Néanmoins, il faut se garder de tout confondre et de faire de l’ « Anglais » (ou de l’Anglo, de la tête carrée, voire du « Bloke ») le bouc émissaire de tous nos griefs comme Québécois. Bien sûr, les anglophones se savent majoritaires sur le continent et bien peu d’entre eux s’inquiètent du sort des francophones, persuadés qu’ils sont que nous sommes là pour durer. À vrai dire, les questions démographiques ne sont pas toujours simples à examiner et on peut faire dire tellement de choses aux statistiques. Il demeure qu’une tendance lourde se fait sentir depuis des décennies : la diminution des francophones sur l’ensemble du territoire, que ce soit sur le continent nord-américain, au Canada seulement, ou au Québec. Les faits ne trompent pas, hélas.
Mais qui sont nos ennemis véritables ? Selon moi, ce sont l’État canadien, la monarchie, l’État vassal québécois, le grand capital, l’impérialisme américain… et, forcément, tous ceux qui les soutiennent à fond de train. Ceux qu’on appelle les « Anglais » agissent comme naguère les Rhodésiens avant que naisse le Zimbabwe. C’est pourquoi ils votent majoritairement, en bloc devrait-on dire, pour le parti Libéral (aussi connu sous le nom de « Parti des Anglais », expression qui ma foi lui sied encore très bien). Notre combat pour l’indépendance et pour notre survie comme peuple francophone n’est pas pour autant anti-Anglais, ni xénophobe, ni raciste. Ce sont tout au contraire les mesures politiques qui ont conduit au génocide ethnique des francophones qui sont, elles, carrément xénophobes. Se défendre et se protéger pour réparer (en autant que faire se peut) le mal qui a été fait n’est qu’une juste et bien légitime mesure. Pas plus que les Africains n’ont pu compter sur les Rhodésiens pour obtenir l’avènement du Zimbabwe, pas plus nous ne pourrons compter sur les « Anglais » pour libérer le Québec. À défaut de pouvoir faire avec eux, il faudra faire sans eux. Et sans perdre de temps, si vous voulez mon avis.
Tout ce que je dis plus haut, il m’arrive d’en faire part à des anglophones de ma belle-famille (eh oui, j’ai épousé une « Anglaise » alors que j’étais jeune et que je savais qu’elle possédait tous les disques des Beatles) et cela finit par entrer dans leur coco. Prenez, au cours du weekend dernier, j’étais dans la région de Kingston (Ontario). Samedi, mon épouse avait organisé un repas d’anciens compagnons de classe de son école secondaire. Quarante ans plus tard, ces jeunes élèves sont tous devenus des vieux au tournant de la soixantaine, personne n’ayant trouvé la fontaine de Jouvence. Certains ont été décimés par la maladie et d’autres ont quitté la province, vers le Missouri, l’Ouest canadien et les Maritimes, mais les autres ne manquaient pas à l’appel. Attablés dans un restaurant familial, j’étais le seul « étranger » de la tablée. Seul francophone parmi des anglophones, c’est vous dire comme je me sentais à ma place ! Vers la fin du repas, une ancienne meneuse de claques de l’école, qui a doublé de poids avec le temps, me demanda si Pauline Marois risquait de devenir première ministre. Tous les regards étaient maintenant braqués sur moi, mais je pris quand même le temps d’avaler un raisin afin d’alimenter un certain suspense. Je comprenais qu’ils n’ont pas idée de ce qui se passe au Québec, car leurs journaux en parlent peu, alors je pouvais leur dire à peu près n’importe quoi : madame Marois a d’excellentes chances d’être élue ! Voilà ce que je leur ai dit. Mon épouse, qui m’écoutait (une fois n’est pas coutume), sentit le besoin, peut-être pour en remettre, d’ajouter que je m’y connaissais en matière de politique car j’étais actif dans la SSJB, le Mouvement Montréal français et le RRQ. Ils ne se rappelaient pas avoir jamais entendu parler de ces groupes, mais du coup, ils comprirent en un tournemain qu’ils étaient assis avec un « séparatiste », sans doute pour la première fois de leur vie. Poliment, ils me laissèrent poursuivre, bien heureux de savoir à quoi s’en tenir avec le Québec. En définitive, non seulement, je ne perçus aucune hostilité de leur part, mais tous me saluèrent avec beaucoup d’égards à la fin du repas.
Ceci n’est pas l’exception quand je vais en Ontario, c’est même bien souvent la règle. Le lendemain, ma belle-famille fêtait mon anniversaire (deux semaines à l’avance !). Mon neveu, qui est au début de la vingtaine, est le seul du lot qui parle français. Il l’a appris au Collège militaire royal de Saint-Jean et il est si doué pour les langues que c’est à peine s’il a un accent quand il manie notre idiome national. Il revenait depuis quelques semaines de l’Afghanistan (comme soldat et non comme préposé au Tim Horton de Kandahar) et il m’en a parlé en long et en large. Il m’a aussi parlé des deux solitudes de l’armée canadienne sur place, qui est très palpable. Il déplore ne pas pouvoir davantage pratiquer son français à Trenton (où il demeure), mais il a quand même un copain du Burundi et un autre du Nouveau-Brunswick avec qui il converse en français. Il songe à s’inscrire en communications dans une université torontoise, mais il a jonglé avec l’idée de s’inscrire à l’UQAM, tenant à préciser que s’il y a renoncé cela n’avait rien à voir avec la langue. Personne de ma belle-famille, à part lui, Shane, ne parle français, mais au fil des ans (trente ans, c’est un bail), ils m’ont adopté comme un des leurs, en dépit de mes opinions politiques qu’ils respectent, sans en connaître bien entendu tous les méandres.
À l’approche des élections provinciales en Ontario, mes beaux-frères m’ont demandé pour quel parti, selon moi, il fallait voter. Le plus sérieusement du monde, je leur ai dit que comme il s’agissait tous de partis fédéralistes, si j’étais à leur place j’annulerais mon vote. Ce qui les a fait bien rire et ils m’ont dit être plutôt d’accord avec moi. À la fin de la journée, après le succulent gâteau d’anniversaire, il y avait une carte de souhait à mon attention. À l’intérieur, quelqu’un avait ajouté avant les signatures une petite phrase de rien du tout, mais qui avait le mérite d’être néanmoins en français : « Bonne fête John Pierre ! ».
Qui prend mari, prend pays. C’est tout simplement comme cela que cela s’est passé il y a plus de trente ans avec mon épouse, sans que cela ne pose de problème. Avec sa famille, il a fallu qu’on s’apprivoise, puis petit à petit on a su se respecter, à défaut de partager des opinions identiques. Ma parenté de l’Ontario s’attend à ce que tôt ou tard un passeport soit nécessaire pour franchir la frontière québécoise. Loin de s’en inquiéter, ils se disent que si tous les Québécois sont comme John Pierre, ils seront les touristes les plus heureux du monde ! Qu’attendons-nous alors ? Le tourisme, c’est si bon pour l’économie !