En 2006, je publiais un article coup de tonnerre au sujet des résidences de luxe du premier ministre du Québec, Jean Charest. En gros, j’établissais, documents à l’appui, que le chef libéral n’avait pas les moyens de se payer les deux résidences luxueuses que sa famille occupe, l’une à Westmount et l’autre à North Hatley. Avec un salaire de premier ministre, celui-ci ne pouvait tout simplement pas joindre les deux bouts. Une source de financement obscure- provenant d’on ne savait où à l’époque- devait lui permettre d’arrondir les fins de mois, c’était l’évidence même.
Dans mon article, je soulignais que l’argent permettant à Charest de payer son train de vie princier pouvait provenir du pont d’or que certains journalistes (dont Michel Vastel et Michel David) avaient dit qu’il avait pu recevoir pour abandonner Ottawa, en 1997, pour ainsi venir à Québec combattre les troupes péquistes de Lucien Bouchard.
Le Journal de Sherbrooke avait repris mon histoire et l’avait publiée en page frontispice. Cela n’eut pas l’heur de plaire à la clique du requin de Sherbrooke, c’est le moins que l’on puisse dire. Luc Lavoie, le roquet qui s’était jadis spécialisé dans les coups de poignard dans le dos pour Brian Mulroney et qui était alors haut placé dans la direction de Quebecor, entra en action. Il fit congédier les deux journalistes qui avaient osé parler des résidences opulentes du chef libéral. Il prit le micro publiquement pour me cracher à la gueule, me traitant de tous les noms. Je n’eus jamais le droit de réplique, à part sur internet…
J’eus aussi droit aux attaques en règles du cabinet d’avocats McCarthy Tétreault qu’avait engagé Jean Charest pour me faire taire. Bref, l’artillerie lourde était au menu et j’étais la cible à abattre.
Malgré toute la pression, je refusai de plier sous les menaces du censeur de Sherbrooke. Je continuai à dire qu’il n’avait pas les moyens de se payer un tel régime de vie ; et j’eus raison de le faire car j’ai bel et bien gagné le bras de fer qui m’opposait au premier ministre. Jamais celui-ci n’osa me poursuivre pour me faire payer pour un article qu’il dénonçait comme étant de la diffamation (ce que ce n’était pas). Mais le mal était fait et jamais plus les journalistes n’abordèrent cette histoire; celle-ci tomba par le fait même dans l’oubli le plus total. Je gagnai contre Charest, mais j’étais quasiment le seul à le savoir.
Quelque temps plus tard, j’appris, presque par hasard, que la Commission des normes du travail avait condamné Quebecor pour congédiement injustifié. Les deux journalistes de Sherbrooke n’avaient rien fait de mal, ils avaient travaillé de manière tout à fait professionnelle, voilà le verdict qui venait de tomber et que les journalistes n’ont pas cru bon diffuser.
En 2009, je décidai de relancer l’affaire en publiant un essai sur Jean Charest et sur ses relations non recommandables. Le titre du livre ? La Nébuleuse. J’étais censé le publier aux Intouchables. Quelques jours avant la sortie du livre, alors qu’un panneau publicitaire sur le pont Jacques-Cartier à Montréal avait été réservé pour mon livre, un type m’appela. Il disait s’appeler Pierre Massue. Il voulait échanger avec moi des informations au sujet de Jean Charest. J’acceptai de l’écouter. Mais il ne m’apprit rien de neuf. Il insistait tout de même pour que nous nous rencontriions. Il me dit : « Monsieur Bourgeois, pour vous prouver que je suis un bon enquêteur, je vais vous dire qu’au cours des dernières semaines, vous avez acheté les titres suivants sur Internet ». Il me dressa alors une liste de livres que j’avais bel et bien achetés sur internet, par transactions sécurisées SVP. Je lui dis alors : « Coudonc, vous, êtes-vous mon ami ou la police ». « Votre ami », répondit-il, en prenant le soin d’ajouter : « Vous savez M. Bourgeois, lorsqu’on s’apprête à faire des révélations sur les gens d’influence, il faut être prudent car ils peuvent être dangereux ». Ça peut avoir l’air complètement fou comme histoire, mais c’est quand même la stricte vérité.
Je n’ai plus jamais eu de nouvelles de ce type. Et je n’ai jamais trop su ce qu’il me voulait, s’il était vraiment un ami ou s’il tentait de m’intimider. Ce que je sais par contre, c’est que quelques jours plus tard, j’ai perdu mon contrat d’édition aux Intouchables. La direction de cette maison disait trop craindre les poursuites pour aller de l’avant avec ce projet. Dans la même période, j’ai aussi appris que Jean D’amour, alors directeur du PLQ, avait confié aux journalistes que Jean Charest touchait un salaire secret de 75 000$ depuis 10 ans maintenant ; c’était exactement le montant que j’indiquais dans mon enquête et correspondant, selon moi, au manque à gagner de Jean Charest si celui-ci désirait boucler ses fins de mois sans s’endetter. L’argument des libéraux pour révéler une telle information à ce moment-là ? « On s’apprêtait à aborder à nouveau le dossier »…
J’ai donc fini par publier La Nébuleuse, quelques mois plus tard, aux Éditions du Québécois. Ce livre n’eut pas le retentissement qu’il eut pu avoir s’il avait été poussé par une maison d’édition jouissant de moyens importants. Et les journalistes, eux, ne parlèrent jamais plus vraiment de l’histoire des résidences de Jean Charest.
Si l’histoire des résidences de Charest est tombée dans l’oubli, on ne peut en dire autant en ce qui concerne Pauline Marois et ses possessions immobilières. Depuis quelques années, les journalistes n’ont de cesse de faire des articles et de mener des enquêtes au sujet des résidences de Pauline Marois. On fait les manchettes avec son « Moulinsart », on effectue le suivi sur le déroulement de la vente de cette résidence sise sur l’île Bizzard, on vérifie à qui appartient le terrain, on se demande dans quel but il y eut un dézonage, etc. Bref, Pauline Marois est victime de harcèlement médiatique.
Et aujourd’hui, là vraiment, il faut bien le dire, on vient d’atteindre le sommet de la médiocrité journalistique. Quebecor a osé publier un article sur l’achat effectué par le couple Marois-Blanchet d’une résidence de 500 000$ (un prix, qui est ma foi tout à fait raisonnable) qui est située dans Charlevoix. La journaliste parle de « villa cossue » !? Du gros n’importe quoi ! Une résidence de 500 000$ pour un couple qui possède un compte de banque bien garni, ce n’est rien d’autre qu’une non-nouvelle. Publier quelque chose à ce sujet, c’est de l’acharnement le plus vil, tout simplement.
Faudrait bien que certains finissent par comprendre que Pauline Marois est riche et qu’elle a tout à fait le droit de l’être. Dans son cas, contrairement à Charest, on ne se demande aucunement d’où lui vient l’argent pour financer son train de vie, elle est riche !!! Mais cela n’empêche pas les journalistes de chercher des poux là où il n’y en a pas. Écoutez, ça frise quasiment la folie. Dans l’article en question, ladite journaliste de Quebecor nous révèle que le nouveau terrain des Marois-Blanchet dans Charlevoix compte environ « 250 plantes vivaces ». 250. Pas 150 ou 300. 250 très précisément. Non, mais, ça, on voulait vraiment le savoir. Dans le cas des Marois-Blanchet, les médias sont à la veille de compter les brins d’herbe que compte leur pelouse, mais jamais ils ne leur viendraient à l’esprit de vérifier à qui appartient maintenant la résidence secondaire de luxe que Charest loue et qui se trouve à North Hatley, cette résidence qui appartenait à Sam Pollock, décédé en 2007. Ça, les journalistes semblent s’en foutre comme de l’an 1940; mais le nombre de pétunias qu’il y a sur la pelouse des Marois-Blanchet, ça par contre, c’est d’intérêt public. Il faut enquêter à ce sujet.
Non, vraiment, dans ce cas-ci le jupon dépasse vraiment trop, le système médiatique nous montre son vrai visage. Il nous prouve que nous ne sommes pas tous traités pareillement, et nos maisons non plus, par ces journalistes oeuvrant pour des médias dont les propriétaires semblent avoir intérêt à ce que le Québec demeure petit et à sa place.