Si, lors de la dernière campagne électorale provinciale, la Coalition avenir Québec (CAQ), Québec solidaire (QS) et le Parti Québécois (PQ) se sont livré bien des batailles, ils se sont au moins entendus sur un point : la mise en place du mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire. Beaucoup s’en sont félicités, en se disant que l’affaire était dans le sac. Effectivement, la représentation parlementaire était pour une fois très majoritairement favorable à cette vieille réforme qui traine depuis plus de cent ans, mais c’était ne pas tenir compte de la bonne vieille tradition du rétropédalage que nous a habitué le PQ d’avant 2006 et qui a été une nouvelle fois honoré le PLC.
Il est malheureusement tout à craindre que cette tradition soit encore une fois respectée par la CAQ, puisque ses député(e)s semblent plus craindre pour leur siège que pour leur parole, car, plus les échéances se rapprochent, plus la remise en cause de cette réforme se fait sentir. Il est d’ailleurs pratiquement admis que celle-ci ne sera pas mise en place pour l’échéance de 2022. Le « joker » d’un référendum sur cette question, en même temps que ces prochaines élections, a même été mis de l’avant par François Legault! Peut-être s’imagine-t-il que de noyer le débat parmi l’ensemble des polémiques d’une campagne électorale pourra l’aider à se sortir de l’impasse dans lequel il s’est embourbé.
Il est en effet facile de promettre plein de choses avant d’être aux affaires et la réforme du mode de scrutin est le genre de promesse que les partis font dans l’opposition, mais abandonnent rapidement après avoir goûté au privilège du système uninominal à un tour! Il est connu que ce système avantage les partis en tête et déforme la députation, au point même où il arrive qu’un gouvernement puisse être majoritaire avec moins de voix que l’opposition. C’est ce qui est arrivé en 1998, avec le PQ de Lucien Bouchard, qui avec 42,9% du vote s’est vu attribué 77 député(e)s contre 47 député(e)s pour un score de 43,6% pour le PLQ.
Le souci est bien évidemment celui de la disparité de l’électorat par circonscription qui désavantage les partis qui ont un électorat très concentré. Un parti comme la CAQ est désormais très avantagé par le mode actuel de scrutin puisque son électorat est très étendu, car composé de la majorité francophone, et peut reprendre facilement le pouvoir. À contrario, l’électorat pur & dur du PLQ (les anglophones et allophones) et celui de QS (étudiants et jeunes urbains) sont très concentrés dans les circonscriptions des grandes villes, ce qui limite le nombre de députés potentiel.
Ces partis peuvent bien sûr prendre des sièges en dehors de ses circonscriptions (les libéraux l’ont souvent fait), mais cela peut aussi prendre beaucoup de temps puisque la tentation du « vote utile » est très tenace, surtout à l’encontre des tiers partis. Notons que quand cela finit par arriver, les gains en députés sont généralement beaucoup plus massifs que l’augmentation du nombre de voix pourrait le laisser croire. C’est aussi à ce moment que l’envie de réformer le mode de scrutin perd de son intensité. C’est tout le paradoxe que nous vivons depuis des décennies.
Notre système électif, hérité du parlementarisme britannique, est un système oligarchique, essentiellement pensé pour le bipartisme. Dès lors que plusieurs partis politiques animent l’électorat, comme c’est le cas au Québec, le système devient bancal et mésadapté. Il y a évidemment quelques avantages, qui sont et seront matraqués (notamment la relation entre le député et sa circonscription, la stabilité gouvernementale …), mais rien qui suppose un grand soucie de la démocratie.
À contrario, les défauts du système actuel sont légion et le premier (et non le moindre) est l’inutilité de la plupart des votes. Il est effectivement peu attractif de faire l’effort de voter lorsque l’on vit dans le « château fort » de l’autre camp, puisque le vote n’aura aucun impact hormis les quelques sous que donne cet effort pour le parti. En réalité, le vote qui compte vraiment est celui des circonscriptions pivots. Dans les autres cas, le vote est plus symbolique qu’autre chose.
En parallèle du système électif, la représentation par circonscription a, quant à lui, surtout été pensée pour être un scrutin personnel et peu partisan. Un peu comme le maire d’une ville, que l’on choisit plus pour sa personne que pour son parti d’appartenance (quand il en a un). Mais, comme chacun sait, la vie politique du Québec est d’abord centrée sur les partis, c’est pourquoi le mode de scrutin proportionnel compensatoire mixte semble être le plus admis parmi les partisans de la réforme. Parce que c’est le plus facilement adaptable à notre situation.
Ce système se caractérise par une grande ressemblance à celui qui existe déjà, mais avec moins de circonscriptions et avec l’ajout d’une compensation sur la base du score global. De cette manière, les scénarios à l’italienne (ou à l’israélienne!) deviennent beaucoup moins probables. Cependant, la réforme n’est quand même que compensatoire et la représentation pourrait encore être biaisée à l’avantage du gagnant, tout dépendant la méthode de compensation qui sera retenue.
Mais pourquoi opter pour un mode de calcul qui avantagerait le gagnant, si l’objectif est de justement y mettre un terme? «Question de stabilité politique!» riposteront les habitués de la représentation oligarchique. Ceux-ci ne manqueront pas non plus de rappeler tout plein de réformes qui ont dû passer outre le consensus parlementaire pour se faire. La récente décriminalisation du cannabis par le PLC ou l’adoption de la loi 21 seraient des exemples de réformes qui auraient pu être bloquées si la représentation avait été compensée. Cet argument est effectivement valable et il est vrai que de changer le mode de scrutin actuel, par un système compensatoire, est loin de régler le déficit de démocratie du régime de Westminster.
Mais en prenant un peu de hauteur, il s’avère parfaitement possible de garantir la stabilité du pouvoir politique tout en étant parfaitement démocratique. Pour ce faire, il nous faut cependant sortir des réformettes et repenser complètement l’héritage du parlementarisme britannique. Dans cette optique, il est toujours bien de revoir ce que les penseurs du politique ont déjà proposé il y a déjà plusieurs centaines d’années. Car, notons-le, tous ces débats ne datent pas d’hier!
Pour ce faire, il faut se rappeler que les fonctions du pouvoir politique sont multiples. Nous avons pris l’habitude de les confondre, mais ce pouvoir se sépare en pouvoir «législatif» et «exécutif». En somme, le député propose et vote les lois et le ministre dirige et oriente son exécution. Dans le système actuel, le ministre doit d’abord être législateur. Cela pourrait sembler légitime, puisqu’il doit passer par les urnes, mais bien des problèmes de représentativité viennent aussi de là, étant donné que l’exécutif porte une double casquette.
Les deux types de pouvoir se confondant, le parti obtenant la majorité des députés dans notre système peut devenir une quasi-dictature pour 4 ans, étant donné que les réformes souhaitées peuvent être réalisées sans une majorité de soutiens dans la population. Sans compter que l’ensemble du haut fonctionnariat et des juges (3e pouvoir, le judiciaire) seront aussi nommés par eux. La stabilité de l’exécutif devient donc l’excuse pour l’obtention d’une majorité de députés déformée qui a tout pouvoir sur l’État. C’est pour cette raison qu’un renforcement de la démocratie doit passer par la séparation des pouvoirs.
Là-dessus, plusieurs pistes existent, notamment celle des États-Unis. Cependant, la nature confédérale de ce pays, son immensité en termes de population et sa diversité économique en font un cas spécial. Sans compter que l’élection du président se fait de manière indirecte et n’est pas dépourvue de déformation elle non plus. Comme pour l’élection de Trump, qui s’est faite avec moins de voix que son adversaire. Néanmoins, le système présidentiel de base reste une bonne alternative s’il est adapté à la réalité du pays.
Par exemple, on pourrait imaginer un parlement législatif renouvelé aux 4 ou 5 ans par un suffrage proportionnel intégral et une élection présidentielle séparée (qui aurait lieu idéalement une année différente) au suffrage universel direct (probablement en deux ou trois tours). De cette manière, l’exécutif se concentrerait sur ses affaires et laisserait les réformes aux députés. Ce faisant, le pouvoir devient beaucoup moins fort et autoritaire, sans toutefois se bloquer complètement. Les réformes promises par le gagnant de l’élection présidentielle[1] ne passeront peut-être pas aussi facilement que dans notre présent système, mais consolons-nous en nous disant que les réformes antisociales pourront également être bloquées sans avoir à constamment mobiliser le mouvement social dans des grèves interminables et des moyens de pression parfois contraignants pour le public.
De toute façon, les réformes les plus polémiques n’ont pas vocation à passer par un gouvernement ou par une majorité de députés, puisque dans chacun des cas, l’élection seule ne signifie pas accord global sur le programme. Par exemple, l’électorat du PLQ et du PQ est surtout polarisé par la seule question du fédéralisme canadien. L’électorat de la CAQ et de QS se constitue à contrario plus sur une vague opposition entre gauche et droite. Autrement dit, le vote pour l’un où l’autre de ces partis représente un accord général sur les principaux points de la plateforme du parti et une position générale dans le débat public, mais certainement pas un accord à 100% sur le programme du parti soutenu.
On a tous des réserves sur l’un ou l’autre des points d’un programme et c’est tout à fait normal. Un parti est généralement élu sur la base de quelques questions clés, voire par le rejet du concurrent (donc par défaut). C’est pourquoi les réformes les plus polémiques doivent nécessairement passer par référendum pour être démocratiquement valides. Et ceci, peu importe le système électoral en place, puisque ce problème est directement issu de la partisanerie politique. Qui, il faut bien l’avouer, n’est pas sans défaut elle non plus!
Dès l’instant où les pouvoirs sont séparés et que les institutions sont pensées pour trancher les grandes questions de société, plus besoin de gouvernement fort, de mesure antidémocratique et (surtout) plus besoin de s’en faire pour la stabilité du gouvernement, puisque celui-ci est directement élu et non plus désigné par le parti ayant le plus de députés.
Néanmoins, un élément fondamental reste encore à la décharge de ces propositions. Il s’agit bien sûr de l’éducation politique des citoyens en ce qui a trait aux responsabilités qu’implique un renforcement de la démocratie. L’éducation politique et philosophique est déjà de mise dans une société moderne, mais dans une société qui vise le plus haut niveau démocratie, un effort substantiel doit également être fait du point de vue de l’éducation.
L’éducation gratuite et universelle, de la maternelle à l’université, va de soi comme présupposé à la démocratie participative et directe. Démocratie, qui d’ailleurs, n’a aucune raison de se limiter au débat public et au régime politique, mais devrait également s’étendre à tous les secteurs de l’économie dans lequel le citoyen est impliqué. Cependant, cela nous mènerait peut-être un peu trop loin (le socialisme) et les populistes de droite, partisans de la propriété privée des moyens de production, risquent de moins apprécier ce genre d’appel au peuple!
Évidemment, un renforcement de la démocratie ne se fait pas comme ça et une personne seule ne peut prétendre détenir le modèle ultime, car celui-ci doit être en phase avec la réalité du peuple. Je ne prétends donc pas que le modèle que je propose soit indépassable, mais je crois néanmoins qu’il répond bien aux quelques arguments que les partisans du modèle actuel nous rabattent dans leurs multiples tribunes.
En conclusion, j’ajouterai que la remise en cause du système électoral et, plus encore, à la remise en cause de la constitution canadienne rime en tout point avec le projet d’indépendance du Québec. Loin d’être une lubie nationaliste servant à protéger la religion et les mœurs d’antan, l’indépendance du Québec est d’abord et avant tout un projet de construction politique inclusif. C’est-à-dire une constituante dans lequel la construction d’un système électif pourra émerger sans avoir à tenir compte des traditions britanniques issues du 18e siècle.
Je dis ça, je dis rien !
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[1] En fait, il n’y aurait plus de promesse de réforme au niveau présidentielle, mais uniquement au niveau législatif. Le président serait choisi sur base moins idéologique que pragmatique.