Courage, victoire, fierté

Dans les entrevues qu’il a accordées aux médias pour la promotion de son plus récent documentaire, «Conte du Centre-Sud», le réalisateur Danic Champoux a utilisé à maintes reprises la très belle expression: «se payser». La première fois que je l’ai entendu prononcer ce verbe, j’ai immédiatement eu le réflexe de m’interroger sur son existence réelle. Je me suis donc précipité sur mon dictionnaire pour constater, dans un mélange de consternation et d’enchantement, qu’il ne s’y trouvait pas. Consternation, parce qu’il était pour moi inconcevable qu’un vocable aussi digne et aussi porteur n’ait pas sa place dans le vaste inventaire des mots de notre langue; et enchantement, parce que son absence me permettait de rêver en ouvrant toutes grandes les portes du possible. Les positions politiques du documentariste étant connues, je ne crois pas qu’il m’en voudra de lui emprunter sa délicieuse expression afin d’un peu broder autour.

Se payser! Comme dans: mettre des balises nous permettant de nous retrouver aisément. Disséminer des points de repère un peu partout sur notre territoire de façon à ce que, dans le temps et dans l’espace, notre orientation en soit facilitée. Connaître et faire connaître l’emplacement des bornes qui délimitent notre terrain. Savoir où nous sommes, qui nous sommes, et veiller à ce que les autres le sachent aussi. Prendre pleinement notre place dans l’histoire d’un lieu, dans son présent, en considérant autant l’importance du passé que celle de l’avenir. Ne pas regretter et ne pas craindre. Apprendre le sens du mot: «courage»…

Se payser! Refaire les mêmes gestes que faisaient nos ancêtres en comprenant pleinement que c’est par les traditions qu’un peuple s’invente et survit. Chanter les mêmes chansons que chantaient nos arrière-grands-pères, le souffle fort et le verbe fier! Célébrer les héros qui ont foulé le même sol que nous et qui ont marqué leur époque par leur hardiesse et leur détermination. Nous imprégner des symboles qui jalonnent notre périple infatigable en appréciant leur capacité à traverser les âges. Et bien sûr, bien sûr, créer de nouveaux gestes et imaginer de nouvelles traditions; l’innovation n’est pas l’ennemie du passé, elle en est plutôt la fille légitime puisqu’elle s’érige sur ses fondations (et non pas sur ses ruines). Composer de nouveaux chants et de nouveaux airs, avec toujours la même force et la même fierté, en sachant allier l’héritage et l’intuition. Être alertes et vifs afin de dénicher nos nouveaux héros et leur paver la voie vers la réalisation de leurs exploits. Nous donner des symboles neufs que nous pourrons superposer aux anciens de façon à leur donner du lustre et de la gloire. Apprendre le sens du mot: «victoire»…

Se payser! Enfoncer nos jambes jusqu’à mi-cuisses dans la terre argileuse de la Vallée du Saint-Laurent et laisser les racines qui y rampent caresser les plantes nues de nos pieds solides. Apprendre à nos palais à savoir reconnaître le goût de la perchaude, de l’anguille, du bourgot, du homard, de la perdrix, de l’oie blanche, du lièvre et de l’orignal. Remplir nos maisons du doux arôme des pets-de-soeur, de la soupe aux gourganes, des galettes de sarrasin ou d’une chaudronnée de fèves au lard, sans porter la honte au creux du ventre d’être taxé de folklorisation; et si toutefois l’accusation venait à être lancée, étrangler le calomniateur avec une ceinture fléchée! Toujours avoir une hache au fil bien affûté à portée de main et être prêts à toute éventualité… Prendre le temps parfois, au détour d’un chemin de campagne, d’arrêter chez l’agriculteur qui a pris soin d’installer une pancarte écrite à la main au bord de la route, pour lui acheter une douzaine de délicieux oeufs pondus par une superbe Chantecler. Être happés par cette espèce d’appel atavique qui nous remue les tripes quand, en route vers l’est, l’air devient tranquillement de plus en plus salin. Traiter les courges, la betterave, le chou, le maïs et la pomme de terre comme des aliments nobles. Considérer son peuple comme une famille et adopter une attitude fraternelle avec tous les compatriotes qui croient en sa pérennité par l’intermédiaire d’un projet de libération nationale. Lire André D’Allemagne au lac Hertel dans le mont Saint-Hilaire, Olivar Asselin à Sainte-Pétronille sur l’île d’Orléans, Maurice Séguin dans le parc des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie, Pierre Bourgault au beau milieu des monolithes de l’Archipel-de-Mingan, Denis Monière sur la pelouse aux abords du Fort Chambly, Jules Fournier aux chutes de Notre-Dame-de-Montauban, Pierre Falardeau au pied de la Butte-du-Vent sur l’île du Cap-aux-Meules, Lionel Groulx sur un banc de la cathédrale d’Amos, Marcel Chaput dans un camp de chasse de La Tuque, Gilles Laporte en déambulant dans les rues du Vieux-Saint-Eustache, Jacques Beauchemin sur le quai de Percé, Guy Frégault au belvédère de la 175 dans la réserve faunique des Laurentides et Robert Laplante dans une chaloupe sur le lac Taureau. Faire des enfants, beaucoup d’enfants; surtout, ne pas les laisser oublier; garder la mémoire bien vivante. À la claire fontaine, m’en allant promener… Dépenser nos piastres durement acquises dans les abondantes microbrasseries, les quincailleries de quartier, les boulangeries artisanales et chez tous les petits commerçants locaux qui persistent à survivre malgré les ravages causés par les multinationales sans âme. Encenser nos peintres, nos bédéistes, nos sculpteurs et tous nos créateurs de talent pour la simple et bonne raison qu’au travers de leur art, c’est notre réalité qui est exposée. Regarder dans le miroir et nous trouver beaux. Apprendre le sens du mot: «fierté»…

En cette époque étrange dans laquelle l’enracinement semble malheureusement être une valeur rétrograde pour une grande partie de notre population, les nationalistes ont du boulot comme jamais! À l’heure à laquelle même une simple visite chez le barbier doit être vécue comme une expérience et à laquelle le sentiment d’être dépaysé est plus valorisé qu’un rapport clair à sa propre histoire, je crois que les cloches du patriotisme sont dues pour retentir haut et fort afin de sonner l’appel. Un appel à la résistance, en quelque sorte. Parce qu’il y a toujours bien de foutues limites à nous voir lever le nez sur tout ce qui nous a fabriqué comme peuple sans réagir! La Nation n’a pas à se prévaloir de l’aide médicale à mourir, elle doit plutôt quitter promptement son lit de grabataire et s’engager sur l’ardu chemin de la guérison; une rémission ne sera pas suffisante. Afin de nous remettre en marche dans le sens de notre auguste destin, nous devons viser une remise sur pied totale. Pour ce faire, nous aurons grand besoin de courage, de victoires et de fierté. Camarades, paysez-vous!

Publié le chroniques politique québécoise, Journal Le Québécois et étiqueté , , , .

Un commentaire

  1. Je pense qu’on a là l’essence même du patriotisme. Votre texte monsieur Carrier est comme un hymne au pays qui nous a façonné et qui porte en lui une certaine vigueur perdue qu’il aurait fort envie de retrouver. Si seulement nous pouvions nous unir pour culbuter les fossoyeurs de notre nation dans les trous qu’ils nous réservent, ce serait déjà la reprise en main de notre pays. Enfin! Merci monsieur Carrier.

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