Hymne au soulèvement de 1972 dans un temps de grande noirceur

De la guerre ukrainienne qui s’installe à la croissante croissance des prix, en passant par la pandémie qui n’en finit plus, la crise du logement qui accroît les sans-abris et mal logés, les soins de santé qui deviennent une médecine de guerre, l’éducation qui redevient élitiste et le segment public exsangue, les salaires qui ne bouclent plus les fins de mois, les conditions de travail du taylorisme informatique, la remise en question du droit à l’avortement qui réifie le corps des femmes, on sent le monde s’enfoncer dans une grande noirceur chaotique que démultiplient les crises existentielles et combinées du climat et de la biodiversité. La crise du capitalisme néolibéral montre toute son ampleur quand soudainement se désorganisent les chaînes mondiales de production en flux tendu pour accélérer la rotation du capital et segmentées en sous-traitance infinie pour affaiblir un syndicalisme resté frileusement corporatiste et national tout comme son pendant partidaire de centre-gauche.

Les classes moyennes, apeurées par le gouffre de la pauvreté à leurs pieds et impuissantes face au mondialisé pouvoir financier, économique, idéologique et répressif du 1%, stigmatisent le racisé prolétariat surexploité et les protecteurs autochtones des ressources, entraînant à leur suite le prolétariat « blanc » désemparé et désorienté par l’ineptie capitularde de la gauche traditionnelle vaincue par la chute du « socialisme réel » du XXe siècle. Le trop plein de souffrance a beau éclater le long des points faibles de la chaîne du libre-échange mondial depuis une dizaine d’années, la ténue gauche anticapitaliste qui ne s’était pas égarée sur les grands boulevards néo-staliniens et sociaux-démocrates n’arrive pas à se reconstruire en une force renouvelée capable de lever assez haut son drapeau pour rassembler ses millions mobilisés sur la longue durée du printemps arabe à celui érable. Comment vaincre cette poignée de milliardaires qui, barricadés dans leur château-fort, sont coupés du monde réel et non contents de planer au-dessus des lois, prétendent régenter la planète en manipulant l’ensemble des États avides de leurs capitaux et l’intelligentsia de leurs cadeaux.

Est-ce si difficile de démonter à la face du monde que ces petits empereurs sont nus, de faire éclater ces grenouilles qui veulent devenir aussi grosses qu’un bœuf ? Leur force réside dans le culte adulatoire qu’on leur voue, même en maugréant, dans la peur qui nous fixe le squelette s’ils — car il n’y a pas de « elles » ou si peu — nous abandonnaient, ou plutôt si leurs capitaux se tarissaient, pour se réfugier dans leurs îles sous les palmiers ensoleillés auxquelles leur propagande publicitaire, efficace à faire rougir de honte Goebbels lui-même, nous fait rêver hors misère et solitude du bonheur individualiste légué par l’idéologie néolibérale. Cette île ensoleillée, pour nous pauvre peuple du 90%, c’est le chalet dans la nature qui s’étiole sous la canicule, la maison solo sur un bout de terrain simili-campagne, à défaut l’auto solo vroum-vroum ou Tesla, ou rien du tout que le rêve. Cette prison dorée dans notre tête nous rend imperméable au bagne productif qui nous gruge et use sans même nous assurer la plénitude béate du bonheur factice qui endort.

Pourtant, la clef de notre rédemption est bien là dans ce lieu de travail, d’étude ou dans ce non-lieu chômeur et retraité ou encore dans ce lieu sans lieu, le quartier, lesquels nous implorent de devenir société, un réseau social réellement existant, hors Internet qui est sous contrôle du 1% et où règne le 10% des grands rassemblements sans lendemain quoique utile au 90% s’il ne se substitue pas aux mobilisations réelles. Pendant que l’on commence tranquillement à cuire, que la guerre tonne au loin, l’espérance des lendemains révolutionnaires — car c’est d’elle dont il s’agit — attend tapis dans l’ombre du subconscient où pointe la lumière de 1837-38 requinquée par 1972 qui se rallume encore plus resplendissante.

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