Catalogne : le calme avant la tempête

Les images des grandes manifestations réunissant des centaines de milliers d’indépendantistes catalans ont marqué bien des esprits au Québec. Ils dégagent depuis quelques années à l’étranger l’image d’une Catalogne bouillonnante, impatiente d’exercer son autodétermination. C’est pourquoi les premiers pas dans la capitale catalane, quelques jours à la veille d’une issue électorale cruciale, étaient plutôt déroutants. On s’attendrait à y sentir la fébrilité d’un peuple prêt à plonger, à y entendre les éclats de débats aux coins des rues et à y voir des citoyens polarisés, attachés à un camp ou l’autre. Or, si on pouvait bien voir aux fenêtres des centaines d’Estelada, l’essentiel de l’agitation sur la Rambla était touristique.

Pourtant, l’enjeu de cette campagne décisive était clair pour tous. Si la liste indépendantiste commune Junts pel sí additionnée du parti indépendantiste anticapitaliste CUP emportait une majorité de sièges, la Generalitat devait aller de l’avant avec le processus indépendantiste sans plus attendre. Le mouvement indépendantiste catalan, dans l’incapacité de tenir un référendum à cause des interventions légales de Madrid et de sa cour suprême, a convenu de construire sa légitimité sur l’élection. Le 29 septembre, si les indépendantistes remportaient la victoire, ne sera pas le début de négociations devant mener à l’indépendance ou d’une autre tentative pour obtenir un référendum. Bien sûr, les Catalans préféreraient que l’Espagne accepte de négocier les modalités de la transition, mais cela semble bien improbable considérant les menaces dont ils sont l’objet depuis plusieurs mois.

Dans les circonstances, considérant la forte victoire des indépendantistes, les 18 prochains mois seront consacrés à construire l’indépendance à proprement parler. Ils amorceront le processus consultatif devant mener à la rédaction d’une nouvelle constitution. Durant ces consultations, la Catalogne votera des lois pour définir sa citoyenneté et établir son propre système juridique. Elle prendra contrôle des institutions espagnoles présentes sur son territoire (aéroport, système postal, etc.). Ce sera dorénavant à la Generalitat que les Catalans devront verser leurs impôts. En somme, il s’agit d’un processus de rupture. Évidemment, il est possible, sinon probable que Madrid tentera de s’opposer à ces gestes d’État en intervenants directement ou en nourrissant des conflits de loyautés en Catalogne (ils ont d’ailleurs voté une loi trois semaines avant les élections pour assujettir la police catalane). Dans un commentaire rappelant le proche passé franquiste de l’Espagne, son ministre de la Défense a d’ailleurs rappelé que ses forces armées sont toujours prêtes à défendre la constitution (qui prévoit que l’Espagne est indivisible).

Face à ces menaces, les Catalans ne sont pas sans défense. Leurs mouvements indépendantistes ont démontré à plusieurs reprises leur potentiel de mobilisation titanesque. Ils peuvent également compter sur de puissantes organisations de la société civile très bien organisées et profondément ancrées sur tout leur territoire. Enfin, en rencontrant les représentants des différents partis indépendantistes catalans, on comprend qu’ils se sont débarrassés de la peur et des illusions, les deux freins qui retiennent encore le mouvement indépendantiste québécois.

En Catalogne, le mouvement se présente tel qu’il est et ose expliquer à la population très concrètement quelles sont ses intentions. Cette clarté et cette confiance se transforment chez les Catalans en une calme détermination. Ils savent précisément ce que le mouvement indépendantiste va tenter et pour quoi il le fait. Le corollaire de cette absence de peur est que les indépendantistes de Catalogne ne se sont font pas d’illusions sur la reconnaissance de « la communauté internationale » ou sur l’éventuelle « négociation » avec Madrid. Ils sont conscients du fait qu’il leur faudra d’abord contrôler concrètement leur territoire avant d’espérer des concessions de qui que ce soit. Les rencontres réalisées ici portent à croire que les principaux acteurs qui mettront en branle la mécanique indépendantiste sont très conscients des outils à leur disposition pour construire un puissant rapport de force et faire reculer Madrid. Ils savent bien que leur capacité à prendre le contrôle du territoire catalan et des institutions espagnoles qui s’y trouvent importe bien plus que les circonvolutions de quelques « analystes politiques » autour de l’importance de n’avoir pu obtenir 50 % + 1 lors de l’élection.

Cette conscience populaire des étapes qui suivront le vote de dimanche explique peut-être pourquoi les indépendantistes catalans ne paraissaient pas survoltés. Ils savaient bien que le vote de dimanche n’était pas la fin, mais le début du processus d’indépendance. Ils savaient bien que le plus dur reste faire. Ils savaient bien que c’était le calme avant la tempête.

Julien Gaudreau
Membre d’Option nationale présent en Catalogne dans les jours précédant l’élection à Barcelone avec le Réseau Québec – Monde.

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2 commentaires

  1. « En Catalogne, le mouvement se présente tel qu’il est et ose expliquer à la population très concrètement quelles sont ses intentions. Cette clarté et cette confiance se transforment chez les Catalans en une calme détermination. Ils savent précisément ce que le mouvement indépendantiste va tenter et pour quoi il le fait. »…(J.G.)

    Voilà pourquoi il faut vite créer l’Institut sur l’Indépendance du Québec! On remarque l’absence planifiée, dans les médias canadian, de l’argumentaire indépendantiste proposé par le Bloc Québécois. Si solide soit-il, il pourrait demeurer inconnu des électeurs québécois distraits qui voteront pour un anti-Québec. Si donc cette tête de pont ne pouvait continuer à préparer la prochaine campagne à Québec, il faudrait qu’éclate au grand jour, là où ça compte vraiment, sur tout le territoire québécois, le tableau de la vérité sur les raisons de l’indépendance du Québec et sur les moyens d’y parvenir au plus tôt. À l’exemple de la Catalogne, n’ayons plus cette pudeur à étaler le plus largement possible le processus de notre indépendance. Dans notre propre pays, nous y verrons plus clair avec les nouveaux arrivants. Québécois toujours ouverts sur le monde.

  2. Etant français et vivant en Catalogne( espagne…pour l’instant..) c’est la première analyse claire , intelligente et si proche de la réalité qu’il m’est donnée de lire ,comparée à tous les avis ,emissions radios ou télé où les seuls à donner leur avis vivaient ou puisaient leurs sources à …Madrid…merci pour cette sensibilité..

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