Cinquante militantes fondent « Solidaires pour une démocratie interne »

L’embryon du parti de la rue se bute au mépris de la machine électorale

Une militance d’une cinquantaine de personnes à l’assemblée de fondation, un Facebook d’un peu plus d’une centaine de personnes, le nouveau regroupement « Solidaires pour une démocratie interne » lancé par quelques participants aux deux seuls « réseaux militants » reconnus par les statuts de Québec solidaire, le Réseau Intersyndical et le Réseau de la militance écologique, décolle sur des roulettes. La discussion tant Facebook qu’in vivo, amorcée par des présentations de certaines organisatrices, a mis l’emphase sur les frustrantes expériences personnelles pour dégager, à la fin de l’assemblée de fondation quelques pistes de solution.

L’assemblée a ratifié une coordination de quatre femmes et deux hommes issue de l’île de Montréal (3), de la Rive-sud (2) et de Québec (1). Elle a comme mandat à court terme de faire un bilan de la réunion de fondation à diffuser aux membres, de le partager avec le comité de liaison du Comité de coordination nationale (CCN) mis sur pied à cet effet — les membres du CCN et membres-employés ne peuvent pas appartenir au nouveau regroupement — et de préparer une nouvelle rencontre dont le but serait de préparer le congrès de l’automne 2019 et d’obtenir la convocation d’un congrès spécial en 2020 sans attendre celui statutaire de 2021.

Des réseaux militants mis sur la touche

Les témoignages écrits et ceux des présentations concernaient beaucoup les rapports des deux réseaux militants, et quelque peu du réseau femme de la Rive-sud, avec le « national ». En gros, le national fonctionne sans se soucier des débats et actions des réseaux militants quitte même à les récupérer pour les annuler. Par exemple l’annulation de l’assemblée publique du réseau écologiste dans le cadre de la campagne Ultimatum 2020 pour laquelle d’ailleurs les réseaux n’ont pas été consultés. Le Réseau intersyndical a été laissé à lui- même par le national lors du dernier Front commun en 2015-16 et ensuite pour la campagne du salaire minimum à 15$ l’heure. Ce réseau aurait voulu organiser les membres syndiqués du Front commun pour qu’ils poussent à la mobilisation après le rejet de l’accord de décembre 2015 par la FSSS-CSN. Le national ne voulait pas heurter les directions syndicales de lancer à la volée une voix. Mais hormis quelques brèves interventions, l’analyse politique était peu au rendez-vous.

Dans mon atelier, des membres ont critiqué l’attitude souvent méprisante du national, l’unilatéralisme de la thématique écologique par rapport à la justice sociale (mais c’est-là une conséquence d’une compréhension étroite et technologique induite par le réducteur Plan de transition), le parachutage de vedettes, les délégations obligées de voter tous et toutes dans le sens de la majorité, le haut roulement de la militance locale due au vide post-électoral. Dans les comptes-rendus des discussions en atelier, on a signalé faire face à une logique de campagne électorale permanente, à une méfiance vis-à-vis l’auto-organisation des membres (et sans doute du mouvement social quand on constate qu’Ultimatum 2020 ne s’y lie pas). Un autre rapport a constaté que l’excuse de l’efficacité et des courtes échéances propres aux élections (et on imagine de la vie parlementaire) ne rime pas avec la démocratie et la formation qui prennent du temps (mais, ajouterais-je, qui permet une mobilisation plus convaincue et convaincante). L’absence de débat de fond, ajoutait le rapport, nuit au développement de la pensée critique ce qui amène la militance a faire contrepoids à la pression du patronat sur la direction du parti par l’intermédiaire des grands médias et du parlement. (Mais est-ce souhaité par la direction du parti?)

Une croissance électorale à la mode Syriza qui mène à la trahison?

En résulte, comme l’a dit une présentatrice, un danger de démobilisation de la militance expérimentée qui ne nuirait peut-être pas à la croissance du parti mais ce qui à la mode Syriza conduirait à la trahison de la cause environnementale comme le PQ a trahi la cause indépendantiste. À ce sujet, on a déploré le manque de démocratie concernant le processus de fusion avec Option nationale comme on a aussi dénoncé encore plus fortement le parachutage du Plan de transition sans débat et sans vote en pleine campagne électorale. Par contre, on n’a pas entendu de critique proprement dite ni de la conception indépendantiste d’Option nationale ni
du contenu du Plan de transition. Un rapporteur a souligné que le problème n’en est pas un de programme ou d’organisation mais de stratégie. (N’y a-t-il pas une dialectique entre ces trois éléments?)

Pour ce qui est des pistes de solution, l’animateur de la rencontre les a synthétisées comme étant la préparation du congrès spécial de 2020 (qui est loin d’être acquise), la nécessité de réflexions stratégiques (qu’est-ce à dire?), la mise sur pied d’un réseau de militance (en quoi sera-t-il différend du Facebook « Réflexions stratégiques » ou de celui du nouveau regroupement?), de formation soulignée à double trait (est-ce que ça inclut des débats?) et de financement des réseaux militants (ce qui invite leur reconnaître une représentativité statutaire au congrès et au conseil national).

Une populiste campagne électorale permanente embarrassée par l’alternative

La militance des réseaux militants a frappé le mur d’une direction électoraliste qui ne veut rien savoir de construire le parti de la rue, celui imbriqué dans le mouvement social seul capable d’un tsunami en mesure de changer fondamentalement les rapports de forces. La direction ne reconnaît pas à sa militance impliquée dans ces réseaux, qui a moins de temps à consacrer aux tâches électorales, une reconnaissance statutaire sous forme d’instances d’interface avec le mouvement social avec droit de représentation au conseil national et au congrès tout comme celles de circonscriptions. En découle une campagne électorale permanente, avec phases de haute et basse intensité. En ce moment on recrute, par une tournée, de « super militants » pour l’élection de 2022 pendant qu’on construit des groupes d’affinités Ultimatum 2020 composés de jeunes recrues vertes dans les deux sens du mot (écologiques et inexpérimentées) qu’on coupe consciemment du mouvement social et qu’on garde réchauffées pour la prochaine élection par un bombardement de tâches aux deux semaines. Cette méthode organisationnelle porte la politique communicationnelle populiste, reléguant à l’arrière-plan plateforme et programme — se trouvant en queue du site web durant la campagne électorale si discrètement que le PQ ne les a pas vus — en faveur de quelques revendications qui pognent. Et électoralement ça a marché tout comme pour la France insoumise et Podemos… jusqu’à l’échec des élections européennes où est apparu le plat social-libéralisme des vieux partis jadis sociaux-démocrates. Le problème avec ce court-circuitage du programme est que l’alternative au néolibéralisme prend le bord. Ne reste plus que l’atténuation sociale-libérale du néolibéralisme masquée par quelques réformes ciblées souvent quelque peu déformées (la gratuité des soins dentaires est en réalité 60%, la gratuité du transport collectif est la demi gratuité). À la Chambre de commerce, la porte-parole a laissé clairement entendre qu’il n’est pas question et ne sera pas question de nationalisation ou socialisation quoique en dise le programme. Toute cette mise en scène échappe complètement à la base du parti mais celle-ci a accepté la discipline de la campagne électorale puis s’est réjouit des bons résultats… faisant de Québec solidaire la deuxième opposition au grand dam du PQ.

Un parti à la structure traditionnelle utilisant le populisme pour se libérer de la démocratie interne

Galvanisée par le succès électoral, la direction poursuit sa lancée avec la même méthode pour Ultimatum 2020 escomptant le même succès grâce à son emprise sur la jeunesse verte prête à la suivre peut-être pas en enfer mais loin de l’implication dans les mouvements sociaux. Normalement le Plan de transition dans le cadre indépendantiste devrait être la référence. Il est ignoré. Cette fois-ci ce n’est pas un programme longuement construit par la militance qui est mis sur une tablette mais un Plan secret acquis au capitalisme vert et qui confine à la supercherie, ce que la direction du parti a réalisé depuis longtemps, d’où sa mise à l’écart. On recourt encore une fois à la méthode populiste du slogan creux (« Faire barrage »), du but trompeur semant la confusion auprès de l’électorat (La CAQ ultralibéral et raciste qui pourrait faire un plan de transition adéquat) et des revendications au nombre de trois qui n’inclut même pas le rejet du gazoduc Abitibi-Saguenay et s’en remet au même type d’experts fétichisant le marché qui ont concocté le Plan de transition.

On dira que Québec solidaire, contrairement à la France insoumise et à Podemos, est structuré et fonctionne démocratiquement. On pourrait ajouter que comme les partis traditionnels, il se bureaucratise à la vitesse grand V grâce aux subventions étatiques. Mais comment ne pas voir que la direction du parti se sert du populisme pour se dégager des contraintes de la démocratie interne qu’impose sa structure traditionnelle. Elle s’en remet à la prééminence de la politique communicationnelle des « signifiants vides » et à la méthode organisationnelle du « parti numérique » pour se libérer du contrôle de la militance et de la direction collective. Du parti traditionnel, le parti conserve la lourdeur bureaucratique qui se présente à la militance avec toute son écrasante opacité mais aussi avec l’attrait de sa capacité de financement et d’adoubement. Ce lourd appareil a aussi la capacité de récupérer les oppositions internes. Est-ce la signification de ce « comité de liaison » du CCN qui apparaît comme un cheveu sur la soupe sans plus d’explication ni de discussion?

Quelques revendications pressantes pour le congrès 2019

Le prochain congrès doit fusionner le programme d’Option nationale à celui Solidaire et modifier les statuts pour mieux arrimer l’aile parlementaire au parti. Le nouveau regroupement n’étant pas jusqu’ici préoccupé de programme mais uniquement de l’état de la démocratie interne sans trop se poser la question du rapport entre les deux, on ne voit pas comment il pourrait intervenir à ce niveau sitôt. Mais ne serait-il pas prudent d’y jeter un œil au cas où la direction du parti tenterait de mieux adapter le programme au populisme par définition façonné par l’opinion publique du consentement manufacturé? On sait que c’est déjà le cas pour la tarification carbone (marché et taxe carbone) à laquelle la Commission politique va recommander d’adhérer à l’encontre du programme actuel cristallisant ainsi la domination du Plan de transition par les grandes entreprises.

La modification des statuts, par contre, donne l’occasion d’accorder aux réseaux militants (et aux collectifs) un droit de représentation au congrès et au conseil national. On pourrait y adosser une exigence de financement statutaire des réseaux militants. Elle donne aussi l’occasion de démocratiser le CCN en enlevant le droit de vote aux deux employées non élues par le congrès qui y participent d’office et même en y retirant la représentation des employés. Ne pourrait-on pas y inclure l’obligation d’un camp annuel de formation (une université d’été) pour lequel les instances du parti pourraient faire des propositions? Plus profondément pour le possible congrès de 2020, ne faudrait-il pas revenir aux congrès annuels? N’y aurait-il pas lieu de faire des conseils nationaux le lieu véritable de la direction du parti ce qui suppose qu’ils se réunissent plus souvent et se dotent de comités de travail? Enfin déployer l’activité et la représentativité du parti de la rue en parallèle avec celui des urnes.

Un étonnant et troublant angle mort

Comme me l’a fait remarquer une participante à l’assemblée de fondation, lors des interventions pour spécifier le « national », on mentionne très généralement le CCN mais très rarement l’aile parlementaire. D’ailleurs si les membres du CCN et les employés ne peuvent appartenir au nouveau regroupement, il n’a jamais été question d’en exclure la députation. Est-ce parce qu’on fait l’hypothèse que la direction du parti réside au CCN comme c’est formellement le cas selon les statuts et que l’aile parlementaire en toute autonomie correctement encadrée fait un bon travail? Ou est-ce qu’on estime que cette aile, du fait de sa présence médiatique et de son vedettariat renforcés par la récente bonne performance électorale, est à ce point inatteignable qu’elle est hors champ critique?

Pour la militance du parti, hors quelques initiés, les relations entre le CCN et l’aile parlementaire sont une boîte noire que les superficiels rapports officiels au congrès et au conseil national obscurcissent davantage. On note d’ailleurs que les comptes-rendus de décisions du CCN, publiés très en retard sur l’intranet — décembre 2017 est la dernière en date de juin 2019 — montrent un grand unanimisme et que les rares dissidences déclarées ne viennent pas du formellement noyau dirigeant (les deux porte-parole, le secrétaire général, le responsable à l’orientation et aussi responsable de la Commission politique, la directrice générale). Est-ce que dorénavant la
centralisation du pouvoir réel dans Québec solidaire est à ce point qu’elle se cristallise dans le leadership dit charismatique des deux porte-parole, en autant qu’ils continuent de s’entendre, s’appuyant sur un noyau restreint de personnes de confiance qui peuvent ou ne peuvent pas être du CCN?

Si la présente phase récriminatoire est nécessaire, elle reste fragilement suspendue entre deux eaux. Ou « Solidaires pour la démocratie interne » deviendra un nouveau comité pour la démocratie participative plus autonome et vindicatif que celui officiel ou il débouchera sur la construction d’un pôle oppositionnel « parti de la rue » contestant la direction du parti à la tendance électoraliste-populiste se contentant d’un réformisme social- libéral afin de « tout changer pour que rien ne change ». Pour sa mue, si cette voie est choisie, restera à se doter de sa propre orientation politique avec son lot de modifications programmatiques, organisationnelles et fonctionnelles. Somme toute, il faut miser sur un nouvel esprit issu d’une grande lutte sociale, le possible Front commun 2020 certes de justice sociale mais aussi éco-féministe de prendre soin des gens à coups d’énergie humaine sans énergie fossile et créant de riches liens sociaux anti-consumériste comme revers de la médaille éco-autochtone du prendre soin de la terre-mère qui inspire la lutte climatique.

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