Dans un premier temps, Radio-Canada prétendit avoir perdu le contrat en question. C’était là la réponse que Meg Angevine, celle qui s’occupait de l’accès à l’information à Radio-Canada, me fit parvenir par la poste. On me prit vraiment pour un con, c’est le moins que l’on puisse dire. Comme si un document aussi important avait pu être égaré !
Mais comme les gens de Radio-Canada sont gentils ( !!!), on me proposa de partir à la recherche dudit document, mais à condition que je verse une somme de 350$. Je n’étais pas assez con pour ne pas comprendre qu’il s’agissait là d’un moyen de noyer le poisson. Les faiseux qui s’occupaient de ma demande se sont très certainement dits que je ne leur ferais jamais parvenir 350$ et qu’ils se débarrasseraient ainsi de moi et de mon embarrassante demande d’accès à l’information. Mais cela était sans compter le caractère « pit bull » de l’organisation du Québécois. Quand on tient un morceau, on ne le lâche pas si facilement. J’expédiai donc un chèque au montant exigé, même si cela me faisait mal au coeur.
On aurait dit que le temps s’était dès lors arrêté. C’était long. Long. Et long. La réponse tardait à m’être donnée.
Je pris donc le téléphone afin de savoir ce qui se passait avec ma demande. J’entrai ainsi en contact avec une assistante de Mme Angevine. Par candeur, celle-ci me dit que jamais le document que j’exigeais n’avait été perdu, que toujours ils l’avaient eu sous la main. Elle ajouta même qu’il y avait en fait deux documents et me demanda lequel je désirais recevoir. Les deux, rétorquais-je, bien sûr ! Mais la jeune fille me fit remarquer que ce ne serait pas si facile que ça étant donné que Radio-Canada ne décidait plus vraiment du sort de ma demande. C’étaient désormais les avocats de La Presse qui étaient en charge du dossier. Jamais je ne pourrai accepter qu’une demande déposée auprès d’un organisme public en vertu de la loi d’accès à l’information puisse être remise entre les mains des avocats d’une compagnie privée ! Le privé ne peut quand même pas décider de ce que le public peut, ou ne peut pas, rendre public !
Et le temps recommença à prendre son temps. C’était long. Long. Très long. Mais le hasard fait parfois bien les choses et peut ainsi accélérer le temps.
C’est ainsi qu’à la même époque, je reçus une invitation de l’émission de Christiane Charette diffusée sur les ondes de la radio de Radio-Canada. On voulait me passer le micro afin que je parle de mon nouvel essai intitulé Québec bashing. J’acceptai bien sûr. On me dit de me rendre dans les studios matanais de Radio-Canada à la date établie. Ce que je fis. À mon arrivée, tout se passait très bien. Je pris place en studio et mis le casque d’écoute. Christiane Charette présentait le menu de son émission. Une fois qu’elle eut terminé, je me rendis bien compte que j’avais été cavalièrement expulsé de l’émission. Le téléphone sonna. Le réalisateur, Bruno Guglielminetti me dit que mon sujet était trop délicat, qu’il ne pouvait pas me passer ainsi en ondes, qu’il faudrait que je sois chaperonné par un bon ouvrier de Radio-Canada à la langue de bois bien pendu pour ce faire ; bien sûr, il ne le dit pas comme ça, mais c’est ce que ça voulait dire. On me dit qu’on me réinviterait lorsque chaperon serait trouvé. Je ne sais pas pourquoi, mais j’en doutais fort.
Quelques jours plus tard, surprise, on me proposa de répéter l’expérience. Marc Laurendeau se chargerait de présenter mon livre. On me dit que c’était une pratique courante de présenter à deux un livre. On me donna l’exemple de Joseph Facal et d’André Pratte qui avaient été invités afin de parler, à l’émission de Christiane Charette, de leur livre. Je fis remarquer au recherchiste que les deux zigotos avaient écrit ledit livre ensemble, alors que moi et Laurendeau, non. Mais bon, j’étais prêt à quelques concessions, me disant qu’il était assez rare que des indépendantistes soient invités sur les ondes radio-canadiennes pour passer à côté de si belle occasion. Et en plus, je leur réservais un chien de ma chienne.
Une fois en ondes, je profitai de l’occasion pour réclamer une copie de l’entente secrète Radio-Canada / La Presse !!! Malaise. Laurendeau me répondit qu’il n’y avait rien de grave dans cette entente. Je lui demandai s’il avait au moins lu le document avant de prétendre une telle chose. Non, il me répondit. Silence. Et re-malaise. Moi, à l’autre bout du Québec, bien assis dans un studio matanais, je souriais.
Je quittai le studio bien content de mon coup. Quelques jours plus tard, comme par magie, je reçus une copie – caviardée bien sûr – de l’entente de principe ayant servi à établir une alliance entre Radio-Canada et La Presse. Dans ce document, il était clairement dit que des ressources monétaires seraient mises en commun afin de servir les intérêts de La Presse et de Radio-Canada, que les deux acteurs collaboreraient afin de produire du contenu journalistique, etc. En clair, cette entente de principe prouvait que Radio-Canada et La Presse travaillaient depuis des années, main dans la main, dans le secret.
Je diffusai publiquement ma découverte. Branle-bas de combat dans les salles de presse. Les journalistes étaient intéressés par l’affaire, même s’ils marchaient sur des œufs lorsqu’ils en parlaient. Écho fut fait à mon histoire un peu partout, j’étais content.
Un journaliste du Soleil m’appela pour confirmer mes hypothèses. Sale était cette affaire me dit-il. Ça jouait dur, c’était maintenant très clair. La Presse fit même parvenir une mise en demeure à Quebecor, son grand compétiteur, sommant l’empire des Péladeau de ne pas parler de mon histoire. Le syndicat des employés de Radio-Canada se mit de la partie, dénonçant que des employés de Radio-Canada doivent céder leur place à des journalistes de La Presse dans l’exécution de leurs tâches quotidiennes ; bref, un beau bordel comme on les aime tant lorsqu’ils mettent les institutions nos adversaires dans l’embarras !
Il y a même eu l’un des boss de l’information à Radio-Canada, Pierre Tourangeau pour ne pas le nommer, qui entra en contact avec moi pour me dire – gentiment bien sûr puisque le bonhomme est fort sympathique – que je ne racontais que des sornettes. Quelque temps plus tard, par accident, j’eus la preuve que c’était plutôt lui qui racontait des histoires à dormir debout. De fait, Philippe Cantin, l’un des boss de l’information à La Presse cette fois, me fit parvenir accidentellement un courriel qui ne m’était décidément point destiné. Dans ce courriel, Cantin disait attendre les consignes du boss de l’information Tourangeau de Radio-Canada avant d’agir dans un dossier X. Lorsqu’il s’aperçut de sa bévue, Cantin m’appela pour me demander de ne pas révéler le contenu du courriel en question qui prouvait que La Presse et Radio-Canada étaient des partenaires de propagande. Comme La Presse cracha sur Pierre Falardeau presque le jour même, je ne fis rien des supplications de Cantin et publia intégralement son courriel dans l’essai que je terminais à l’époque et qui s’intitula La Nébuleuse.
Parce que je savais pertinemment que l’entente de principe n’était que la pointe de l’iceberg et parce que je voulais prendre connaissance de ce qui se cachait sous la surface radio-canadienne, je déposai une plainte auprès du commissaire d’accès à l’information. Je réclamais une copie de la vraie entente (et pas seulement l’entente de principe) unissant Radio-Canada et La Presse. Et tant qu’à y être, je réclamais le remboursement des 350$ que j’avais dû verser pour la recherche d’un document qui ne fut jamais perdu.
Nous étions en 2007.
La semaine dernière, en 2011 donc, je reçus enfin des nouvelles de la plainte que j’avais déposée des années précédemment. Le commissaire estimait que rien ne justifiait qu’une somme de 350$ m’ait été exigée afin de mettre la main sur un document, opération qui ne pouvait prendre plus de 10 minutes. Radio-Canada admit le fait et me remboursa ladite somme. Mais Radio-Canada prétend toujours aujourd’hui, malgré ma plainte et mes années d’efforts, qu’elle n’est point contrainte à faire preuve de plus de transparence en me remettant enfin la copie de l’entente qui a permis à La Presse de bénéficier du soutien de fonds publics pour se développer. Le secret demeure donc. Les citoyens ne savent toujours pas tout ce que Radio-Canada fait avec leur argent. Quelle transparence ! Et quel monde quand même !
Alors voilà ce qu’il en coûte en temps, en énergie et en détermination pour enregistrer une petite victoire contre ces gens-là. Armons-nous maintenant de courage et de ténacité car la véritable victoire, la seule qui compte vraiment, ne sera pas plus facile à obtenir que celle-là ! Je vous en passe un papier.