plus récents articles, ces deux constitutions sont respectivement les troisième et quatrième constitutions de l’État du Canada.

L’Angleterre proclame l’Acte de Québec pour reconnaître et rétablir la liberté religieuse, la langue et les lois civiles françaises, permettant ainsi aux habitants de pratiquer la religion catholique et de faire enfin partie de l’administration sans avoir à prêter le serment du test, qui sera aussi simplifié. Les catholiques peuvent donc avoir accès à la fonction publique s’ils prononcent un serment d’allégeance à la couronne d’Angleterre (qui existe toujours pour tous nos députés).

De plus, le territoire du Québec est considérablement agrandi pour inclure le Labrador, l’Île d’Anticosti, les Îles de la Madeleines et quelques territoires autochtones situés au sud des Grands lacs entre le Mississippi et la rivière Ohio ainsi que la vallée de l’Ohio, réservée aux Amérindiens.

Toutefois, ce n’est qu’en 1791 que le nom «Canada» est utilisé officiellement pour la première fois dans le nouveau régime britannique, soit lorsque le territoire du Canada (province de Québec) fut divisé en deux colonies distinctes. L’Angleterre instaure un régime parlementaire (mais non démocratique) dans chacune des provinces alors remplies de sujets de l’empire anglo-saxon.

Le Bas-Canada (majoritairement francophone) est peuplé d’environ 160 000 Canadiens français, alors que le Haut-Canada (majoritairement anglophone) est peuplé principalement de 10 à 15 000 loyalistes anglais fraîchement immigrés des États-Unis républicains. La constitution de 1791 avait pour principal objectif de satisfaire les demandes des sujets loyalistes ayant quitté les États-Unis.

Vers la révolte nationale

Le 21 janvier 1793, lors du premier débat sur la langue à l’Assemblée législative du Bas-Canada, on y décide de tenir le procès-verbal de la Chambre dans les deux langues, sans préséance de l’anglais. L’Assemblée législative convient que tous les textes seront rédigés dans les deux langues.

L’Assemblée législative du Bas-Canada, majoritairement francophone (soit 34 députés sur 50 même si 95% de la population est française), obtient le pouvoir de faire ses lois mais le gouverneur colonial britannique demeure le chef de l’exécutif et peut donc rendre inopérantes les lois votées!

Au début du XIXe siècle, les députés bas-canadiens restés plus près du peuple et des intérêts francophones, menés entre autres par Pierre-Stanislas Bédard et Papineau père, forment le Parti canadien en 1804, formé de francophones et s’opposant au Parti anglais, évidemment favorisé par les gouverneurs successifs. La plupart des élections sont alors teintées d’intimidation et le gouverneur n’hésite pas à dissoudre l’Assemblée lorsque celle-ci va à l’encontre de ses intérêts.

Le Parti Canadien fonde aussi son propre journal en 1806, Le Canadien, pour défendre les droits et les intérêts des Canadiens français. L’épigraphe est clair: Notre religion, notre langue, nos lois.

L’année précédente, la bourgeoisie britannique de Québec, dont Thomas Cary, partisan des Tories (conservateurs), avait fondé The Quebec Mercury, une presse partisane qui défend uniquement les intérêts des marchands anglais et ayant pour mission d’assurer la suprématie de l’oligarchie anglaise. C’est d’ailleurs en partie pour leur répliquer que les francophones créent Le Canadien. Cette fondation du premier journal indépendant de langue française au Québec, voire en Amérique, est le fruit de Pierre-Stanislas Bédard et François Blanchet, membres du Parti canadien.

Pendant ce temps, les sermons de l’évêque Plessis prônent la plus grande loyauté envers la Couronne britannique. Mgr Plessis fait même lire par les curés la proclamation du gouverneur contre le Parti Canadien! La tension monte entre les réformistes, l’Église et le pouvoir colonial.

Enfin, Pierre-Stanislas Bédard paiera cher sa prise de position contre le gouvernement. Le 4 avril 1811, il sort de prison après avoir été détenu sans procès pendant deux ans, neuf mois et 21 jours.

 

4. LA RÉVOLUTION « CANADIENNE »

Nous avons déjà vu en quoi le régime parlementaire imposé par Londres et instauré en 1791 était un simulacre de démocratie. J’expliquerai maintenant pour quels motifs la nation du Bas-Canada (le Québec d’alors) s’est affirmée il y a 180 ans dans une tentative révolutionnaire, en 1837-1838.

Tout d’abord, dès 1810, un premier projet d’union des deux provinces du Canada (Haut-Canada et Bas-Canada) fait scandale à cause de son objectif d’assimilation des Canadiens français. Après la deuxième tentative d’invasion du Canada par les États-Unis pour l’annexer, la guerre anglo-américaine (1812-14) prend fin. Le sort en est jeté, le Canada sera britannique. La frontière entre l’Amérique du Nord britannique et les États-Unis est d’ailleurs établie en 1818 au 49e parallèle.

Le 22 juin 1822, un complot constitutionnel des britanniques de Montréal est mis en échec au Parlement de Westminster en Angleterre. Ce deuxième projet d’union fut également dénoncé par le Parti Canadien qui lance dans les campagnes une pétition signée par des milliers d’habitants.

En octobre, se rassemblent à Montréal les opposants au projet d’union: seigneurs, curés, grands propriétaires, marchands, professionnels et notables. Même le haut clergé, dont Mgr J.-Octave Plessis, se range de leur côté. En 1823, les deux députés patriotes Papineau et Neilson vont à Londres avec une pétition de 60 000 signatures et s’assurent que ce projet sera enfin abandonné.

De Parti Canadien à Parti Patriote

Pendant ce temps, en 1815, Louis-Joseph Papineau devient président de l’Assemblée législative du Bas-Canada (il le sera jusqu’aux Rébellions de 1837-38) et prend aussi la tête du Parti Canadien. En 1826, celui-ci devient le Parti Patriote, majoritaire à l’Assemblée dès le début des années 1830.

Les sympathisants nationalistes chantent toujours le Canada comme leur seule et unique patrie. Vers 1827-1829, Joseph-Isidore Bédard compose «Sol canadien, terre chérie». En février 1832, à l’occasion d’un banquet, Ludger Duvernay compose et chante «Avant tout je suis canadien». Trois mois plus tard, le 21 mai, pour des funérailles de trois civils tués lors d’une élection, on chante alors «La marseillaise canadienne». Le 24 juin 1834, lors du premier banquet organisé à Montréal par Ludger Duvernay pour la fête nationale des Canadiens français (la St-Jean-Baptiste), le jeune patriote George-Étienne Cartier, âgé de seulement 19 ans, compose «O Canada! Mon pays, mes amours». Le 4 octobre 1837, les Fils de la Liberté ont même un «Hymne national pour le Canada»!

Les raisons de la colère

La politique du Parti Patriote lutte entre autres contre la collusion et le favoritisme dans l’attribution des postes de fonctionnaires et dénonce tous les excès du conseil législatif et exécutif, nommés par le gouverneur. Plusieurs fonctionnaires refusent de parler la langue du peuple, en français, ou détournent à leur profit personnel les fonds de l’État en donnant, par exemple, des emplois à tous leurs fils.

Face aux abus du pouvoir colonial, la société canadienne est mûre pour l’indépendance politique. Au printemps 1834, le Parti Patriote présente ses 92 Résolutions – une compilation de griefs basés sur le mécontentement du peuple – et se fait élire à l’automne suivant avec ce programme. Les Patriotes défendent notamment l’égalité de tous les citoyens, exigent la responsabilité ministérielle et l’élection des membres du Conseil, réclament que l’Assemblée législative contrôle le budget et puisse faire des enquêtes, et veulent en finir avec la sous-représentation des Canadiens français dans la fonction publique et dans l’administration du pays. C’est un balayage électoral complet, les Patriotes remportent 94% du vote populaire (77 sièges sur 88).

La répression d’un peuple

Malgré cette grande leçon de démocratie, appuyée par des centaines d’assemblées patriotiques populaires pendant tout l’été 1837, les choses tournent mal en octobre lorsque les défenseurs de l’autorité britannique attaquent les Patriotes dans les rues de Montréal. Ils les poursuivent en engageant des batailles à St-Denis, St-Charles et St-Eustache. Le 28 février 1838, exilés aux États-Unis, les Patriotes répliquent par la voix de Robert Nelson, chef du gouvernement provisoire, en traversant la frontière canadienne pour déclarer l’indépendance de la République du Bas-Canada.

À l’automne 1838, le mouvement est brutalement réprimé par les soldats anglais et les loyalistes au roi d’Angleterre. Le bilan est très lourd. Au total, 158 patriotes furent tués et 142 blessés contre 22 soldats et miliciens britanniques tués et 43 blessés. Parmi les 1000 Bas-Canadiens emprisonnées pour «haute trahison», on compte une soixante de patriotes exilés, deux bannis, 99 condamnés à morts par une cour martiale (composée d’officiers britanniques) dont 12 seront pendus publiquement à la Prison-Neuve de Montréal – incluant un député – ainsi que plusieurs villages incendiés, des centaines de maisons pillées, des familles à la rue, des viols et j’en passe.

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En tant que chef, Papineau devient la figure emblématique du mouvement insurrectionnel. Le 1er mai 1839, en plein exil à Paris, il publie dans La Revue du progrès, son Histoire de la résistance du Canada au gouvernement anglais. Le mois suivant, le texte est repris par Ludger Duvernay, lui aussi en exil, à Burlington au Vermont. Il imprime le texte sous un nouveau titre, souvent réédité depuis ainsi: Histoire de l’insurrection du Canada en réfutation du Rapport de Lord Durham.

5. LE PAYS ERRANT

Afin d’éclairer les balbutiements de la confédération canadienne de 1867, il faut saisir le sens des évènements tragiques qui se sont déroulés avant cette période et ce, tout au long du 19e siècle. Nous avons déjà vu comment l’appui démocratique au Parti patriote a été brutalement réprimé par l’armée britannique, faisant plus de 150 morts dont 12 pendus. Voyons ce qui en a suivi.

Depuis la suspension en mars 1838 de la constitution de 1791 et l’instauration de la loi martiale dans le district de Montréal, le peuple du Bas-Canada est abandonné à son sort, contraint à l’exil dans son propre pays. Subissant les contrecoups des opposants à la révolution patriote, il faudra attendre une nouvelle génération de députés réformistes pour faire avancer la cause nationale.

Une union forcée

Acquiesçant à une recommandation du rapport Durham, Londres proclame aussitôt la cinquième constitution du Canada le 23 juillet 1840, qui entre en vigueur l’année suivante. On unit à nouveau les deux Canada sous le nom de Province du Canada et le français disparaît comme langue officielle. Au parlement, 42 députés siègent au nom de chacune des deux provinces même si le Bas-Canada, qui devient le Canada-Est, possède près de 250 000 habitants de plus que l’Ouest.

De plus, L’Acte d’Union de 1841 fusionne de force non seulement le Haut-Canada (Ontario) et le Bas-Canada (Québec) sous un même gouvernement non représentatif, nommé le Canada-Uni, mais il réunit aussi les dettes des deux provinces même si celles-ci sont loin d’être équivalentes: 375 000$ pour nos ancêtres contre cinq millions pour le Canada-Ouest! En 1845, ce partage du portefeuille du Québec permettra à l’Ontario d’indemniser les victimes de leur propre rébellion…

Le retour au pays brisé

En 1842, le jeune Antoine Gérin-Lajoie (1824-1882), étudiant au séminaire de Nicolet, compose sa chanson patriotique «Un Canadien errant» afin d’honorer les nombreux révolutionnaires exilés de leur pays et de réclamer leur retour. Il est évident que l’expression «Oh mon cher Canada!» dans le dernier couplet de l’auteur est une référence directe à la nation canadienne-française.

Jusque-là, pendant presque trois siècles (1534-1834), le terme «Canadiens» désignait spécifiquement ces habitants d’origines françaises, ces descendants des découvreurs et ces bâtisseurs du pays du Canada. Aussi, entre 1845 et 1852, le poète-historien François-Xavier Garneau (1809-1866) publie sa célèbre Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu’à nos jours.

En 1843, Montréal devient la capitale du Canada-Uni où siège le parlement canadien. Deux ans plus tard, en 1845, une loi d’amnistie générale est proclamée pour la majorité des patriotes. Par contre, même si le Canada-Ouest fut aussitôt indemnisé pour les rébellions de 1837-38, le Canada-Est dût attendre d’être remboursé pour les délits causés par l’armée et les loyalistes.

Un parlement brûlé à Montréal

En 1847, le gouvernement réformiste LaFontaine-Baldwin réussit à prendre le pouvoir. L’année suivante, grâce à l’acharnement de Louis-Hippolyte LaFontaine, celui-ci obtient le «gouvernement responsable», une promesse du gouverneur Elgin, et on rétablit les droits de la langue française.

Le «Bill pour indemniser les personnes du Bas-Canada, dont les propriétés ont été détruites durant la rébellion dans les années 1837 et 1838» est débattu au printemps 1849. Adopté le 9 mars (par 47 voix réformistes contre 18 voix tories) puis par le Conseil législatif, c’était au tour du gouverneur Elgin (en poste depuis 1846-47) de le sanctionner, précisément le 25 avril 1849.

Alors que la session parlementaire est en cours, une émeute tory se déclenche sous les incitations du Montreal Gazette, et s’ensuivent des actes barbares basés principalement sur l’intolérance, la haine et le fanatisme. Refusant toute indemnisation des sinistrés de 1837-38, n’y voyant qu’une manière de récompenser les rebelles, les marchands francophobes mettent le feu au parlement.

Abritant en son centre la première bibliothèque du Nouveau Monde, inaugurée en 1802, le Parlement du Canada-Uni à Montréal était un grand carrefour intellectuel. Les deux bibliothèques parlementaires (celle de la Chambre d’assemblée et celle du Conseil législatif) rassemblaient respectivement 16 000 et 9 000 volumes. Ce «réflexe colonial méprisant»[1] provoqua la disparition des 25 000 volumes d’une valeur inestimable parmi lesquels plusieurs livres très rares, dont une partie des archives de la Nouvelle-France. Seulement 200 livres furent sauvés du terrible désastre.

L’incendie du parlement à Montréal et de ses deux bibliothèques, le soir du 25 avril 1849, fut provoqué délibérément par 1500 émeutiers tories puis laissé en flammes par les pompiers anglophones enragés afin de contester l’indemnisation des habitants francophones. Oui, c’est aussi ça le Canada…

*

Au moment de la création de la Confédération canadienne en 1867, le nouveau pays prit le titre de Dominion du Canada. Toutefois, le nom «Canadien» ne sera utilisé que par la population francophone de la vallée du Saint-Laurent (les Québécois d’aujourd’hui), jusqu’à ce que les Anglais se l’approprient vers la fin du 19e siècle.[2] De Jacques Cartier à Louis-Joseph Papineau, nous avons bien vu que les Canadiens, c’était nous bien avant eux. Souhaitons que personne ose célébrer les «150 ans du Canada»! Autrement, ça serait une insulte à la mémoire du Canada français. La France est à l’origine des balbutiements du Canada, faisons honneur à cet héritage.

En conclusion, si Ottawa veut souligner quelque chose, que le gouvernement fédéral de Trudeau fils s’intéresse d’abord aux origines clairement françaises du Canada, au sombre bilan de la répression sanglante de la révolte populaire de 1837-38 ou bien aux conséquences de la Confédération canadienne (1867-2017). J’aurai d’ailleurs l’occasion de revenir éventuellement sur les scandales entourant l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique ainsi que des manières acharnées entreprises contre la langue française dans les autres provinces canadiennes.

Le gouvernement fédéral doit plutôt reconnaître, tout en s’excusant publiquement : 1-Que le Canada actuel s’est construit sur l’appropriation de l’identité d’un peuple unique, original et plutôt fier de ses origines françaises, Les Canadiens. 2- Que la répression sauvage du mouvement républicain et patriotique dans les années 1830 a été un frein et même un choc brutal pour la société québécoise. 3- Que l’Acte d’Union de 1840 venait renforcer le caractère assimilationniste de la politique coloniale de Londres, une vision qui sera entérinée par la Confédération de 1867.

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[1] Gilles Gallichan, historien à la Société des dix, dans « La nuit de feu des livres et des archives du Parlement », Bulletin d’histoire politique, vol.22, no.1, automne 2013, VLB Éditeur, p.89.

[2] http://echo.franco.ca/nouvellefrance/index.cfm?Id=32824&Sequence_No=32822&Voir=journal_article&niveau=3

Sources principales :

Louis GAGNON. « Louis XIX et Louis XV, les décideurs », Traces, revue de la société des professeurs d’histoire du Québec, hiver 2016, volume 54, no.1, p.36 à 39.

http://www.museedelhistoire.ca/musee-virtuel-de-la-nouvelle-france/les-explorateurs/jacques-cartier-1534-1542/

http://biographi.ca/fr/bio/cartier_jacques_1491_1557_1F.html

Controverse sur Champlain comme fondateur du Canada en 2008 :

http://www.ledevoir.com/politique/canada/188781/jean-charest-recrit-l-histoire

Sur les origines du mot « province » : http://www.ledevoir.com/politique/quebec/454357/pourquoi-s-appeler-encore-une-province

Sur les origines du mot « Canada » :

http://echo.franco.ca/nouvellefrance/index.cfm?Id=32824&Sequence_No=32822&Voir=journal_article&niveau=3

Sur Jean-Baptiste Nolin : http://www.persee.fr/doc/rhs_0048-7996_1970_num_23_2_3121

Carte éditée par Nolin rendue publiquement récemment par les archives de New York : https://digitalcollections.nypl.org/items/510d47db-c6b0-a3d9-e040-e00a18064a99

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fleuve_Saint-Laurent

https://fr.wikipedia.org/wiki/Acte_constitutionnel

Histoire du Canada de F-X Garneau en bref :

https://www.fondationlionelgroulx.org/Histoire-du-Canada-Francois-Xavier.html

Trudeau fils sur le 150e du Canada :

http://www.journaldemontreal.com/2017/01/03/la-famille-trudeau-aux-bahamas-pour-le-lancement-du-150e-anniversaire

Voir la carte de la Nouvelle-France vers 1750  :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Portail:Nouvelle-France

https://fr.wikipedia.org/wiki/Portail:Nouvelle-France#/media/File:Nouvelle-France_map-fr.svg

Pour en savoir davantage sur la déclaration d’indépendance de février 1838 :

http://www.1837.qc.ca/1837.pl?out=article&pno=10050

PHOTO À METTRE SUR LE BLOGUE : Peinture attribuée à Joseph Légaré (1795-1855)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Incendie_de_l%27H%C3%B4tel_du_Parlement_%C3%A0_Montr%C3%A9al#/media/File:Incendie_Parlement_Montreal.jpg

Source principale de la cinquième partie : « L’incendie du parlement à Montréal : un événement occulté », Bulletin d’histoire politique, vol.22, no.1, automne 2013, VLB Éditeur, 285 p.

« Repères chronologiques sur la confédération du Canada » par Christian Néron, constitutionnaliste et membre du barreau du Québec, historien du droit et des institutions, 15 décembre 2016, 6 pages. (Disponible en ligne)

Sur la dette de l’Acte d’Union : http://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/HISTfrQC_s3_Union.htm

Sur Lord Elgin : http://www.vieux.montreal.qc.ca/inventaire/fiches/fiche_pers.php?id=50

Fouilles archéologiques : http://www.lapresse.ca/actualites/montreal/201108/20/01-4427526-montreal-une-breve-capitale-federale.php

À lire ! https://ville.montreal.qc.ca/memoiresdesmontrealais/1849-le-parlement-brule

Publié le chroniques politique étrangère, Éditions du Québécois, Journal Le Québécois et étiqueté , , , , , , , , , , , , , , , , , .

Originaire de Cacouna dans le Bas-St-Laurent au Québec (Canada français), Jean-François Veilleux est multi-instrumentiste (batterie, chant, percussions). Diplômé au collégial en Arts et Lettres à Rivière-du-Loup (2003) et en Musique professionnelle et chansons populaires à Drummondville (2008), il est aussi détenteur d'une maîtrise en philosophie sur l'esthétique métal à l'Université du Québec à Trois-Rivières (2015). Auteur, il est aussi professeur d’'histoire du Québec à l'Université du Troisième Âge. Selon lui, la vie doit être vécue intensément, sans jamais en perdre une seule respiration!

Ayant obtenu sa maîtrise de philosophie avec un mémoire dirigé par Claude Thérien, intitulé « Dionysisme et catharsis dans l’esthétique du concert métal, apogée du moment musical » (disponible en ligne : depot-e.uqtr.ca/7730/), il continue présentement ses études universitaires au doctorat en études québécoise afin de cerner l'intention artistique derrière la musique et les mystères de la puissance sonore. Sous la direction du professeur Laurent Turcot, ses recherches actuelles portent sur l'histoire des festivals de musique au Québec depuis les années 1950 et notre rapport au corps dans ces rassemblements festifs.

Il est très engagé dans sa communauté étudiante et en dehors du campus universitaire. Actif à la SSJB-Mauricie depuis son arrivée à Trois-Rivières à l’été 2008, il collabore à diverses publications en plus d'être un musicien accompli. Il a été chroniqueur politique de janvier 2009 à mai 2017 dans le journal universitaire de l’UQTR, le Zone Campus, puis rédige depuis 2015 la chronique mensuelle d'histoire dans la Gazette de la Mauricie.

En plus d’être étudiant-chercheur à la chaire de recherche du Canada en histoire des loisirs et des divertissements, dirigée par Laurent Turcot, il est membre affilié au Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ-UQTR), au laboratoire de recherche sur les publics de la culture du département de littérature et de communication sociale, ainsi qu’au laboratoire de recherche en esthétique du département de philosophie et des arts.

Au printemps 2015, il a publié son premier ouvrage aux Éditions du Québécois, intitulé "Les Patriotes de 1837-38 en Mauricie et au Centre-du-Québec : l'influence des patriotes réformistes à Trois-Rivières et aux environs lors des rébellions au Bas-Canada." (292 p). Par ses divers écrits, il désire communiquer son amour pour son pays qu’est le Québec.