J’ai peur

«Avoir peur, c’est aimer. Donner peur, c’est haïr.»
-Félix Leclerc

[dropcap style= »normal »]C[/dropcap]omme bien des gens, les événements épouvantablement «terroristes» des derniers jours me donnent la nausée, créent grande peur en mon petit moi ô combien ébranlé. Depuis les soldats écrasés de Saint-Jean ou celui gunné d’Ottawa, je dors mal. Je m’inquiète de ce que ces demains pas si lointains seront faits.

J’ai particulièrement peur de ce système politique qui prend prétexte du grand mal de vivre en ce bas monde de quelques-uns qui ne formeront jamais armée pour construire de toutes pièces une grande frayeur à saveur terroriste et asseoir plus fermement que jamais son grand pouvoir de pacotille. J’ai peur de ce Stephen Harper-va-t-en-guerre qui distille l’idée dans la tête des gens ordinaires selon laquelle leur vie confortable serait menacée par un islamisme radical qui grandit à l’autre bout du monde, de façon à ce qu’ils lui obéissent au doigt et à l’oeil et le laissent agir comme bon lui semble, ici chez nous, sans emmerdement citoyen aucun.

Ces bellicistes qui vocifèrent du haut de leur tribune parlementaire le fait qu’il faille écraser un pays arabe ou un autre, pour des raisons qui s’appellent bien trop souvent pétrole et géopolitique et trafics d’armes, parce que l’oncle Sam le veut ainsi, manipulent les citoyens pour servir leurs intérêts bassement partisans. Pour eux, que sont quelques milliers de morts supplémentaires, bombardés par des drones ou des avions à pilote, si cela leur permet de consolider leur emprise sur la «démocratie» et nos portefeuilles exsangues, et de s’incruster davantage dans les bonnes grâces de ceux qui mènent la danse à partir des coulisses et qui ont sur eux pouvoir de vie ou de mort politiques?

Ces politicailleux dangereux, qui se font maintenant tous l’accolade en chambre afin d’illustrer mieux que jamais l’unité canadienne, me font encore plus peur quand ils parlent de raffermir le pouvoir des services secrets canadiens quelques jours seulement avant que le «terrorisme» nous pète en pleine gueule, contexte qui, n’en doutons point, leur facilitera drôlement la tâche de réduire nos libertés civiques. Ils me font aussi très peur quand j’apprends que la GRC leur communique des informations privilégiées, en toute discrétion, comme si cela allait de soi, ce qui leur permet de peaufiner encore davantage leur scénario hollywoodien-show-de-boucane qu’ils nous servent à grand vomi que veux-tu afin de mieux anesthésier nos réflexes citoyens. Mais jusqu’où iront-ils dans leur entreprise de manipulation des esprits que ces pervertis de par là-bas?

J’ai peur de ces médias qui jouent le jeu du pouvoir politique les deux yeux bien fermés, violant volontairement, et trop consciemment pour que ça n’enrage pas, leur rôle de surveillance du gouvernement et de ses extensions; ce rôle qui demeure le fondement même de toute démocratie qui se respecte! Lorsque le discours officiel de l’État de la veille devient les manchettes imprimées à gros tirages du lendemain, sans jamais qu’on lui offre de contrepoids sérieux, le mal-fonctionnement s’insinue dès lors à gros bouillons dans les veines de la démocratie, nous assurant des lendemains qui déchantent. On ne le dira jamais assez, mais un système médiatique qui boite, c’est un pouvoir citoyen qui s’enlise, se paralyse. C’est une porte ouverte sur le contrôle et l’autorité de quelques-uns.

Mais cela n’indispose pas les scribouillards de nos jaunes journaux qui sont – en partie – responsables de tout ça. Du haut de leur tribune, ils ne ressentent aucune gêne à l’idée de gonfler artificiellement une nouvelle menace ou une autre, servant les intérêts des orchestreux de nation building. Ils se contre-foutent de leurs méfaits. Ils sont trop préoccupés par les cotes d’écoute, peu importe ce qu’ils nous font écouter. Et ils parlent et ils parlent et ils parlent pour occuper le temps et les esprits. Ils ne craignent pas de parler à travers leur chapeau à qui mieux-mieux pour nous annoncer ce qu’ils ne savent pas. Un coup de pneu ou de feu, et voilà l’État islamique qui débarque au coin de nos rues toujours si tranquilles. Si ça prend ça pour qu’on ne bouge pas, alors pourquoi pas?

Et voilà un spécialiste qui n’en sait pas davantage que tous ceux-là qui prend le micro, trop heureux qu’il est de jouir de ses 15 minutes de gloire andy-warholienne, pour qualifier de ceci ou cela le «terrorisme» qui sévit désormais de par chez nous. Et les scribouillards qui lui en demandent toujours plus, question que la peur préfabriquée dans les studios d’un Fox News qui n’en porte pas officiellement le nom scotche madame ou monsieur à sa télé pour la journée. Combien étaient-ils, les guerriers d’Allah aux noms de cabane à sucre, une oreille de Christ poignée entre les dents ? Deux, trois, quatre, une armée? Pour faire vraiment peur, ils doivent être nombreux, ces loups très solitaires; c’est l’évidence !

Les médias-mercenaires excitent les affectés sociaux a mari usque ad mare et ils prennent leur air surpris quand les tristes événements de la veille se reproduisent dans la ville d’à côté!

J’ai aussi peur de cet ancien chef bloquiste qui, utilisant sa tribune médiatique qu’il ne mérite absolument pas, emprunte les mêmes chemins guerriers que Pierre Elliott Trudeau en d’autres temps; ce Trudeau qui a foutu nos poètes et les citoyens du Québec en prison à l’aide d’une armée qui n’était jamais apparue aussi clairement pour ce qu’elle est vraiment, c’est-à-dire d’occupation. Qu’un homme politique du Québec supposément intelligent propose aujourd’hui d’enfermer des gens sous le seul coup de l’expression d’une opinion – peu importe la nature de celle-ci, qu’elle soit défendable ou pas ne change rien au problème- en dit long sur le délire qui affecte les élites patentées en ces temps sombres et difficiles.

Faut dire que Duceppe n’est pas le seul à délirer sur la place publique. De Richard Martineau à Jeff Fillion, en passant par Mario Dumont, ils sont trop nombreux à inventer un vaste complot «terroriste» qui viserait la déstabilisation du Canada et la mort des infidèles pour qu’on ne les dénonce pas!

J’ai encore plus peur de tous ces gens ordinaires qui prennent le mors-aux-dents à cause de ces événements qui sont d’une tristesse certaine, bien sûr, mais qui ne sont quand même pas de nature à mettre tout un pays en émoi, que ce pays soit d’une faiblesse indiscutable car canadien n’y change rien. «Les Islams débarquent chez nous pis sont dangereux, faut fermer les mosquées et les retourner en Arabie», entend-on trop souvent sur les médias dits sociaux. Que le type s’appelle Rouleau ou Bibeau ne leur traverse pas l’esprit un seul instant, ne les incite pas le moins du monde à corriger le tir. Un Islam, c’est un étranger, pis on veut s’en débarrasser en le garochant bien loin de chez soi. C’est bien évident!

Le troupeau de moutons qui marche au pas cadencé dès qu’on agite le moindrement habilement la baguette ne constitue pas moins une menace à la démocratie que ce pouvoir politique et ses médias qui font au mieux oeuvre sensationnaliste des drames du monde, au pire oeuvre de propagande et de manipulation de la mort d’un soldat ou d’un paranoïaque. Il suffit que les journaleux et les politicailleux chantent tous en choeur la menace d’Outre Arabie, et en voilà des milliers qui deviennent leurs perroquets en réclamant ce qu’on leur a mis dans la tête à coups de pioche. À bas les Islams, dehors les Arabies! Richard Bain était un fou, mais Martin Rouleau est un terroriste!

Une démocratie ne peut s’épanouir en une terre dominée par les propagandistes à tous crins, répondant aux diktats d’Ottawa ou de notre parlement. La démocratie réclame esprit critique de ses citoyens. Tant et aussi longtemps qu’on agira comme des robots en avalant tout ce qu’on nous dit sans broncher, on rira à gorges déployées dans les officines des parlements et des tours à bureaux de l’oligarchie! Et ils continueront de décider pour nous!

Et c’est bien ça le plus apeurant. Car comment changer ce monde qui doit être changé si les citoyens demeurent d’une malléabilité effrayante? Comment réaliser le projet de pays si la parole n’est pas libérée, si le citoyen est contrôlé?

J’ai peut-être peur de tous ceux-là qui nous abreuvent jusqu’à plus soif de discours officiels. Mais j’ai encore plus peur de les laisser agir sans rien dire. Voilà entre autres pourquoi nous devons continuer le combat! Sans espoir mais avec détermination dirait Orwell.

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