La fin des faibles

 

Connaissez-vous le End of the Weak? Il y a des bonnes chances que non. C’est un peu normal et c’est aussi dommage. Les médias généralistes ne donnent pas la visibilité qui devrait revenir au hip-hop québécois ni aux grands événements de ce genre. On préfère souvent en parler en termes négatifs, l’associer aux gangs criminalisés ou à la misogynie. Un gars se fait arrêter pour proxénétisme; vous pouvez être sûr qu’on va le décrire comme étant un rappeur, même s’il n’a pas d’album et qu’il n’a qu’un vidéoclip youtube que personne n’a vu. Pourtant, j’ai comme le feeling que si quelqu’un s’était fait poignarder au End of the Weak cette semaine, tout le monde saurait que ça existe. Cependant, ce n’est pas au EOW qu’un tel truc aurait pu arriver.

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Pour vous mettre en contexte, le EOW est une compétition de « freestyle » ou d’improvisation hip-hop qui a vu le jour à New York en 2000. Depuis, des chapitres se sont ouverts un peu partout à travers le monde. Chaque chapitre tient ses compétitions durant l’année, pour finalement envoyer un champion à la grande finale mondiale. Et donc, après Saragosse, Berlin, Paris, New York, Londres et Kampala en 2014, c’est Montréal qui a eu la chance d’accueillir la finale mondiale. Plus qu’un événement hip-hop, c’est à une véritable fraternité qu’on a pu assister durant cet événement. Les champions de Belgique, de France, du Royaume-Uni, de l’Afrique du Sud, des États-Unis, de Suisse, de République Tchèque et du Québec se sont affrontés dans un esprit « olympien». On couronne un champion et je crois que même si le but ultime de cette compétition est de gagner, chaque participant, chaque délégation est heureux d’avoir pu faire parti de ce nouveau chapitre de l’histoire du EOW et du hip-hop en général.

Autre élément intéressant, l’équipe du EOW a fait figurer le Québec au côté des autres nations du monde. Le temps d’une soirée, d’une semaine d’activités entourant l’événement, le Québec était une nation à part entière, aux côtés des autres. Pas meilleure ni pire que les autres, mais elle a existé dans l’esprit des gens. Le genre de petit geste important qui mérite qu’on le souligne. Ainsi, la délégation britannique est repartie d’ici en comprenant que le Québec n’est pas le Canada et en se demandant pourquoi nous avions la reine Elizabeth sur notre monnaie. La délégation américaine a compris qu’ils pouvaient vivre un dépaysement en Amérique du nord ailleurs qu’au Mexique. Tous les participants ont passé la semaine ici, à côtoyer la culture québécoise et, fort de cet apprentissage, ils ont pu le mettre en pratique le soir de la compétition. Quel bonheur de voir un Sud-Africain sur scène mentionner le métro Joliette ou manier les « Sacraments » et les « Tabarnaks » ou de voir un Belge parler d’Andrei Markov, et quelle bonne technique pour aller chercher la sympathie du public montréalais. Pour les participants et organisateurs québécois, c’était également une chance de côtoyer de nouvelles cultures et d’en tirer des apprentissages. Ainsi donc, on apprend à ses dépends que la pire insulte qu’on peut faire à un Tchèque est de refuser la bière qu’il nous offre, quitte à finalement prendre un taxi au lieu de conduire. La richesse de cet événement réside justement dans cet échange interculturel. Nationaliste et ouvert sur le monde? Ciboire, je comprends que les médias mainstreams soient restés muets. La dernière fois que j’ai vécu quelque chose de comparable, c’est lorsque j’ai été invité à un festival en Belgique. Ils recevaient un cinéaste québécois et non canadien. Ça m’avait fait vraiment plaisir de voir le Québec figurer aux côtés d’autres nations indépendantes comme le Vietnam, le Burkina Faso ou la Bulgarie.

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Finalement, si quelqu’un avait envie de m’accuser de faire de la récupération politique, je l’enverrais chier. Je ne récupère rien. Je décris la réalité telle que je la vois. En décidant de faire figurer le Québec et non le Canada au « concert des nations hip-hop », les organisateurs de l’événement ont posé un geste politique. Aucun participant, ni aucune délégation étrangère ne semblent avoir été dérangés par cela. Pourquoi est-ce qu’il faudrait que ça nous dérange? Non, au contraire, tant mieux. Le temps d’une semaine, le temps d’une soirée, nous pouvions affirmer notre fierté, d’égal à égal avec d’autres nations. Un peu comme quand les Écossais, les Gallois ou les Irlandais du Nord regardent jouer leur sélection nationale respective au football. Ils n’ont pas encore de pays, ils n’ont pas le droit d’avoir de délégation olympique, mais au moins ils ont une équipe de football qui joue dans le plus prestigieux tournoi du monde, tous sports confondus : la Coupe du monde. Nous, nous avons notre délégation dans la Coupe du monde du hip-hop. Ceci dit, le Canada a bien le droit d’envoyer également sa délégation.

Quant à parler de récupération politique, lorsqu’un athlète québécois monte sur un podium quelconque en s’affichant dans les couleurs canadiennes, lorsque les artistes québécois montent sur la scène lors du Canada Day, lorsque les auteurs québécois vont chercher leur prix littéraire du Gouverneur général… ça, c’est de la récupération politique. Ottawa occulte la fierté que l’on ressent envers nos enfants qui réussissent et la travestit en fierté canadienne. Et Sheila Copps en est fière. «  Vous remarquerez que le mouvement séparatiste avait le monopole sur les artistes, mais que ce monopole n’existe plus. (…) C’était difficile d’en trouver pour participer aux célébrations canadiennes. Ça demande une stratégie à long terme. J’ai réécrit tous les programmes et toutes les ententes de subvention du ministère. Au Québec, ils voulaient une enveloppe qu’ils pourraient distribuer. J’ai dit non. (…) Nous créons les programmes, eux, ils suivent l’argent ». Did I build Canada today? Au pire, si Patrimoine Canada juge que le EOW a été subversif, ils ont juste à leur couper les subventions. Oups, ils n’en reçoivent aucune. La fin des faibles.

Félicitation aux organisateurs du EOW et aux participants du monde entier pour le bel événement auquel nous avons assisté dimanche.

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