* Sur la photo apparait Patrick R. Bourgeois en compagnie de militants basques, dont Haizpea Abrisketa.
Le Pays basque est en lutte depuis des temps immémoriaux. Pugnaces, les Basques ont historiquement résisté face à tous les envahisseurs. L’empire romain qui latinisa la péninsule ibérique quelque 200 ans avant jésus-christ ne parvint jamais à briser la résistance basque. Les Basques purent de ce fait conserver leur langue aux origines obscures, l’euskara, langue qui est toujours abondamment parlée aujourd’hui.
S’étant rangés du côté des Républicains contre les nationalistes fascistes de Franco durant la guerre civile espagnole de 1936-1939, les indépendantistes et socialistes basques devenaient des cibles à abattre une fois que Franco obtint la victoire. La culture basque devait disparaître, sa langue ne plus se faire entendre. La répression fut violente. Les militants furent emprisonnés, assassinés, par les fascistes qui ne faisaient aucun quartier. Dans le but de résister à ce qui s’abattait durement sur le pays, des militants mirent sur pied Euskadi Ta Askatasuna (ETA). La violence s’installait dès lors durablement au Pays basque.
La chute du régime franquiste en 1977 ouvrait la porte à des élections libres. La fin du parti unique et du règne du dictateur Franco, de même qu’un statut d’autonomie accordé à la Catalogne et aux Pays basque, ne solutionnèrent pourtant pas la situation pour autant. La répression violente frappait toujours durement l’indépendantisme basque qui s’exprimait fortement, lui aussi, par la violence d’ETA.
Tout était placé pour instaurer un contexte difficile et à peu près impossible à régler. La violence engendrant toujours plus de violence.
Impossible à régler d’autant que l’État espagnol, non satisfait de seulement réprimer violemment l’indépendantisme basque et de torturer ses militants par l’entremise des Guardia civils (Amnistie internationale et la Ligue des droits et libertés dénoncent l’Espagne à chaque année pour la violence administrée aux prisonniers politiques basques) s’est mis en plus à interdire les partis indépendantistes. Cela a débuté en 2003 avec Batasuna que l’Espagne accusait d’être le bras politique d’ETA. De fait, Batasuna a toujours refusé de condamner la violence d’ETA en arguant qu’il était stérile et injuste de réclamer la condamnation d’une seule forme de violence, que s’il fallait condamner ETA, il fallait encore plus condamner la violence de l’Espagne dirigée contre le pays basque. L’Espagne a ensuite interdit le parti indépendantiste AUB, puis D3M et Askatuna, puis à nouveau Batasuna en 2009.
C’est dans ce contexte que je suis débarqué pour une première fois, en 2007, au Pays basque. Pour y rencontrer des militants qui ne savaient plus quoi faire pour faire avancer leur pays vers la liberté. Tout militantisme indépendantiste étant susceptible d’être associé, à tort ou à raison, à la violence d’ETA, il fallait être déterminé comme pas un pour s’engager dans cette lutte. C’est le juge Garzon, lui qui imposa la fermeture dans la violence des journaux indépendantistes basques Egin et Egunkaria au tournant des années 2000 et qui interdit les partis indépendantistes, qui décréta que tout militantisme indépendantiste était une façon, directe ou indirecte, de soutenir ETA et que cela devait être criminalisé. Les militants étaient inquiets. Et pour cause. La voie de l’indépendance devenait plus périlleuse que jamais.
J’ai été guidé à travers le pays basque par la direction de Batasuna dont le siège officiel se trouvait à Bayonne, du côté français, là où le parti était pleinement légal et donc nullement associé à la violence d’ETA. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré Haizpea Abrisketa, une cadre du parti. Jeune femme dans la vingtaine, celle-ci sortait tout juste des infâmes geôles espagnoles. Son crime? Avoir participé à une réunion politique du côté espagnol. Tout simplement. Elle s’est de ce fait retrouvée très injustement derrière des barreaux, se demandant constamment si les bruits de botte qu’elle entendait dans le corridor conduiraient à elle un policier qui la violerait. Car oui, la torture dont sont victimes les prisonniers politiques basques est parfois à connotation sexuelle, comportement abject s’il en est un.
Haizpea était une jeune femme douce. Sympathique. Elle me raconta son voyage au Québec et me dit à quel point elle avait été charmée du fait qu’une MRC du Bas-du-Fleuve porte le nom de son peuple (MRC des Basques). J’étais loin de pouvoir l’imaginer transportant du C4 pour commettre un attentat ou planifier un enlèvement politique. C’était une simple militante comme il y en a des tas, ici, au Québec. Douce et gentille. Et nullement brisée comme bien des militants basques vivant du côté espagnol que je rencontrerai plus tard. Du côté français, c’était plus facile pour les militants de mener leurs activités tout en menant un semblant de vie normale. Alors que du côté espagnol la répression frappait au quotidien et transformait les personnalités de plus d’un.
Lors de mon séjour, Haizpea m’a fait rencontrer tout sortes de militants. Des journalistes engagés surtout. Qui avaient été torturés par l’Espagne pour avoir produit des journaux indépendantistes. Je me souviendrai toute ma vie du récit de Marxelo Otamendi. Je l’ai rencontré à Donostia. Il me raconta avoir été battu et violenté des semaines durant pour avoir dirigé le journal Egunkaria, un simple journal écrit en basque; même pas clairement indépendantiste le journal. Mais l’euskara, c’était déjà trop pour l’Espagne. Ce journal soutenait, aux yeux des briseurs de liberté, l’activisme violent d’ETA en défendant simplement la culture basque. On n’aurait pas cru possible de voir une telle répression dans une démocratie occidentale, au XXIe siècle!
Lorsque je l’ai rencontré, Otamendi était sous le coup d’une poursuite de l’État espagnol. Il risquait de passer le reste de ses jours en prison pour avoir réalisé un travail journalistique, ni plus ni moins. Il n’était pas le seul à se retrouver dans pareille situation. C’était bien ça le pire.
Aujourd’hui, les déboires judiciaires d’Haizpea sont loin d’être terminés. La supposée justice espagnole lui reproche, ainsi qu’à la militante Aurore Martin, elle aussi citoyenne française remise illégitimement par la France à Madrid, sa participation aux activités politiques de Batasuna. Et ce, même si le parti a été dissous en 2013, et même s’il n’y a plus eu aucun attentat d’ETA depuis 2009. Si elle devait être reconnue coupable, Haizpea risque jusqu’à 10 ans de prison pour ce « crime », alors qu’elle travaillait pour ce parti à partir de la France, là où il était légal.
Bien sûr, je ne peux pas tout savoir des agissements des militants. Autant les agissements de ceux de là-bas que les agissements de ceux que je côtoie ici, au Québec. Il se pourrait qu’Aurore Martin et Haizpea Abrisketa soient deux guerrières encore plus dangereuses que ne l’était Che Guevara lui-même. Mais ce faisant, il faudrait quand même qu’elles subissent un procès juste et équitable. Il faudrait que l’État espagnol établisse la preuve que des actes terroristes ont été commis par elles. Alors que tel n’est absolument pas le cas. L’accusation se contentant de les associer très indirectement à ETA, elles, ainsi que 33 autres militants basques. Tout ça pue la crise d’Octobre à plein nez!
Comme si ce n’était suffisant, on a appris ces jours-ci que l’État espagnol venait d’arrêter également Amaia Izko, l’avocate d’Aurore et d’Haizpea. On ne parle ici pas d’une militante, mais bien d’une avocate professionnelle! Cela est scandaleux! Et confirme qu’il s’agit là d’une parodie de justice qui a beaucoup plus à voir avec la répression de l’indépendantisme basque que de lutte au terrorisme; qu’il s’agit ici d’un procès qui a beaucoup plus à voir avec la politique qu’autre chose. Et qui nous pousse à dire que si la violence est déplorable, l’injustice organisée par un système répressif l’est encore davantage.
Pour l’heure, l’arrestation des avocats des militants force la suspension du procès. Haizpea se trouve ainsi, seule, face à la justice, sans avocat pour la défendre. Il faudra suivre son cas pour en apprendre davantage, pour voir le sort qui lui sera réservé. Mais une évidence demeure: et c’est que tout cela est fort mal engagé pour les militants basques.