Liberté d’expression à géométrie variable

À cause de l’extrême violence qui a frappé la salle de presse de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, le sujet de la liberté d’expression se retrouve, depuis quelques jours, sur toutes les lèvres. Les millions de personnes qui se disent Charlie n’en démordent pas: il faut à tout prix protéger notre droit de dire ce que l’on veut et notre droit de rire de tout, Mahomet y compris.

Baisser les bras devant les Imams qui veulent nous interdire le droit de dessiner le prophète Mahomet, et les djihadistes qui tuent pour nous en empêcher, serait une incurie sans nom qui menacerait les fondements mêmes de nos belles démocraties à peu près sans faille, là où les médias sont à peu près tous sous le contrôle de groupes de presse aux intérêts privés (ceci dit en passant). L’urgence serait donc de combattre par tous les moyens imaginables ces fous de Dieu qui répandent le sang au nom du Coran.

Bien sûr, beaucoup trop a déjà été dit à ce sujet. Beaucoup moins a par contre été dit à propos de ceux qui meurent ailleurs, dans des pays non-occidentaux- parce qu’ils se sont exprimés librement dans un journal ou ailleurs, en abordant un sujet ou un autre qui ne fait par l’affaire des potentats en place, ou des drones occidentaux. Ou qui reçoivent 1000 coups de fouet pour avoir manqué de respect à l’égard de l’Islam. Mais tout ça se passe ailleurs, ce n’est donc pas comparable à notre propre situation. Évidemment…

Je parlerai donc du cas de Dieudonné M’Bala M’Bala, humoriste français. Un ti-gars de chez nous diraient certains Français.

Depuis plusieurs années, celui-ci s’est forgé une réputation de clown polémiste antisémite. Ses spectacles sont interdits dans bien des endroits de l’Hexagone et les poursuites lui tombent toujours dessus très généreusement. Ce ne sont pas ici des terroristes qui tentent de le faire taire, mais ces chères autorités en place. Ces z’élites bien pensantes.

La marque de commerce de Dieudonné? Dénoncer par le rire le sionisme, écorchant bien évidemment les Juifs au passage. Par un rire qui ne fait vraiment pas rire tout le monde. C’est clair.

Dieudonné a participé à la marche historique de dimanche dernier afin de saluer la mémoire des personnes qui sont mortes sous les balles des Islamistes qui ont fait incursion dans la salle de presse de Charlie Hebdo. À son retour, il s’est exprimé sur Facebook à l’aide de la formule suivante:

« Après cette marche historique, que dis-je…Légendaire! Instant magique égal au Big Bang qui créa l’Univers!…ou dans une moindre mesure (plus locale) comparable au couronnement de Vercingétorix, je rentre enfin chez moi. Sachez que ce soir, en ce qui me concerne, je me sens Charlie Coulibaly ».

Cette référence au terroriste Amedy Coulibaly qui a tué quatre juifs lors d’une prise d’otages a choqué bon nombre d’internautes. Dieudonné a rapidement retiré son message. Mais c’était trop peu trop tard. Il a été arrêté aujourd’hui par les autorités françaises pour apologie du terrorisme.

Cette arrestation frappe comme une tonne de brique. Surtout après les événements des derniers jours alors qu’on défendait sur toutes les tribunes le droit de Charlie Hebdo de rire à gorge déployée d’un Mahomet dépeint dans son plus strict appareil, proférant les pires conneries. Alors qu’on défendait la liberté d’expression d’une équipe de dessinateurs qui s’est placée dans la mire des Djihadistes en repiquant, en 2006, les caricatures de ce même Mahomet du journal à saveur d’extrême droite danois Jyllands-Posten. Bien des Musulmans n’ont toujours pas pardonné à Charlie Hebdo de s’être comporté comme il l’a fait à l’égard de l’Islam et de Mahomet depuis, en s’acharnant à caricaturer le prophète de mille et une façons, avec les tristes résultats que l’on connaît.

Le journaliste du Devoir Jean-François Nadeau, ami de Charb, dessinateur qui a été tué lors de l’attentat contre Charlie Hebdo, affirmait ces jours-ci ne pas toujours trouver très drôle le ton adopté par l’hebdomadaire satirique que l’on associait, en certains milieux, à de l’islamophobie primaire. Il trouvait que les dessinateurs allaient parfois trop loin. Mais il reconnaissait bien évidemment leur droit de le dire et de rire de ceci ou cela. C’est ça, et rien d’autre d’ailleurs, qui devrait être défendu depuis l’attentat contre Charlie Hebdo: le droit de dire, même si ça n’a pas d’allure, même si ça déplaît. Surtout lorsque le discours en question s’articule sous le sceau de l’humour. Parce que ça passe mieux, probablement.

Je crois que Dieudonné-l’humoriste est à placer dans une catégorie similaire à Charlie Hebdo. Il ne fait pas rire tout le monde. Il dérange beaucoup. Mais pas le même monde. Personnellement, je le trouve très déplacé lorsqu’il parle de l’Holocauste; pour en rire. Alors que je ne trouve pas qu’il s’agit d’un sujet drôle. Loin de là.

Mais je trouve profondément injuste et inacceptable que Dieudonné soit la cible de l’État français qui tente de le faire taire par 1000 moyens, depuis des années maintenant. L’humoriste est présentement visé par 80 procédures judiciaires. 80! Sa vie se résume à du stress constant. Il a même déjà été agressé physiquement à cause de son discours. Mais qu’il arrête de faire des blagues déplacées, à saveur raciste, me direz-vous! On aurait pu dire la même chose de Charlie Hebdo…S’ils avaient fermé leurs grandes gueules, peut-être qu’ils ne seraient pas morts. Mais ce silence aurait servi les intérêts de qui au juste?

Si l’on est vraiment attaché à la liberté d’expression comme on le prétend tous ces jours-ci, on doit accepter que certains rient des Musulmans et que d’autres rient des Juifs. Dieudonné a autant le droit de rire du Sionisme ou de cracher sur la Torah que Charlie Hebdo avait le droit de dessiner Mahomet à poil, en train de se gratter la craque de fesse s’il l’eut fallu pour faire rire certains. Si l’on s’y refuse, en stigmatisant encore et toujours Dieudonné tout en consacrant l’équipe de Charlie Hebdo, notre défense de la liberté d’expression ne sera rien de plus qu’hypocrite à souhait! Relevant d’une géométrie variable plaçant les Juifs dans une catégorie à part, leur accordant un statut d’intouchables qui égratignera les colonnes de ce qui reste de nos démocraties occidentales.

Maintenant, il faut faire la distinction entre humour caustique et menaces terroristes. Il faut permettre le premier. Et interdire les secondes parce qu’elles ne relèvent plus de la liberté d’expression. Est-ce que Dieudonné a franchi la ligne à son retour de la marche historique de Paris, a-t-il proféré des menaces terroristes? Si l’on se fie à son arrestation d’aujourd’hui, on dirait bien que oui. Mais lorsqu’on prend le temps de lire vraiment sa déclaration facebookienne, on comprend qu’il se comparait à Coulibaly pour l’opprobre dont il est lui aussi la cible, en tant qu’humoriste controversé souhaitant pouvoir s’exprimer comme tout autre Charlie de ce monde. Un type stigmatisé comme le terroriste parce qu’il dérange lui aussi. Et beaucoup. Pas pour les mêmes raisons, évidemment. Que la formule utilisée par Dieudonné afin de tracer le parallèle entre eux deux eut été déplacée, je crois qu’on en conviendra tous. Le principal intéressé également puisqu’il l’a retirée des ondes internet prestement. Mais est-ce que son geste méritait une arrestation? Absolument pas. On a le droit de dire des conneries. Que les auteurs vivent avec leur souvenir est bien suffisant sans que l’État n’ait besoin de s’en mêler.

Car un État qui verserait dans l’hystérie la plus pure, comme il le fait dans le cas de Dieudonné en lui interdisant de dire ce qui lui passe par la tête, comporte sa part de risques. Le risque que les Charlie de notre monde briment la liberté d’expression de quelques-uns afin de supposément protéger la liberté d’expression dont nous devrions tous jouir. Le risque qu’ils interdisent certains sujets qui les dérangent, tout en autorisant les autres plus conformes à leurs vues. Le risque, au bout du compte, que l’État se transforme en décideur de ce qui peut être dit ou pas sur la place publique. Censurant les uns et encensant les autres.  Et ce n’est pas là ce que nous souhaitons. Pas vrai?

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5 commentaires

      • Hum, si vous avez bien lu, je défends la liberté d’expression. Et non Dieudonné. Et je ne crois pas non plus que ce serait position intelligente que de censurer Sugar Sammy, qui ne me fait pas rire du tout lui non plus. Mais bon…

      • Perso je trouve Dieudonné extrêmement bon, y a pas beaucoup d »humoristes de son niveau, et c’est reconnu même par la plupart des humoristes français. Dieudonné arrive à une période de forte restriction de la liberté de parole et d’accentuation du racisme, que je lie au sursaut impérial occidental. C’est « bien penser » que de s’inquiéter de la popularité d’un polémiste de talent et de gauche. au même niveau des georges carlin, ou louis CK ou chapel ou desproge ou colluche ou bien d’autres, j’ai grandit à Paris 19, j’ai pas eu besoin de dieudonné pour voir qu il existait une forte communauté juive plutôt bourgeoise et en partie communo-fanatisée en france, bien avant que ça se produise chez les musulmans plutôt prolos. Deuidonné est simplement au milieu d’une vraie crise sociale, et se retrouve naturellement au devant de la scène du simple fait de rire de tout ce qui fâche, et du jeu des médias tel des centaines de miroirs.

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